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Message : Re: [typo] étymo [était : chif. rom.]

(Jean-François Roberts) - Mercredi 07 Avril 2004
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Subject:    Re: [typo] étymo [était : chif. rom.]
Date:    Wed, 07 Apr 2004 01:51:14 +0200
From:    Jean-François Roberts <jean-francois.roberts@xxxxxxxxxx>

De rien : pur plaisir. Et par perversion pure, je me suis reporté à
l'ouvrage princeps, à savoir l'_Oxford English Dictionary_ (2e éd., 1989) en
20 volumes. Un rappel : l'aspect "finances" n'apparaît que comme origine du
terme *allemand* "Verleger", pas pour "stationer".

Pour "stationer", indiquant que le commerçant, artisan ou négociant tenait
échoppe fixe (principalement utilisé pour des libraires), l'emploi direct du
terme latin "stationarius", au Moyen Age, s'explique par le fait que de tels
négociants en livres jouissant d'un point de vente stable étaient
excessivement rares, si ce n'est dans les villes universitaires. Ces
commerces étant alors sous licence universitaire - et les universités de
l'époque étaient, on le sait, en Angleterre comme en France, des
institutions ecclésiastiques.

Au sens de libraire, ou plus généralement personne impliquée dans le
commerce du livre ou toute activité connexe :

1262 Memoranda Roll 45 & 46 Hen. III, m. 9b : Mandatum est vicecomiti quod
venire [faciat] ... Reginaldum stacionarium Oxoniensem ad respondendum
Ricardo Brun de Rowell', clerico de scaccario, de I codice precii .xx. s.
quem ei debet, et iniuste detinet, vt dicit. (Un certain Reginald,
"stacionarius" [sic] d'Oxford [Oxioniensem], est mandé à répondre à Richard
Brun de Rowell, clerc de l'échiquier [Trésor royal], de ce qu'il lui doit un
codex de 20 sous de prix, qu'il n'aurait pas livré.)

1393-1394  Rolls of Parlt. III. 326/i : Statiners & Bokebynders del dit
Universite [of Cambridge]. (Les "Statiners" [sic] et "Bokebynders" [resic =
"bookbinders" en orthographe moderne, soit les relieurs] de ladite
université [de Cambridge]. Où l'on voit une distictions entre libraires et
relieurs.)

c. 1440 (? ou 1460) Promptorium parvulorum sive clericorum, lexicon
Anglo-Latinum princeps, 471/2 : Stacyonere, or he [th]at sellythe bokys,
_stacionarius_, _bibliopola_. (D'après ce "premier dictionnaire
anglais-latin pour les tout-petits ou les clercs" [sic], le "stacyonere"
[sic] est celui qui vent des livres.)

Etc. A noter une référence plus tardive :

1625 George Wither, The Scholars Purgatory, 116 : An honest Stationer is he
that exercizeth his Mystery (whether it be in printing, bynding, or selling
of Bookes) with more respect to the glory of God ... then to his owne
commodity. (Où l'on voit le champ de l'activité du "stationer" englober
"l'imprimerie, la reliure, ou la vente de livres".)

Au sens de "libraire-éditeur" (désormais non usité) :

1541 Robert Copland, The questionary of cyrurgyens, with the formulary of
lytell Guydo in cyrurgie... : To Rdrs., A certayne younge gentyll man ...
moued the ryght honest Henry Dabbe bybliopolyst & stacyoner to have it
translated in to englysshe. (Le présentateur de ce "questionnaire des
chirurgiens et formulaire de chirurgie" indique qu'il a persuadé Henry Dabbe
"byblyopolyst" [sic, pour "bibliopolist" = libraire, vendeur de livres] et
"stacyoner" de faire traduire l'ouvrage en anglais.)

Au sens de "scribe", "copiste" (rare à l'époque, et désormais inusité) :

1583 William Fulke, A defense of the sincere and true translation of the
holie scriptures into the English tong, iv. 138 : The other translatours ...
left out that title altogither, as being no part of the text and word of
God, but an addition of the stationers or writers. (Pour l'auteur de cette
"défense de la juste et sincère traduction des saintes écritures", certain
titre aurait été omis par les autres traducteurs, comme étant une
interpolation ou addition des "stationers" ou scribes.)

L'évolution plus tardive vers le sens restrictif de "personne faisant
commerce d'instruments, fournitures et matériels pour l'écriture" s'explique
par le fait que cette activité était partie intégrante du fonds de commerce
d'un "stationer" au sens large.

1656 Thomas Blount, Glossographia, or a dictionary interpreting such hard
words ... as are now used : _Stationer_ ... is often confounded with
Book-seller, and sometimes with Book-binder; whereas they are three several
Trades; the Stationer sells Paper and Paper-books, Ink, Wax, etc. The
Book-seller deals onely in printed Books, ready bound; and the Book-binder
binds them, but sells not. Yet all three are of the Company of Stationers.
(Pour ce dictionnaire, le "stationer" ne doit pas être confondu avec le
libraire ni avec le relieur. Le "stationer" vend "du papier, des cahiers de
papier, de l'encre, de la cire, etc." Le libraire vend des livres déjà
reliés, le relieur les relie, mais ne les vend pas. Toutefois, les trois
professions relèvent de la Company of Stationers - la guilde des libraires,
fondée à Londres en 1556 [succédant à une guilde antérieure fondée en 1403],
et dont relevaient également les imprimeurs. Selon l'_Oxford English
Dictionary_, ce dictionnaire reflétait sans doute ici, par les distinctions
qu'il affirme, le parler en usage chez les professionnels depuis de longues
années.)

1755 Samuel Johnson, A dictionary of the English language : _Stationer_ ...
2. A seller of paper. (Entrée sans appel du grand lexicographe...)

Enfin, pour "stationary" comme substantif, ce terme désignait un officiel du
palais (royal household), dont le titre était en fait synonyme de
"stationer" (sens désormais inusité) :

1485 Rolls of Parlt. VI. 375/2 : Lettres Patentes made under oure greate
Seale to Piers Actores, of the Office of oure Stationary. (Lettres patentes
accordées à Piers Actores, de l'office de notre "Stationary".)

Quant à l'adjectif "stationary", il apparaît (pour ce qui nous occupe) au
sens de "se rapportant à un "stationer" (au sens large)" (sens désormais non
usité) :

1630 Isaac Craven, Gods tribunall and mans tryal, Ep. Ded. A2 :
Consciousnesse of mine owne meanenesse and withall the the great disparity
twixt a liuely voice, and breathlesse lines, haue easily dissuaded me
hitherto from appearing in Stationary view. (L'auteur de ce "tribunal divin
et jugement de l'homme" explique, en son épitre dédicatoire, que sa modestie
l'avait prévenu d'apparaître, jusqu'alors, en vue "stationnaire" - chez le
"stationer", donc.)

Quant aux fournitures (papier, encre, cire...), elles prennent naturellement
le nom de "stationary ware". Sous l'influence de "stationer" (au sens
restreint), on voit l'apparition du substantif "stationery", pris absolument
(mais souvent initialement écrit avec un "a" : "stationary", orthographe
vite considérée comme fautive) :

1727 Nathan Bailey, An universal etymological dictionary, vol. II :
_Stationary_, Stationers Wares.

1828-1832 Noah Webster, An American dictionary of the English language :
(référence sans citation) [sans doute "stationery"].

1837 Henry Hallam, Introduction to the history of literature in Europe in
the 15th, 16th and 17th centuries, I. I. iii. § 145 : They sold parchment
and other materials of writing, which with us have retained the name of
stationery.

En attribut "stationery ware" (initialement plutôt "stationary ware") :

1679-1688 : Moneys Secr. Serv. Chas II & Jas II (Camden) 153 : To Margt
Royston ... in satisfacc'n of so much money due to her for stationery wares
supplied by her husband to the Earl of Middleton ... 133 11 0. (Soit,
d'après ces registres des fonds du service secret de Charles II et Jacques
II, la somme alors fabuleuse de "133 [livres] 11 [shillings] 0 [penny]" en
règlement de fournitures ["stationery wares"] livrées par le mari d'une
certaine Margaret Royston au comte de Middleton.)

1689 Order in Council du 24 octobre, publié dans la _London Gazette_ n°
2500/1 : Stationary Ware.

1798 Report of the Committee of the House of Commons (1803) XIII. 427 :
Stationary Office. This Office was established in 1786 ... with a view to
the saving of Expenses, ... and to guard against Abuses in the application
of the Stationary necessary for carrying on the business of Government. (Ce
rapport parlementaire évoque la création, en 1786, du Stationary Office
[sic, pour "Stationery Office", orthographe actuelle pour cet organisme],
avec la misssion de permettre des économies dans les fournitures utilisées
pour les affaires de l'Etat. Le Stationery Office [HMSO] a vite pris des
fonctions d'imprimeur et d'éditeur, à l'instar de l'Imprimerie royale, puis
nationale, française...)

Voilà... il y aurait autant à dire sur "editor", "edition" et sur
"publisher"...


> De : "Jef Tombeur" <jtombeur@xxxxxxx>
> Répondre à : typographie@xxxxxxxx
> Date : Tue, 6 Apr 2004 21:15:54 +0200
> À : <typographie@xxxxxxxx>
> Objet : Re: [typo] étymo [était : chif. rom.]
> 
> 
> ----- Original Message -----
> From: "Jean-François Roberts" <jean-francois.roberts@xxxxxxxxxx>
> To: <typographie@xxxxxxxx>
> 
>> Je répondrai donc à la provocation ;)
> 
> Et merci d'avoir relevé le gant...
> 
> Bon, sur le détail, à savoir si les _stationers_ sont d'abord des
> libraires, des négociants, des financiers ou des imprimeurs-libraires, il
> faudrait examiner les archives de la Livery Company, etc.
> Mais c'est vrai... Les libraires-négociants dominent.
> 
> Merci de cet éclairage...
>