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Message : Re: Majuscules accentuées et écriture manuscrite

(Christian LEUCK) - Lundi 16 Juin 1997
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Subject:    Re: Majuscules accentuées et écriture manuscrite
Date:    Mon, 16 Jun 1997 10:46:24 +0000
From:    Christian LEUCK <Tdr.Kriss@xxxxxxxxxx>

Claude Lagneau wrote:
> 
> Bonjour,
> 
> Lors de stages de formation avec des instituteurs consacrés au traitement
> de texte et à la mise en page, je propose toujours un module lié à la typographie.
> 
> Si les enseignants acceptent bien volontiers les règles de base de la composition typographique concernant la ponctuation, les abréviations,
> ils sont toujours surpris (la grande majorité en tout cas) quand je leur demande d'utiliser les majuscules accentuées. Je sors alors ma panoplie
> de journaux, de livres récents et anciens pour les convaincre.
> (La lecture attentive de vos propos depuis quelque temps me donne des arguments et des exemples supplémentaires même si parfois les
> informations techniques me dépassent.)
> 
> Je sais que ma question ne concerne pas pas votre domaine professionnel
> et ne fait pas partie de l'objet de la liste. Soyez indulgents, acceptez
> de me lire et éventuellement de me consacrer quelque lignes.
> 
> Je voudrais vous demander ici  si vous avez des informations concernant
> l'écriture manuscrite et les majuscules accentuées. Personnellement, je
> n'ai jamais écrit Écriture sur le tableau et je ne l'ai pas encore vu dans une classe.
> Mon hypothèse de base est de penser que ces majuscules accentuées
> devaient exister autrefois et que cette pratique a disparu mais pour
> quelle(s) raison(s) puisqu'on ne peut pas invoquer le matériel
> anglo-saxon dans ce cas là.
> Je suis preneur de toute piste, toute information, toute référence
> documentaire pouvant éclairer mes interrogations.
> 
> D'une manière plus personnelle, utilisez vous naturellement ces
> majuscules accentuées dans vos correspondances manuscrites ?
> merci d'avance.
> 
> Claude Lagneau instituteur animateur informatique
> clagneau@xxxxxxxxxxxxxxxxx

Cher Collègue,

	Pour vous fournir une piste et des élèments de réflexion voici ce que
je tire de l'ouvrage "Manuel de Typographie Française élémentaire" de
Yves Perrousseaux par l'Atelier Perrousseaux éditeur ? oct. 1995 - 
	"... On a vu qu'à partir du milieu du premier millénaire de notre ère
on s'est mis à écrire en lettres minuscules et que les lettres
majuscules n'étaient utilisées que comme capitales initiales. Auparavant
(des premiers alphabets phéniciens jusqu'à la fin de l'empire romain,
c'est-à-dire pendant environ 2 000 ans) les grandes écritures en usage,
gravées ou calligraphiques, ne s'écrivaient qu'en lettres capitales.
	Il en découle aujourd'hui que les polices de caractères numérisées,
issues de ces écritures calligraphiques caolingiennes, gothiques et de
chancellerie de la Renaissance (en usage entre les années 700 à 1550
environ) que vous employez en PAO sont logiquement conçues comme elles
l'étaient à l'époque : ces capitales ne sont prévues que pour n'être
utilisées qu'en capitales initiales. Elles ne peuvent pas fonctionner
pour composer les mots entiers en capitales, comme cela est possible
avec les caractères typographiques issus des écritures humanistes des
XVe et XVIe siècles ou qui ont été créés plus tard."

- suivent des exemples avec les polices Zapft Chancery, Arnold Böcklin,
scriptes et gothiques en capitales et en bdc.

	"... On ne met pas d'accent sur les majuscules fait partie de ces idées
reçues qui ont la vie dure et qui n'ont plus de raison d'être, un peu
comme : On ne coupe pas la salade dans son assiette".
	Ne pas couper la salade dans son assiette vient de l'époque où, l'acier
inoxydable n'étant pas encore inventé, le vinaigre et la sauce
noircissait les lames de couteaux. Pour éviter cet inconvénient ménager,
on érigea cette règle de bonne éducation. Aujourd'hui, si cette règle a
perdu sa raison d'être depuis l'apparition des couteaux en inox, cette
idée reçue reste quand même dans la tête des gens car, entre temps, elle
est devenue synonyme d'être bien ou mal élevé.

HISTORIQUE :

	En typographie française, et depuis le courant du XVIe siècle, on met
les accents sur les bas de casse et sur les capitales pour traduire les
subtilités de la prononciation et éviter les contresens. Pour des
raisons techniques de l'époque, il arrivait que certaines polices soient
créées sans accent (à cause des problèmes de hauteur des lignes de plomb
ne permettant pas toujours de respecter l'interlignage - à rapprocher
des problèmes de l'informatique à ses débuts ! ), mais le bon typographe
les rajoutait alors souvent manuellement dans ses montages quand c'était
possible (suit un exemple d'un texte de 1778 avec capitales accentuées
et un autre de 1796 "La Jérusalem Délivrée - Imprimerie Pierre Didot
l'Aîné, Paris, An IV de la République).
	C'est également pour des raisons techniques, mais datant de la fin du
siècle dernier, cette fois-ci, que s'est développée l'habitude de la non
accentuation des capitales :
		- en imprimerie, les machines composeuses (nouvelles machines qui
fondaient des lignes de caractères en un seul bloc de plomb), étant de
conception anglo-saxonne, ne comportaient pas de capitales accentuées,
puisque la langue anglaise n'en comporte pas ;
		- dans les secrétariat, dès leur apparition, les machines à écrire
(alors à frappe mécanique) ne comportaient pas de capitales accentuées
non plus, car elles étaient, elles aussi, de conception anglo-saxonne.

	Petit à petit, on s'est habitué aux capitales non-accentuées, bien
qu'elles n'aient plus permis le respect de l'orthographe exigée par
notre langue. Pendant près d'un siècle on a justifié ces contraintes
technique par cette idée reçue idiote, alors qu'il aurait été plus
honnête de reconnaître : On ne peut pas mettre les accents sur les
capitales parce que les machines ne le permettent pas. Ce que les
praticiens étaient les seuls à savoir.

	Aujourd'hui, la photocomposition et la micro-informatique ont remédié à
ces lacunes : les polices numérisées sont conçues avec non seulement les
accents en usage en français, mais également en usage dans bien d'autres
langues (pas vrai M. Melot ?...) L'informatique permet à chacune d'elles
de retrouver ses particularismes orthographiques, hormis encore sous
quelques logiciels de traitement de textes mais qui se perfectionnent à
chaque nouvelle version.

	Le dernier obstacle reste un enseignement de la dactylographie (voire
et y compris même à l'école) qui finira par réviser ses vieux manuels au
bénéfice de la bonne tenue de nos publications françaises, y compris
celles provenant des secrétariats.
	Cet enseignement n'a pas encore pris en compte le fait que les
logiciels de traitement de texte fonctionnent en mode typographique et
non plus en mode dactylographique.
	Combien de fois de jeunes femmes (pas celles formées il y a 30 ans)
m'ont répondu : Ah bon ! mais pourtant à l'école (de secrétariat) on
nous avait toujours dit qu'il ne fallait pas les mettre ! C'était même
une faute !

	Et pourtant, en typographie :
l'accent, sur les capitales, comme sur les bas de casse d'ailleurs :
	? a pleine valeur orthographique ;
	- détermine la prononciation ;
	- évite la confusion de sens de nombreux mots sur lesquels nous butons
tous de temps à autre, comme dans les exemples suivants :

	LES ENFANTS LEGITIMES : Légitimes ou Légitimés ?
	UN HOMME TUE : s'agit-il d'un tueur ou a-t-il été tué ?
	L'ETUDE DU MODELE : du modèle ou du modelé ? etc.

	L'Imprimerie Nationale préconise l'utilisation systématique des
capitales accentuées, y compris sur la préposition À. Si déjà nous,
francophones, avons du mal à comprendre le sens de certains mots non
accentués, à plus forte raison qu'en est-il des étrangers qui lisent,
par exemple, nos documents touristiques !

	Certains logiciels (notamment les logiciels techniques) utilisent des
polices de caractères dont les capitales ne sont pas pourvues de tous
les accents utilisés en français, ou sont parfois même sans accent du
tout. Dans ce cas l'Imprimerie Nationale préconise de proscrire les
textes incomplètement accentués et d'opter pour une composition soit
avec tous les accents français ; soit sans accent du tout."

	D'autre part, dans le "Code Typographique" - Choix des règles à l'usage
des auteurs et professionnels du livre - seizième édition - de la
Fédération C.G.C. de la Communication, page 2 §4, il est écrit : "La
langue française comportant des voyelles accentuées, il ne faut pas
s'arroger le droit de les supprimer (seules l'Académie Française est
habilitée à décider de la modification de l'orthographe). Les capitales
doivent comporter leur accent."

	Donc acte !

	Désolé si ce message est un peu long mais il a au moins le mérite
d'éclairer la lanterne...

	Bien cordialement.

--
Christian LEUCK
Saint-Denis - Ile de La Réunion