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Message : Re: la dague et la croix (Jacques Melot) - Mardi 06 Janvier 1998 |
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Subject: | Re: la dague et la croix |
Date: | Tue, 6 Jan 1998 11:52:04 +0000 |
From: | Jacques Melot <melot@xxxxxx> |
Le 1/3/98, à 5:50 PM +0000, nous recevions de Patrick Cazaux : >Il y a quelques mois, nous nous interrogions sur l'usage du dcaractère en >forme de dague pour désigner des personnes décédées, alors que l'usage >français est d'employer la croix chrétienne. >J'ai acheté il y a quelques jours chez un bouquiniste un exemplaire d'une >ouvrage intitulé : "XVIIIe siècle Lettres Sciences et Arts". Ce qui m'a >attiré dans ce livre est sa très belle compo, de chez Firmin Didot. La >police et bien entendu du Didot, dans un corps assez gros, je dirais du 12 >et une interlignage confortable, ce qui est indispensable pour ce genre de >caractères. Les chromolithographies, superbes, sont aussi de chez Didot. A >noter que si les accents sont bien portés sur les caps, ce qui prouve bien >à nous contributeurs que cela interroge que cet usage n'est pas nouveau, >deux erreurs typographiques sur la couverture, à savoir la composition du >"e" de XVIIIe en caps, au lieu de bdc, et l'oubli d'un accent dans la >mention "Librairie de Firmin Didot Editeurs à Paris", sur le "é" de >éditeur. Comme quoi, même dans les meilleurs maisons, on laisse passer des >bourdes. > >Et la dague ? Après avoir écrit ce qui précède, je m'aperçois que je me >suis mélangé les pinceaux avec le Grand memento encyclopédique Larousse de >1936, qui, en effet, utilise la fameuse dague et non point la croix. >Curieux, non ? Cher Patrick, avant de passer à la croix, d'abord une remarque - on n'en finira jamais ! - sur l'accentuation des capitales. Il est vrai que l'on trouve des ouvrages plus ou moins anciens dans lesquels les capitales sont systématiquement accentuées, mais leur caractère sporadique dans un océan d'ouvrages qui ne présentent pas cette caractéristique montre qu'il s'agit d'une décision consciente et volontaire, isolée et non typique, et, disons le, éclairée. Même à l'heure actuelle, les ouvrages dans lesquels on accentue systématiquement les capitales ne sont qu'une minorité, même si, par bonheur, cette dernière va croissant. LA CROIX (sans la bannière). Dans la discussion que nous avons eue il y a quelques mois et que j'avais d'ailleurs lancée (le lundi 19 mai 1997, à 12 h 14 mn 42 s T. U., il pleuvait et ma fille dessinait une poule sur le parquet tout neuf), j'ai écrit : > J'ai trouvé récemment le mot « diésis » pour désigner en français la >double croix. Ce mot est-il employé par les typographes professionnels >actuels ? > > Existe-t-il un mot spécialisé moins banal que « croix » pour ce que l'on >appelle en anglais « dagger » ? J'ai eu l'idée, hier, de consulter le (grand) Harrap's (anglais-français) à « dagger ». Ce dictionnaire, non seulement donne « diésis » pour traduction française de « double dagger », mais encore « obèle » pour « dagger ». Je pourrais considérer avoir répondu enfin à ma propre question si, vieux renard rusé, je n'avais soupçonné là une issue douteuse, car le Harrap's n'a, comme vous le savez peut-être, pas bonne réputation auprès des traducteurs. En fait « obèle » est un terme introduit en français par R. Simon en 1689 dans son Histoire du texte du nouveau testament (Rotterdam ; R. Leers). Ce terme qui, en français moderne, s'écrit « obel », vient du grec « obelos » (broche à rôtir) car il désigne un signe plus ou moins en forme de broche couchée ; ce dernier était utilisé dans l'antiquité - cela remonte aux Alexandrins commentant Homère - pour signaler les portions de manuscrit renfermant du texte interpolé ou douteux (obelos periestigmenos). Selon l'Oxford English Dictionary (2e éd.), qui constitue l'autorité la plus indiscutable en ce qui concerne la langue anglaise, le terme a été introduit - subséquemment, semble-t-il - en anglais sous le nom voisin « obelisk » (obeliskos, petite broche) pour désigner une sorte de tiret (-) ou ce qui est maintenant le signe division (÷) et qui était utilisé jadis pour marquer, comme expliqué plus haut, les passages dont l'authenticité était incertaine dans les anciens manuscrits. Le lexicographe poursuit en indiquant que ce terme est maintenant utilisé pour la croix utilisée comme appel de référence. L'article se termine sur « (= dagger [...]). double obelisk, the double dagger (). ». Ceci est confirmé à l'entrée « dagger » où il est indiqué, à titre de définition, « Imprim. Un signe ressemblant à une dague (), utilisé pour les appels de notes, etc. ; aussi appelé obelisk. double dagger: un signe dont les deux extrémités ressemblent à la poignée d'une dague, dont l'usage est similaire. Il est intéressant de noter qu'il n'est pas dit qu'il s'agit de la représentation d'une dague, mais d'un signe RESSEMBLANT à une dague. Je pense donc que le terme convenable en français est et reste « croix », car il s'agit déjà et quoi qu'il en soit d'une croix, et que cette croix a été stylisée, par exemple au point de ressembler à une dague, dans des polices qui appelaient naturellement une telle stylisation. D'ailleurs, dans de nombreuses polices sans empattements non spécialement françaises, la croix est la croix chrétienne (cf. Helvetica), alors qu'elle ressemble le plus souvent - d'ailleurs pas toujours ! - à une dague ou une épée dans des polices à empattement ou fortement stylisées. Du reste, ce qu'en dit Philip Luckombe dans son (anonyme) Concise history of the origine and progress of printing (1770) est particulièrement instructif : « The obelisk, or long Cross, erroneously called the single Dagger [...] » et semble bien confirmer l'hypothèse faite plus haut, à savoir que « dagger » est vraisemblablement un terme descriptif appliqué à la croix dans certaine de ses formes stylisées qui rappelaient cet objet, par ignorance du terme correct en usage chez les gens du métier. Enfin, « diesis » apparaît comme le terme spécialisé (monde de l'imprimerie) pour « double dagger ». Dans E. Phillips, The new world of English words : or, a general dictionary (1658, éd. de Kersey, 1706), on trouve : « Diesis [...] among printers it is taken for a Mark, otherwise call'd a Double-dagger » ce qui est confirmé par E. H. Knight (1874, The practical dictionary of mechanics) et le récent Oxford Engl. Dict. CONCLUSION Le terme « diésis » ne figurant dans aucun dictionnaire de la langue française sous cette acception, on en conclut qu'il s'agit d'une erreur du Harrap's. Le mot « diésis » n'est qu'une variante désuète du terme « dièse » utilisé en musique, non le nom français de la double croix. Le terme français pour « dagger » est, au choix, « obèle » ou « croix ». Peut-être serait-il préférable d'employer le premier (obel) afin d'éviter la réapparition sporadique de la fausse alternative croix/dague. Salutations amicales, Jacques Melot, Reykjavík melot@xxxxxx P. S. Et si on créait un prix Obel de la typographie ?
- la dague et la croix, Patrick Cazaux (03/01/1998)
- Re: la dague et la croix, Jacques Melot <=
- Re: la dague et la croix, Jacques Andre (06/01/1998)
- Asterix et obelix (fut : la dague et la croix), Jacques Melot (06/01/1998)
- Le sabre et le goupillon (fut : la dague et la croix), Alain Hurtig (07/01/1998)
- Re: Le sabre et le goupillon (fut : la dague et la croix), Cecile Souche (07/01/1998)
- Re: Le sabre et le goupillon (fut : la dague et la croix), Alain Hurtig (07/01/1998)
- Re: Le sabre et le goupillon (fut : la dague et la croix), Alain Hurtig (07/01/1998)
- Re: Le sabre et le goupillon (fut : la dague et la croix), Christophe Labouisse (07/01/1998)