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Message : Re: Accents, économie, évolution

(Jef Tombeur) - Jeudi 05 Octobre 2000
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Subject:    Re: Accents, économie, évolution
Date:    Thu, 5 Oct 2000 12:00:16 +0200
From:    "Jef Tombeur" <jtombeur@xxxxxxxxxxxxx>

----- Original Message -----
From: "Olivier RANDIER" <orandier@xxxxxxxxxxx>
To: <typographie@xxxxxxxx>
Sent: Thursday, October 05, 2000 2:36 AM
Subject: Re : Accent sur les capitales et espaces



| >En fait je crois que TOUS les livres n'avaient pas d'accents sur
les À, Ô, Ù
| >etc.
|
| Tous les caractères historiques du cabinet des poinçons de
l'Imprimerie
| nationale comportent toutes les capitales accentuées. Cette
vénérable
| maison n'a pourtant pas une réputation d'avant-gardisme forcené. :)
|
Royale, impériale, nationale... Et peu impécunieuse à ces époques, je
présume.
Dans ce Londres - Ouvrage d'un François augmenté des notes d'un
Anglois, imprimé A Neuchatel ,
Aux dépens de la Société Typographique (LXXIV), j'ai un peu de tout,
dont des petites capitales italiques accentuées, en tout cas les é, et
de nombreuses singularités.
Dont le fameux cas, pour certaines capitales en certains corps, de
l'apostrophe tenant lieu d'accentuation et suivant la capitale. Ainsi
ANNUITE'S ET RENTES VIAGERES.
Donc pas de È, dont acte, mais pas non plus de è à "viagère" en bdc.
(laitière ou siècle, monaftère le prennnent plus loin).
Impôt, hôpital, portent flexe, fyftême aussi. Poëte le tréma. De même
que Suïcide et fuïcide (le premier en une sorte de sous-titre, le
second dans le corps du texte) ou Doüane. Mais île n'en prend pas
(encore) puisque l'ifle est toujours en vigueur.

Je ne vais surtout pas me lancer à supputer une théorie fumeuse sur
l'évolution de l'orthographe soumise à des principes d'économie (basée
sur une resucée ad hoc de la théorie de la valeur).
J'avance cependant que si l'on prend le soin de "simuler" un É, (en
E'), ce fait est révélateur. J'avance aussi que la distribution et la
fréquence des accents varie selon les époques. Que l'enjeu peut varier
selon les époques.
Je présume totalement que certains auteurs, connaissant les
limitations en équipement de leurs imprimeurs, veillent à ce que leurs
titres et sous-titres devant être composés en capitales, évitent
d'employer des mots accentués pour ces occurrences, sachant que les
capitales accentuées ne seraient pas disponibles... Qu'un poëte
préfèrera se présenté coiffé en bdc qu'en cheveux en caps (de pied
botté, et sans cape, mais pas va-nu-pieds).
Je présume totalement que les typographes déplorent de ne pouvoir
accentuer toutes les capitales... jusqu'à ce qu'ils en viennent à
décréter que certaines ne seront jamais accentuées. Discours repris et
entériné par de bons républicains...
Je présume totalement que l'influence des typographes aurait pu avoir
des répercussions sur "la bonne orthographe". Et sur "l'art d'écrire",
à l'usage de tous, populations laborieuses comprises (celles qui
fréquentent l'école publique, laïque).
Bref, de supputation en supputation, je pourrais bâtir un discours
bien peu étayé par des faits constants (non contestés par les
parties). Et je m'en préserve. Plaidant sans robe, je n'en poursuis
pas moins.
Je crois cependant que si nous voulons à présent que les capitales
soient accentuées, c'est que nous le pouvons de nouveau. J'irais même
jusqu'à dire : "On n'est pas deux gueux !". De même que nous voulons
non seulement du pain, mais de la brioche ; qu'on nous a fait assez
bouffé de poulets aux hormones, que la bouffe bio de la bourgeoisie,
eh, on la veut aussi, etc. Idem pour les capitales accentuées : ceux
de la Royale, de l'Impériale, les avaient bien à disposition, pourquoi
pas nous ? En plus, nous les avons. Et tous nos lecteurs y auront
droit, même les plus humbles, ceux qui ne peuvent s'acheter que
Télépoche pour seule littérature inclus. Mais je n'ai pas dit que
seules des raisons psychologiques ou de bienséance plaident en faveur
de l'accentuation systématique des capitales... L'accentuation des
caps n'est pas seulement une revendication corporatiste teintée
d'attachement aux idéaux démocratiques. Ces mêmes idéaux que certains
défendraient encore à l'inverse en voulant que les bourgeois en
restent réduits aux usages du "bas peuple" (et que leurs enfants
revêtent la blouse grise à l'école comme les fils d'ouvriers). Il va
de soi aussi que nous revendiquons à l'occasion ce libertinage de
non-accentuation (ou d'accentuation, selon son bord) des capitales
(car tel est notre bon plaisir, et nous avons nos menus plaisirs).
Mais cessons d'imaginer.
Conclusion (que j'aimerais définitive) :
- la typographie n'est pas une science exacte ;
- si tant était qu'elle en soit une, on sait que "les sciences" ou "la
Science" ont valeur d'enjeu dans nos sociétés modernes (sans doute
aussi pour les plus anciennes, mais mon inculture m'empêche
d'argumenter) ;
- si nous devons nous faire une "religion", autant tenter de retrouver
le sens du sacré (et l'écriture, dans nos sociétés, n'a pas été qu'un
enjeu politique, ou, du moins, exprimé pour tel) ; ou, au contraire,
ne tombons pas dans la religiosité ; certains usages des usages et de
la tradition m'évoquent des débats de thalmudistes (je m'en délecte,
et ne nie pas l'apport des thalmudistes) ; et remémorons-nous que,
dans sa sagesse, Mahomet adaptait le rite aux circonstances de la vie.
- disons clairement ce qui nous semble souhaitable et pourquoi, et
pour qui. Évacuer le "pour qui" dans l'argumentation me semble de plus
en plus intellectuellement malhonnête au fur et à mesure de ma lecture
des contributions à ce débat.