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Message : Typographie et livre électronique [long]

(Pierre Hallet) - Dimanche 21 Novembre 1999
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Subject:    Typographie et livre électronique [long]
Date:    Sun, 21 Nov 1999 16:35:35 +0100
From:    "Pierre Hallet" <pierre.hallet@xxxxxxxxx>

Bonjour,

Encouragé par un contributeur habituel de la liste,
je prends le risque de vous soumettre mes verbeuses
réflexions sur un sujet qui pourrait vous intéresser.
Je ne suis pas un professionnel de la typographie,
mais simplement un informaticien curieux.  Le titre
du message vous l'a déjà dit : je voudrais parler
ici de la montée en charge du livre électronique et
de ses conséquences sur la typographie.

[ Consultant vos archives, j'ai vu qu'on avait lancé
à ce sujet, le 6 septembre, un fil, hélas resté sans
grande postérité. ]

Il y a dix ans, je parlais à mes collègues du livre
électronique à venir... ce qui les faisait sourire.
L'un d'eux, que je revoyais récemment et qui allait
se procurer un Rocket eBook, me tirait son chapeau.
Bof ! Je suis informaticien, et il n'est pas besoin
d'être grand visionnaire pour prévoir l'impact de
l'informatique dans bien des domaines.  J'ai tenté
quelquefois d'en parler sur le forum fr.lettres.
langue.francaise, pour me heurter à de l'amusement
(science-fiction, on verra bien dans vingt ans...)
et à de l'indifférence surtout.  Je n'ai pas eu la
témérité d'insister, tout en regrettant le peu
d'échos que suscitait le sujet.  Je crois être,
dans mon étroit domaine, non pas un visionnaire,
mais un emmétrope dans un monde de myopes.

BREF : je re-prophétise audacieusement, en estimant
que la part « électronique » de la lecture de livres
sera de quelque 5-10 % en 2010 et 30-50 % en 2020.
Au-delà, je pressens que le livre-tout-court sera
électronique et qu'on parlera de « livre papier »,
un peu comme aujourd'hui un disque-tout-court est
un CD et qu'on doit préciser « disque vinyle ».

On pourra certes contester mes pourcentages, mais
la tendance lourde est là.  Le livre-papier ne va
bien sûr pas disparaître comme le disque vinyle,
car il conserve pas mal d'avantages propres ; mais
il va être marginalisé, et ses standards entreront
dans une concurrence de plus en plus lourde avec
ceux du livre-papier...  Or la typographie est
l'un de ces standards.  Les discussions autour des
guillemets en donnent un avant-goût significatif.
La FAQ parlait de la plus grande lisibilité des
guillemets français par rapport aux chiures de
mouches, et donnait en exemple : « Attention ! »
vs "Attention!".  Je vais peut-être vous faire
broncher, mais je ne trouve pas l'un plus lisible
que l'autre... La raison doit en être qu'à force
de fréquenter dans mon travail la typographie
anglo-saxonne, je m'y suis habitué.  Je l'ai dans
l'oeil et dans le cerveau, je me trébuche pas, ou
plus, dessus.  Et je ne dois pas être le seul...
et je dois même être rejoint chaque jour par des
centaines de personnes en contact quotidien avec
les machines et leurs standards, si imparfaits
soient-ils au regard des traditions.

Je vois se profiler un risque de standardisation
à outrance de la typographie sur les règles et
coutumes américaines, par le biais de standards
trop étroits appliqués à des livres électroniques
qui vont constituer une part croissante de la
lecture de livres.  Ce n'est pas inexorable, car
il existe plusieurs standards possibles, dont
certains dotés de la flexibilité voulue pour
s'adapter à des traditions multiples (je pense
au format PDF).  Or nous en sommes à un instant
crucial, celui où la nouvelle technique cherche
à se définir des standards... de même que les
magnétoscopes ont longtemps hésité entre VHS et
Betamax. Il est bien possible que le choix du
standard ait de lourdes conséquences sur l'avenir
de la typographie française...  Je ne dis pas que
ses règles changeraient, je dis qu'elles seraient
purement et simplement ignorées et transgressées
par une part croissante de l'édition, jusqu'à ne
plus survivre que dans d'étroites niches.

Qu'en pensez-vous ?

Cordialement,
--
Pierre Hallet
pierre.hallet@xxxxxxxxx