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Message : La lezarde qui fait tenir la page (etait : chemins qui ne menent nulle part...)

(Alain Hurtig) - Mercredi 07 Octobre 1998
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Subject:    La lezarde qui fait tenir la page (etait : chemins qui ne menent nulle part...)
Date:    Wed, 7 Oct 1998 08:25:22 +0200
From:    Alain Hurtig <alain.hurtig@xxxxxx>

At 14:56 +0200 6/10/98, carleduc wrote:
>-une question d'abord (je vois qu'A. Hurtig est aussi chez Hol, il
>
Heu... C'est nettement hors-charte, ça ! Bon, je répondrais ce que je pense
d'Hol (j'en pense du mal) en privé.

>Salvador Dali a dégoté
>(ou forcé à naître) une vénus de Milo dans un jeu de lézardes,
>
Je n'avais pas pensé à ça, mais la référence est belle. Au passage, une
astuce pour voir les lézardes dans une page : regarder le papier de travers
(côté petit ou grand fond devant soi, à l'italienne) : elles vous explosent
à la figure.

>Un très bon exemple (à l'exacte croisée de cette préoccupation et de la
>plus classique habitation des espaces blancs en poésie) est donné par le
>singulier choix de mise en forme du texte de la Thorah (du moins des
>cinq rouleaux) par Meschonnic (Gallimard). A voir.
>
Ah ! Ça me va droit au coeur, cette idée. Non pas que j'apprécie
spécialement le travail de Meschonic (je n'ai pas vu cette mise en forme
des Cinq rouleaux), ni comme poète, ni comme traducteur, ni comme essayiste
(je préfère Atlan dans le genre intello, ou bien Ouaknin dans le genre
rabbin fou). Mais...

Mais c'est exactement ça : le blanc structure le noir (« Du feu noir et du
feu blanc »), l'espace vide (espace de l'entreligne, de l'entre-colonnes,
de l'entre-pages, de l'entre-textes, l'espace nu qu'offre le visage au
regard d'autrui, etc.) est ouverture au sens. Le dispositif graphique
classique des pages de la Thorah (le texte au centre, la glose tout autour,
et autour la glose de la glose, et en bas la glose de la glose de la
glose), ce dispositif est déjà, en lui-même, une herméneutique (c'est
compliqué, la mise en pages, hein ? ;-))

Le cheminement offert à l'oeil est le lieu même où se déploie la pensée
créatrice (de l'auteur, du lecteur), et qui révèle le texte : parfois, ce
sont les lézardes qui font tenir la page.

(Anecdote perso : j'ai chez moi la reproduction de quelques colophons
hébraïques médiévaux. J'aime les colophons. Un jour, peut-être, mais j'en
doute, je parviendrais à cette perfection.)

Alain Hurtig                                         mailto:alain.hurtig@xxxxxx
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N'est-il pas curieux qu'un être aussi vaste que la baleine voie le monde à
travers un oeil si petit et qu'elle entende le tonnerre avec une oreille
plus menue que celle d'un lièvre ?
   Herman Melville, _Moby Dick_.