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Message : Le signe pour l'arrobe

(Jacques Melot) - Dimanche 10 Mai 1998
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Subject:    Le signe pour l'arrobe
Date:    Sun, 10 May 1998 10:09:55 +0000
From:    Jacques Melot <melot@xxxxxx>

[Dédié à Alain LaBonté, qui doit se trouver en ce moment même quelque part
entre Akureyri et Reykjavík, pour sûr, en train de s'acharner à dégager son
4x4 d'une congère...]


   Cher collègues,

   je viens de collecter quelques informations sur l'origine possible du
signe @.

   En Islande nous n'avons que peu d'Arabes (ils se comptent sur les doigts
d'une main sérieusement mutilée), mais j'ai la chance de connaître l'un
d'entre lui, que j'ai rencontré hier.

   Évidemment, je l'ai entrepris sur la question de l'arrobe.

   Comme vous le savez, il semble bien établi que ce mot vient de l'arabe
pour « le quart », à travers l'espagnol. La prononciation, pour un français
non formé à l'arabe, s'approche de « robboa » (ou « rouboua »). Donc avec
un « el » devant, cela donne quelque chose comme « el robboa », qui par un
sorte de métathèse analogue à celle qui permet de passer de l'allemand
« arbeiten » (travailler ; suédois « arbeta ») au russe « rabota » (cf. le
tchèque « robota », corvée, « robotnik », serf, homme corvéable, d'où le
mot créé par K. Capek dans « Les robots universels de Rossum, 1921) aurait
donné « arroba », (lr -> rr), etc. Tout cela reste à établir dans le
détail, mais pour l'essentiel doit être exact.

   En ce qui concerne, maintenant, la forme particulière (@) donnée au
signe pour désigner l'arrobe, il faut sevoir qu'en arabe « le quart »
s'écrit avec trois lettres (hormis les voyelles qui dans les langues
chamito-sémitiques, normalement ne s'écrivent pas). Ces lettres sont
« ba' », « ra' » et « 'ayn » (ceux qui ont des connaissances en arabe y
reconnaîtront quelque chose, j'espère).
   J'ai constaté que dans l'écriture arabe, lorsqu'on prolonge le « 'ayn »
dans le « ra' », ce qui, dans l'écriture cursive, se produit souvent et est
normal, m'a affirmé mon interlocuteur, on parvient à quelque chose qui
ressemble à une amorce sérieuse de @. Les Espagnols, ensuite, écrivant ce
signe la plupart du temps sans connaissance de l'arabe, il a évolué au gré
des exigences d'une graphie rapide, de la nature du support, de
l'instrument utilisé pour écrire, etc., et éventuellement sous influence
d'autres signes, de lettres notamment, si l'évolution a passé par des
formes autrement reconnaissables, d'où la forme finale d'un a cursif cerclé
(la différence avec une simple boucle, sorte de o cursif, cerclée est bien
mince). Nous nous sommes tous posés cette question avec le signe de
correction typographique nommé deleatur : « tous » nous l'avons utilisé
avant d'en connaître l'origine graphique et l'histoire, et tous nous nous
sommes demandés, un jour ou l'autre, quelle en était la forme de base et
comment ce signe devait exactement être dessiné si on était amené à le
faire en s'appliquant, par exemple pour en faire le caractère d'une police.
Ne pas en connaître l'origine peut le faire évoluer dans des directions
diverses et c'est bien ce que l'on constate (cf. aussi les nombreuses
formes d'esperluète ; cf. de manière plus générale, l'histoire de
l'écriture).

   Tout cela demande, bien sûr, à être confirmé par une étude historique :
on sait que des ressemblances superficielles mènent à proposer des
étymologies fantaisistes (étymologie populaire), de même des ressemblances
graphiques, avec un peu d'imagination, peuvent mener à tout et n'importe
quoi.

   Dominicalement vôtre,

Jacques Melot, Reykjavík
melot@xxxxxx