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Message : Re: [typo] Comédie-Française

(Luc Bentz) - Mercredi 08 Janvier 2003
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Subject:    Re: [typo] Comédie-Française
Date:    Wed, 8 Jan 2003 23:15:47 +0100
From:    "Luc Bentz" <bentz-lf-c10@xxxxxxxxxx>

----- Message d'origine -----
De : "Olivier Randier" <orandier@xxxxxxxxxxxx>
À : <typographie@xxxxxxxx>
Envoyé : mercredi 8 janvier 2003 22:29
Objet : Re: [typo] Comédie-Française


> Il y a au moins une logique que l'on peut invoquer, même si ce n'est
sans
> doute qu'a posteriori. On peut considérer que la
« Comédie-Française »,
> c'est en fait le « théâtre de la Comédie-Française », ou le
> « Théâtre-Italien », la « compagnie (?) du Théâtre-Italien ». On
serait
> donc en conformité avec les graphies d'établissements comme université
> Pierre-et-Marie-Curie. Par contre, ça ne marche évidemment pas pour
> Bibliothèque-Nationale.

Dans le cas de la B.N.F., on a affaire à une institution nationale (cf.
le cas de l'« École normale supérieure » vs les « écoles normales
(départementales) d'instituteurs ». Existe-t-il plusieurs « comédies » ?
J'en doute. Sans doute faudrait-il voir les documents imprimés d'époque
parus au Moniteur (l'ancêtre du J.O.R.F.), et non pas le seul autographe
napoléonien du décret de Moscou* - encore faut-il noter que c'est plutôt
de la main d'un de ses secrétaires. Mais on peut y voir un nom composé
qui s'est ainsi fixé avec le trait d'union (sans anomalies ni et
cætera).

Le « Théâtre français » (avec cette graphie-ci) pourrait évoquer par
antonomase la littérature théâtrale française par opposition à
l'anglaise ou à l'italienne (« Le Théâtre français a conservé du XIXe
siècle le goût de la pantalonnade de boulevard »), ou bien encore le
monde des gens de théâtre en France (« Le Théâtre français se rassemble
au moment des molières : cette soirée de congratulation permet
d'oublier - et surtout de faire semblant - les rivalités et
concurrences).

Il est bon d'interroger la règle et de ne pas se contenter à priori de
l'arbitraire qu'elle suppose. L'interroger, non la méconnaître car,
l'interrogation permet parfois (souvent) d'en découvrir une raison
profonde qui va au-delà de la seule nécessité de disposer d'un code
commun.

Dans les consultations auxquelles m'a poussé cet échange, la IXe édition
(1992-...) du Dictionnaire de l'Académie française s'avère utile. Elle
indique en effet que le mot désigne les endroits où les rep(résentations
ont lieu : la « Comédie des Champs-Élysées », mais elle donne aussi
comme exemple « la Comédie-Caumartin ». Dans l'article dont la vedette
est... « comédie »  (dans le tome I), le lieu vient en numéro 5. Le
numéro précédent est ainsi rédigé :

« 4. Troupe de comédiens. La Comédie-Italienne. La Comédie-Française,
société de comédients créée par la fusion de la troupe de Molière avec
celles du théâtre du Marais et de l'Hôtel de Bourgogne. »

Dans les deux cas, la construction s'opère avec trait d'union et en
capitalisant l'adjectif postposé. Sans doute a-t-on davantage glosé ici
de la composition des titres d'ouvres (et sans nul doute eussè-je écrit
spontanément : « Comédie française »). Quant à savoir si le nom de
troupe a précédé le nom de lieu et réciproquement, c'est en revenir au
problème de l'ouf et de la poule (quand bien même les cocottes du Second
Empire ou de la Belle Époque ont été source d'inspiration).

La logique qui préside aux règles de composition des titres, écrivit
plus d'une fois le regretté Lacroux, est le renvoi à un index
bibliographique avec le souci premier de faciliter la recherche au et du
lecteur. Dans le cas d'une troupe théâtrale, tel n'est point l'usage
final de la composition. Mais aussi bien la constitution du
« Français », à l'origine, procédait-elle également de l'affirmation
d'une expression nationale du théâtre. On notera d'ailleurs que
l'Illustre Théâtre n'était point trait-d'unionisé, si j'ose risquer ici
ce mot (l'Illustre Théâtre était le nom de la première troupe fondée par
Molière avec les Béjart et qui dura de 16543 à 1645 avant une faillite
qui éloigna Molière de Paris jusqu'en 1658). Qu'on n'objecte pas ici
qu'« Illustre » est antéposé : après tout, on pourrait avoir « Comédie
française » (séparation par l'espace). Curieusement, il me semble que la
capitalisation de l'adjectif impose la présence du trait d'union.

Il resterait à savoir si d'autres noms de troupes théâtrales (ou, plus
largement, artistiques) reprennent cette double particularité
typographique (capitalisation de l'adjectif postposé et trait d'union),
en dehors naturellement de « troupe du Théâtre Machin » voire « Théâtre
Machin » par simple emploi métonymique.

(*) Henri Monnier, faisant parler Joseph Prudhomme, mettait dans sa
bouche : « C'est l'ambition qui a perdu Napoléon. S'il était resté
simple sous-lieutenant d'artillerie, il serait encore sur le trône ».


Luc Bentz
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