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Message : Re: pratiques quotidiennes

(Jacques Melot) - Vendredi 30 Novembre 2001
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Subject:    Re: pratiques quotidiennes
Date:    Fri, 30 Nov 2001 12:27:55 +0000
From:    Jacques Melot <jacques.melot@xxxxxxxxx>

 Le 28/11/01, à 9:25 +0200, nous recevions de Jean-Denis :

 >>    ONU, Forpronu, Otan, OMTS...

>Ah non, je ne vous avais pas bien compris, à propos des « trois lettres ». J'ai constaté ça dans votre marche personnelle.
 >
C'est donc vous, cousins français, qui prononcez distinctement O-N-U ?

Alors, voilà les détails d´une habitude non écrite, mais qu´à Paris on semble appliquer* _motu proprio_ :
   -- plus de points nulle part ;



Une des raisons en est simple : la gymnastique (toute relative) qu'impose la mise des points entre les initiales des sigles a un rôle dissuasif chez beaucoup. Le plaisir d'écrire, que j'assimilerai pour la circonstance à un droit, comporte un revers de la médaille, d'ailleurs prestigieux : un devoir envers ceux qui vous lisent.



-- si mot de trois lettres (ou moins), on écrit en cap (UE, ONU) et on prononce comme on en a envie (l´onu semble un peu plus courant aujourd´hui que l´oénu) ;



« comme on en a envie », c'est vite dit : puis-je prononcer N.P.K. « napéko » ? Quant à UE... tu vas te faire 'uer.



-- si mot de plus de trois lettres ET qui se prononce, alors cap initiale (d´où un doute sur Urss, URSS : car la prononciation urse n´a pas l´air de s´imposer face à l´uérécesse) ;



« n'a pas l'air de s'imposer » ? Mais c'est, foi de spécialiste, le plus bel inchoatif de la journée ! Je te signale, au cas où tu n'aurais pas entendu le rideau chuter, qu'ils ont fermé boutique depuis un bail déjà. Enfin, peut-être que ça continue à pousser après, comme les cheveux et les ongles... Personnellement, je continue avec U.R.S.S. dont la prononciation, à cause des points, fait le pendant avec celle de S.S.S.R., que je dois parfois utiliser (quand je lis tout haut dans ma tête certaines données bibliographiques russes) et qui, elle, par contre, n'admet aucune alternative du fait de l'absence de voyelle.



   -- plus de trois lettres mais qui ne se prononce pas (ENTSMC), cap partout.

Cette marche limite les dégâts dus à la "siglite" galopante que n´avaient pas prévue nos anciens,



   « anciens »... c'est-à-dire... ?



avec leur "S. N. C. F." bouffeur de justif !



Et alors ? C'est ça l'humanisme : on se donne la place, plus généralement, les moyens d'écrire ce qui doit l'être, quitte à reprendre le texte pour le rendre plus concis, ce qui, presque toujours, consiste aussi à le rendre plus clair et plus fluide. Personnellement, je ne vois pas (trop) d'inconvénient à supprimer les espaces entre un point et l'initiale suivante dans un sigle, alors que je ne peux pas l'admettre lorsqu'il s'agit de l'initiale de prénoms. Donc R.A.T.P. (RATP est positivement inadmissible, car ne remplissant pas sa fonction, cf. plus bas), mais F. N. A. Dubois (le nom d'un botaniste).



De plus, où trouver de nos jours des espaces fines insécables ?


Bah ! 'y a des gens ingénieux, tu sais, genre bidouilleurs de code. Que veux-tu donc faire ici avec des fines insécables (Ah, ne me le dis pas, je ne le devine que trop !)

Comme je l'ai déjà écrit ici (forum Typographie) à propos de l'usage d'une ponctuation, l'usage d'espaces fines dans un tel cas est, à mon avis, une sorte de concession quasi inconsciente, une manière de ménager la chèvre et le chou, soit qu'on ne se rappelle plus exactement la règle soit qu'on veuille avoir à la fois le beurre et l'argent du beurre, appliquant pour ainsi dire une règle en lui donnant la forme de l'autre, sans que le lecteur puisse en juger ou sans lui laisser le temps de le faire.



Et des points qui faut deux doigts pour les taper ?



   Oui, un sur la touche, l'autre dans l'oeil jusqu'au coude !

(Je peux sembler méchant, mais avoue que tu ne me laisses pas le choix : une pareille, moralement, ça ne se laisse pas passer !)



   Trois soucis (en plus de se faire taper sur les doigts par Lacroux !) :



(Note que ça aura tout de même l'avantage de les faire enfler de sorte que tu n'en auras plus besoin de deux pour taper tes points.) Dans ces temps de dégénérescence, d'anorexie culturelle, de cachexie spirituelle, la peur de l'autorité a du bon, celle du gendarme n'ayant à tout jamais que du mauvais.



   -- quand on baisse les caps d´une abréviation, on a parfois des doutes
sur les accents à ajouter ;
   -- dans les abréviations composées (galopantes aussi à cause des fusions
incessantes), on peut trouver une combinaison bdc-cap (Spemic-DCRTF) ;
   -- pour certaines abréviations locales ou corporatives, on doit se
renseigner si ça se prononce ou pas (CHPEM, PETE).



Justement, et c'est pourquoi la suppression des points d'abréviation est une très mauvaise pratique. Inutile de tourner autour du pot : elle est « condamnable », car elle suppose une complicité qui va à l'encontre du désir même de communiquer, du moins auprès d'un public indéterminé ou mélangé.

On en a une très bonne illustration avec le cas de R.A.T.P. (Régie autonome des transports parisiens [pour les Reykvikings qui me lisent, c'est l'analogue parisien du S.V.R. [Zut, je m'aperçois ce soir aux nouvelles que ça vient juste de changer : c'est maintenant S.]]), un sigle très important : la population virtuelle - virtualité qui ne se réduit pas à une simple hypothèse d'école - susceptible d'avoir à prononcer ce sigle dans les circonstances naturelles de la vie, est de taille sans commune mesure avec la population parisienne elle-même, laquelle sait, dans l'ensemble, comment il se prononce effectivement, pour l'avoir appris d'une manière ou d'une autre, mais indépendamment de l'application d'une quelconque règle. Lorsqu'on s'adresse par écrit à un public a priori indéterminé, on doit s'astreindre à employer les points abréviatifs. Le texte, s'il y perd alors ce qui relève de la complicité, y gagne en universalité. Les points abréviatifs sont particulièrement souhaitables dans la communication internationale. Ceci vaut non seulement pour les sigles, mais pour toute abréviation.

Une langue qui abuse des artifices qui font appel à ladite complicité, en quelque sorte se confine au lieu de s'ouvrir. Tel est le cas du suédois qui, de ce point de vue, file plutôt un mauvais coton. J'ai déjà donné ici, je crois, il y a deux ou trois ans, l'exemple de « tom », état final d'un processus abusif de réduction : partant de l'expression « till och med » (qui se traduit en français par « et même », all. « sogar », isl. « jafnvel », etc.), on a écrit « t. o. m. », puis « t.o.m. » et enfin « tom », une circonstance particulièrement malheureuse, car, l'étranger (donc aussi l'immigrant récent non encore intégré) qui consulte un dictionnaire suédois n'y trouvera qu'un « tom » ayant la même signification que le français « vide » : l'abréviation « tom », qui, sous cette forme, ne se signale plus comme telle, coïncide donc avec un mot existant et de signification totalement différente. Bien entendu « tom », dans le sens de « et même » se prononce « till och med » à l'oral, et non t-o-m ni tom. Ce type de complicité peut même tourner facilement à la connivence, d'où une accentuation possible de ce que certains appellent le « clivage social » : c'est alors une difficulté supplémentaire à son intégration que rencontre l'immigrant ou l'étranger. Évidemment, pris isolément ceci ne constitue qu'un désagrément minime doublé d'une curiosité, mais lorsque le cas se répète au point d'en devenir un véritable phénomène en soi, cela cesse d'être négligeable. C'est malheureusement la tendance générale actuelle.

La suppression abusive des virgules, dans les langues scandinaves notamment, tombe exactement sous la même critique et, de manière générale, tout ce qui consiste à réduire les indications de syntaxe. En effet, l'indétermination qui en résulte ne peut être compensée ou levée que par un surcroît de références culturelles ou propres au seul groupe concerné, ce qui suppose une intégration préalable à celui-ci.

   Jacques Melot




      Amicalement__
      ___Jean-Denis

* Quand je dis que "ça s´applique", c´est qu´on n´a que quelques mots à
dire à un intérimaire et pas à lui expliquer 3 heures comme si c´était
exorbitant.