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Message : Re: [gut] Utilisation des lettrines

(Jacques Melot) - Mercredi 06 Septembre 2000
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Subject:    Re: [gut] Utilisation des lettrines
Date:    Wed, 6 Sep 2000 17:48:24 +0000
From:    Jacques Melot <jacques.melot@xxxxxxxxx>

 Le 6/09/00, à 16:21 +0200, nous recevions de Thierry Bouche :


je ne suis pas tout à fait d'accord avec mon futur ami Thierry Bouche, mais ô combien aimerais-je l'être, tant me plaît l'originalité de sa position de secoueur de crocotier...

J'interviens d'autant plus volontiers que j'allais émettre des doutes très similaires en prenant pour exemple ce que j'ai découvert tout à l'heure dans le Kaþólska Kirkjublaðið que l'évêché de Reykjavík se croît obligé de m'envoyer régulièrement (sans doute parce qu'étant français je dois nécessairement être cathodique, ce qui n'est pas anodin).

Le première consiste en le nom du journal, suivi d'un article sur trois colonnes qui occupe le reste de la page. L'article commence sur une extraordinaire lettrine, un « 8. », où, par dessus le marché, le point, du genre trou noir vu les dimensions, fait partie de la lettrine (Ce chiffre provient de : « 8. september n.k. eru liðin 50 ár siðan [...] », c'est-à-dire « Le 8 septembre prochain il se sera écoulé 50 ans depuis [...] »). Inutile de dire que c'est dégueulbiffe et crapoteux, alors même que cette « chiffrine » - « lattrine » serait tentant -, se trouve à la suite immédiate d'un titre centré... Comme quoi, Thierry, même ça ce n'est pas du sûr.

Cela dit, pour juger des lettrines, il est bon, je crois, de les examiner aussi là où on n'aurait jamais pu imaginer s'en passer, par exemple dans les ouvrages de la Renaissance (et même bien plus tard). J'avoue ne pas me lasser de les admirer, dans l'ensemble. Certaines sont très originales et viennent égayer l'ouvrage qui sans elles tomberait des mains. Je pense en particulier à celles de l'Ortus sanitatis (1475), bien agréables à mon goût, en plus de leur fonction indéniablement utile d'indicateur de début de section (bien que l'on puisse trouver d'autres artifices remplissant la même fonction. J'en retiens surtout que le rôle des lettrines n'est pas uniquement fonctionnel, ce que Thierry, qui pose la question « A quoi servent les lettrines ? », me semble oublier.

De nos jours on note une certaine dégénérescence dans l'emploi de la lettrine, notamment lorsque, comme le décrit Thierry, il s'agit d'« une grande capitale posée sur la ligne, pas descendue dans le paragraphe » (cf., par exemple, Duneton, La mort du français, p. 9, où l'ouvrage commence sur une lettrine « À » particulièrement infecte), une façon de faire que, moi aussi, je trouve indéfendable, même si elle est signalée - d'ailleurs paradoxalement - dans le Lexique des règles typographiques en usage à l'Imprimerie nationale (p. 104 de la 3e éd.). Je dis paradoxalement, car le lexique en question, après tout, est censé ne reproduire que l'usage de l'Imprimerie nationale et non pas « les formes que l'on rencontre de plus en plus couramment », même incidemment. En tout cas ce n'est pas logique, à moins que cela n'ait lieu à titre d'information en employant une disposition typographique différente (note infra, etc.)



 Pour continuer à secouer le cocotier, voici un peu de grain à
moudre, en provenance d'une autre liste...

 Th.
                   ******************************
» la question que je voudrais poser est plutot typographique. J'aimerais
» savoir avec quelle fréquence il faut (on peut) utiliser les
» lettrines.

idéalement, fréquence zéro.

Les lettrines ne servent à rien, c'est souvent moche parce que le
caractère employé pour la lettrine est inadapté, donc ça fait un gros
caca noir sur la page.

La lettrine la plus marrante qu'il m'ait été donné de voir cet été,
c'était un C' initial (dans la version chérie de Massin où la lettrine
est juste une grande capitale posée sur la ligne, pas descendue dans
le paragraphe) : un C énorme et noir, suivi quasiment à la hauteur de
son empattement inférieur par une minuscule apostrophe...

À quoi servent les lettrines ? à signaler de façon assez violente le
début de quelque chose qu'on aurait pu rater en son absence. C'est
donc a priori utile sur une page de journal où il faut trouver le
début des articles dans une foison de colonnes et de pavés de tailles
inégales.

Dans un texte au long, ça pourrait être utile dans un encart,
éventuellement, mais ça n'a rien à faire en début de paragraphe, qu'il
est rarement difficile de localiser !

Il y a un endroit où la lettrine peut être un artifice utile : sous le
titre centré d'un chapitre, car ça permet d'assurer un meilleur
équilibre de la page (dont la symétrie serait mise à mal par le
renfoncement d'alinéa, à moins évidemment qu'on appartienne à la secte
tradicide qui ne renfonce pas les alinéas, comme les cahiers GUT,
p. ex...),



Les cordonniers sont les plus mal chaussés, c'est bien connu et étonnamment vrai dans tous les domaines, du moins ceux où la subjectivité s'introduit... Comme si le choix conscient ou inconscient de l'échec franc était le meilleur moyen de se prémunir de la critique (mécanisme de défense tout à fait remarquable qui évoque, par certains côtés, gribouille se plongeant dans l'eau pour éviter la pluie).

   Jacques Melot



tant que ladite lettrine n'est pas trop noire,
évidemment...


  Thierry Bouche.