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Message : Linotypie [long]

(Jacques Andre) - Jeudi 05 Septembre 2002
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Subject:    Linotypie [long]
Date:    Thu, 05 Sep 2002 10:40:21 +0200
From:    Jacques Andre <Jacques.Andre@xxxxxxxx>

fidelite@xxxxxxxxxxx wrote:

> Et qu'est-ce au juste que la linotypie ?

Jean-Denis, qui est tombé dans un chaudron de plomb chaud, n'ayant sans doute pas le temps de répondre, j'essaye de le
faire, en commençant d'ailleurs par parler de composition avec des types mobiles puis de Monotype et de photocompo !
C'est bien sûr brut de fonderie si j'ose...


Composition manuelle (au plomb avec des types mobiles)
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La composition avec des types mobiles suivait en gros le processus suivant :

 Dans une fonderie 
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1) gravure (plutôt sculpture !) d'un poinçon par caractère (en relief, à l'envers) et par corps (p.ex. poinçon du A
corps 12 pour le Garamond romain)

2) Frappe de ce poinçon sur une pièce d'acier, y laissant une trace creuse (matrice) ; nettoyage de ladite matrice

3) moulage avec plomb chaud pour obtenir un caractère en relief (« sorte ») - c'est cette partie qui a été le plus
modifiée depuis Gutenberg !

4) Mise de ce caractère (une fois refroidi !) et des autres "sortes" dans une casse (tous les A corps 12 en même temps)
et vente au poids. L'inventaire de la casse (100 A, 60 B, etc.) s'appelait la « police ».

Dans un atelier de compo
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5) Un typiste prend les caractères un à un (il les lève), en fonction du manuscrit (la copie)  et les met dans un
composteur correspondant à une ligne. Quand la ligne est à peu près pleine, il prévoit éventuellement la coupure du mot
en fin de ligne (ça c'était leur grand savoir) et augment ou diminue les espace entre mots pour « justifier » la ligne.
Il met alors celle-ci dans une galée (correspondant à une colonne).
6) Quand la galée est pleine (ou quand il y en a plusieurs) on la ficelle et on fait une épreuve et le texte est
corrigé. Pour celà, le typiste supprime les caractères érronés, les remplace par de bons etc. Si il manque des mots ou
s'il y en a en double, il faut alors souvent recomposer non seulement une ligne, mais plusieurs à la suite (voire
plusieurs galées). Il pouvait y avoir ainsi plusieurs jeux d'épreuves !
6) Une fois les galées considérées bonnes à tirer, on procède à l'imposition (répartition des galées de façon que la
feuille imprimée et pliée donne bien les pages dans le bon ordre), puis impression.
7) L'impression finie, on démonte les galées et on reventile (distribue) les caractères à la bonne place. 
8) Si des caractères s'avèrent en mauvais état, on les retire du circuit, on les envoie dans une fonderie où ils
serviront à mouler de nouveauyx caractères.
9) Quand il manque beaucoup de caractères dans une casse, on en recommande une à la fonderie qui repart de 3) : en fait
les matrices étaient rarement refaites et les poinçons encore moins !


Ce procédé a donc été inventé par Gutenberg & Co et perdure encore (un peu, un tout petit peu !)

La qualité des textes ainsi imprimés venait d'une part de la qualité des caractères, donc du poinçon et, d'autre part,
de la compétence du typiste pour justifier, etc.



Linotypie
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La linotypie a été inventée (du moins brevetée) en 1886 par Mergenthaler, Américain d'origine allemande. Il s'agit d'un
procédé mécanique de composition de lignes fondues à chaud en un seul bloc. 
Une linotype comprend plusieurs organes spécialisés conduits par un seul opérateur. Le processus était en gros le
suivant :

Dans la fonderie
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1) Création d'un poinçon. Mais tout se passe comme si on ne gravait qu'un poinçon pour plusieurs forces de corps (p.ex.
le corps 12), les autres (p.ex. corps 8 à 20) étant gravés à l'aide d'un pantographe (inventé en 1885 par Benton) : on
faisait ainsi de l'optical scaling bien avant la lettre !
2) Frappe de ce poinçon pour faire une matrice. Mais celle-ci a déjà la chasse (+ approches) du caractère qui sera fondu
et souvent porte deux caractères en creux (p.ex. A romain et A ital "duplexés"). On fabriquait ces matrices en grand
nombre (voir ci-dessous: 3).

Dans l'atelier
--------------
3) La machine comprend un magasin dans lequel se trouvent ces matrices en plusieurs exemplaires (p.ex. 25 A, 10 B, etc.)
4) Le linotypiste en lisant la copie tape le texte à composer sur un clavier (la première  machine à écrire a été
brevetée par Remington vers 1860). Il tape en aveugle, c'est-à-dire qu'il ne voit pas le résultat de sa frappe, d'où
cette allure de panda des linotypistes, ou de se hâter lentement ! NB: le clavier composait une centaine de touches
sécifiques (les capitales, les bas de casse, chiffres, ponctuations, etc.). Il y avait aussi des « casseaux » pour des
signes spéciaux mis alors à la main dans le composteur!
5) Quand  une touche  (p.ex. celle du A) est frappée, la matrice correspondante (ayant donc un A en creux) tombe dans
une sorte de composteur, les uns après les autres.
6) En fin de ligne (ou un peu avant, le linotypiste voit ce qu'il y reste par un onglet sur un cylindre permettant de
savoir, en fonction du corps, combien de caractères en gros il peut encore mettre. Il prévoit alors lui-même la division
du dernier mot de la ligne éventuellement.
7) Le linotypiste déclenche alors la justification de la ligne en cours qui est  faite  automatiquement : la Linotype a
un système génial pour faire ça : les espaces (dites espaces-bandes) sont en fait des petites pièces triangulaires ou
coniques, qui se mettent entre les mots. Ces espaces sont soulevées, écartant ainsi les mots, jusqu'à ce que les premier
et  dernier signes touchent le bord de la justification...
8) Le linotypiste commande alors le clichage (ce mot vient du bruit que fait le plomb chaud sur un corps froid: clichhh
!): le composteur est envoyé dans un moule creux, où on injecte du plomb en fusion (la Linotype disposait d'un chaudron
de plomb en ébullition où baigne en permanence un lingot de plomb à fondre) : le plomb remplit les creux de la matrice
et produit donc une ligne avec des caractères en relief. Cette ligne-bloc (refroidie très vite) est alors envoyée dans
la galée.
9) Enfin, le linotypiste commande la distribution, autre invention géniale de la Linotype : les matrices comprennent non
seulement les caractères en creux, mais aussi un système d'ergots ou dents. Les matrices de la ligne qui vient d'être
composée sont alors mis en vrac dans un magasin, montées à l'aide d'un bras dans une boîte de sélection où grâce à ces
dents, les matrices sont triées et remises dans le magasin. La partie correspondant à cette distribution était la plus
grande dans la linotype et ressemblait à un éventail pouvant atteindre 2m de haut !
10) S'il y avait des corrections à faire, il fallait en général (dans l'urgence on pouvait modifier un caractère au
couteau!) recomposer toute la ligne, voire la galée...
11) Après impression, les galées sont démontées et refondues pour faire des lingots...

Bien que ce processus semble long, il permettait de gagner beaucoup de temps sur la levée des caractères et surtout la
distribution. On évalue à un rapport de 1 à 5 le temps de composition manuelle par rapport à la composition linotype.

D'origine américaine, la Linotype avait une « métrique » basée sur le pica (qui n'a d'ailleurs été défini aux USA qu'en
fin de XIX° siècle) et je crois que les talus présents dans les caarctères de composition manuelle étaient absents ou
réduits en linotypie. D'où la difficulté d'y avoir des capitals accentuées ?

Cs machines ont servi de la fin du siècle (première machine à Paris en 1898) à pratiquement nos jours. Son lieu de
prédilection a été la presse et certains imprimeries de labeur spécialisées dans des travaux administratifs)

Les gens qui on travaillé dans (ou même seulement visité) un tel atelier de linotypie gardent le souvenir de
l'atmosphère spéciale avec les odeurs de plomb chaud (et de tabac), et le bruit des claviers, du plomb qui clichait et
des cliquetis de la distribution ! Cavanna (dans son essais « Migonne alons voir si la rose » ou qq chose comme ça) en
parle avec des larmes dans la voix !

Il y a un site (en italien et un peu en anglais, mais belles images) que j'aime bien :
http://digilander.libero.it/linotype/

Monotypie
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Brevetée en 1899 par lAméricain Lanston, elle correspond en gros à une Linotype coupée en deux...
Il y a d'abord un poste de saisie, avec un clavier (énorme : environ 300 signes). La frappe produit la perforation d'un
ruban (eh oui, avant 1900...) à 32 canaux. En fait, ce qui est perforé, c'est non seulement le texte, amis aussi les
commandes de compostion (jutification, changements de corps, etc.), on dirait aujourd'hui des balises !

Ce ruban est alors mis dans une seconde machine, la fondeuse qui diffère essentiellement de la fondeuse linotype par le
fait que les matrices de caractères sont non plus indépendantes mais regroupées dans un chassis porte-marices, et que la
composition se fait sur plusieurs lignes à la fois.

En fait la grande différence entre la Monotype et la Linotype est que la première a joué plus sur la qualité typo que
sur la vitesse de la linotype ! Cette qualité typo a été obtenue d'une part par ce clavier de 300 touches (d'ailleurs
lui même doublé pour les travaux scientifiques) mais surtout parce que le chef fondeur, alias Sntaley Morison lui-même,
a exigé une qualité de gravure des poinçons très forte et recherché de nouveaux caractères. Ce sont eux qui ont servi
aux fontes numérisées qu'on a aujourd'hui (Adobe vend énormément de fontes marquées monotype) ! Par ailleurs la
Monotype, plus que la Linotype je crois, a défini de très nombreux alphabets pour les langues non-anglaises!

La Monotype a surtout servi dans les ateliers de labeur (édition, livres, etc.).

TTS
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Pour la petite histoire, à signaler que vers 1930 a été défini le système TTS (teletype system) qui reprenait le
principe du ruban perforé (mais à seulement 5 ou 6 canaux, comme le Telex) et que ça a permis (surtout après 1945...) de
transmettre des textes saisis par exemple à Londres pour les imprimer à Oxford ou Le Caire !


Photocomposition
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Inventée par deux Français vers 1945 elle a été brevetée aux USA...
La photocomposition ne peut être dissociée de l'impression par offset : il s'agit d'une impression à plat (donc sans
caractères en relief), une sorte de décalcomaine (ce que veut dire d'ailleurs offset). Le principe en gros est de
fournir un film (style photo) qui est en qq sorte reproduit telquel. Reste à produire ce film.

La photocomposition a pour principe de base de projeter sur ce film l'image de chaque caractère, le déplacement dans la
ligne puis des lignes dans la page étant calculé en fonction de tables de chasse qui n'existaient pas avant. Deux
grandes nouveautés : les caractères sont à deux dimensions (plats) ce qui permet de faire plein de choses auparavant
impossibles ou difficiles (crénage notamment, modificaiton d'approches, etc.). ET, comme avec le pantographe, un système
de zoom permet de n'utiliser qu'une image de caractères pour plusieurs corps.
L'informatisation a permis ensuite la justification et la division des mots (avec dictionnaires par exemple), puis la
numérisation des fontes (vectorielles quoi).
Mais aujourd'hui on revient un peu en arrière : une photocomposeuse ne ait plus elle-même la justification et la
division, es fonctions étant laissées au formateur en amont (Word, laTeX, etc.). Ce qui ne permet pas toujours de faire
de la microtypôgraphie
fine (gestion des ligatures p.ex.) alors on ttonne avec des Indesign et autres OpenType qui gèrent ce qu'il y a entre le
formateur intelligent et la machine à noircir les films...


-- 
Jacques André, Irisa/Inria-Rennes
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