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Message : [typo] Réponseargumentée (?) aux Khmers verts

(Eric Angelini) - Mardi 25 Octobre 2005
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Subject:    [typo] Réponseargumentée (?) aux Khmers verts
Date:    Tue, 25 Oct 2005 11:09:52 +0200
From:    "Eric Angelini" <Eric.Angelini@xxxxxxx>

> En effet l'usage d'encre et de papier contribuent à l'effet
> de serre et cette (ou ces) feuille(s) deviendront déchets.

... Délicieux plaisir d'être hors charte parfois -- et pas qu'un
peu, mon capitaine !
à+
É.
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Faut-il brûler Kyoto?
Corentin DE SALLE

Mis en ligne le 24/10/2005
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Le réchauffement n'est pas, loin s'en faut, le problème le plus préoccupant auquel le monde doit aujourd'hui faire face. Le Protocole de Kyoto est un choix et ce dernier a un prix.

Une sphère parfaite. Voilà comment les Anciens appréhendaient l'Univers. Le Kosmos est cette entité verrouillée, limitée, ordonnée, harmonieuse et signifiante où chaque être (animal, homme ou dieu), chaque corps se voit assigner un lieu et une finalité. Plus d'un millénaire durant, l'espèce humaine a vécu dans la servitude dorée du monde clos. Cette belle totalité a, on le sait, volé en éclat avec la modernité occidentale qui lui a substitué un univers acosmique, infini, chaotique, manipulable, dénué de signification et dont l'homme est devenu le moteur héroïque.

Les problèmes environnementaux auxquels le Protocole de Kyoto entend faire face ont rappelé, dit-on, l'homme prométhéen à plus d'humilité. On connaît la litanie: nos ressources sont limitées, notre croissance ne sera pas indéfinie. Sacrifions le nucléaire, restaurons l'harmonie et ordonnons nos vies dans le respect des contraintes naturelles. Réintégrer le Kosmos, tel est le projet de Kyoto. Telle est aussi la tentation de l'âme européenne aspirant au rapetissement voire à la petitesse.

Se prononcer contre Kyoto, c'est s'excommunier ipso facto du cénacle des belles âmes «concernées» par l'environnement. Pourtant, s'il est un domaine où bâtir des certitudes s'avère hasardeux, c'est bien ce dernier. On est frappé par l'asymétrie existant entre, d'une part, l'opinion publique (citoyenne, politique et médiatique) dans laquelle règne un consensus sur le sujet et, d'autre part, les positions de la communauté scientifique qui sont - on le sait moins - assez divisées. L'écologie fournit l'exemple, malheureusement intéressant, d'une discipline scientifique dont l'enseignement est totalement perverti par l'idéologie.

Posons-nous quelques questions. Y a-t-il consensus chez les scientifiques quant à la thèse du réchauffement de la planète? Non. Y a-t-il consensus chez les scientifiques quant à l'influence du dioxyde de carbone sur ledit réchauffement? Non plus. Y a-t-il consensus chez les scientifiques quant à la pertinence du protocole de Kyoto pour faire face aux problèmes environnementaux? Encore moins. En témoigne une pétition signée par 18.000 scientifiques fermement opposés à ce protocole.

Basé à Genève et dépendant des Nations unies, le GIEC (Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat) est l'institution oraculaire délivrant les dogmes scientifiques à l'origine du protocole de Kyoto. Des versions vulgarisées de ses travaux sont reprises littéralement, sans nuances ni recul critique, dans tous les journaux du monde, avec évidemment une prédilection de ces derniers pour les estimations les plus catastrophistes: selon le GIEC, la fourchette du réchauffement probable de la planète d'ici 2100 varie entre 1,4° et 5,8° Celsius. Dans les débats, il est toujours question de 4 à 6 degrés.

Il est des vérités dûment établies. Ainsi, personne, hormis quelques fantaisistes, ne conteste la réalité du trou d'ozone. Ce n'est pas le cas de la thèse du réchauffement qui connaît moult détracteurs. Ladite théorie - il s'agit d'une théorie et non d'un constat empirique (le réchauffement du «climat global» est, non pas «constaté» mais «anticipé» par une simulation nécessairement déficiente vu le nombre considérable de lacunes dont souffre encore aujourd'hui la science climatique) - repose sur l'étude de Mann, Bradley et Hughes publiée dans la prestigieuse revue «Nature». La notion même de «climat global» pose question car, généralement, les climatologues raisonnent sur des températures locales et non pas des moyennes. Depuis 20 ans, la côte est de l'Islande se réchauffe tandis que sa côte ouest se refroidit. L'Islande se réchauffe-t-elle ou se refroidit-elle? Depuis un siècle, la température de l'Ukraine a augmenté de 0,6 degré et celle de la vallée du Nil a baissé d'un degré. Cela a-t-il un sens de tracer une moyenne? Ne nivelle-t-on pas ainsi un certain nombre de phénomènes distincts? Récemment, Mc Intyre et Mc Kitrick, sur base de données plus complètes et plus précises sont revenus sur l'étude de Mann et consorts: sans nier l'actuel réchauffement, ils démontrent qu'un réchauffement d'une ampleur supérieure a eu lieu au XVe siècle. En outre, la modélisation ne tient aucunement compte des probables progrès en matière de lutte contre le réchauffement, postulant que l'humanité sera, d'ici un siècle, restée exactement au même stade technoscientifique (alors que, bizarrement, la croissance, dans ce scénario, conserve le même taux de progression).

Néanmoins, ladite théorie fait autorité et est même reprise par Lomborg, auteur d'un best-seller iconoclaste sur l'état de la planète. Ce qui est plus problématique, c'est la question de savoir si le dioxyde de carbone d'origine humaine exerce un impact sur le réchauffement. Notons d'abord que le gaz à effet de serre est, en soi, une bénédiction pour la planète: si ce dernier n'existait pas, la température moyenne du globe serait inférieure de 33 degrés à ce qu'elle est et il est peu probable que la vie aurait pu s'y développer. La quantité totale de dioxyde de carbone produite par la nature est de l'ordre de 250 milliards de tonnes par an et celle engendrée par l'homme avoisine les 7 milliards de tonnes. L'influence de la croissance sur le réchauffement n'est pas quantifiable avec précision. Par contre, les dommages économiques consécutifs à la baisse de croissance induite par Kyoto peuvent, eux, être évalués. Le GIEC a modalisé 4 scénarios de 2000 à 2100. Si on ne fait rien, le dommage occasionné à la planète serait de 4,8 milliards de dollars. Par contre, le coût de Kyoto, dans les trois autres scénarios, s'échelonne de 140 à 274 milliards de dollars, perte principalement - quoiqu'indirectement - supportée par les pays en voie de développement.

Quel sera l'impact du protocole sur l'augmentation du réchauffement de la planète? Ici, tout le monde est d'accord: il sera dérisoire. Le résultat - à ce point insignifiant - ne serait même pas mesurable. La revue «Science» l'évalue, pour 2100, à 0,15° de moins par rapport à un monde sans protocole (ce qui revient en définitive à retarder le réchauffement de six ans). L'objectif est évidemment symbolique: créer un oecuménisme planétaire par rapport à la nécessaire prise en compte des problèmes environnementaux. C'est juste un premier pas. On estime qu'il faudra au moins 30 autres Kyoto au cours de ce siècle pour éviter le réchauffement. Ce qui ne manque pas de faire peur vu l'impact désastreux du premier protocole en terme de croissance.

Le réchauffement n'est pas, loin s'en faut, le problème le plus préoccupant auquel le monde doit aujourd'hui faire face. Kyoto est un choix et ce dernier a un prix. On estime qu'il s'élèvera - au minimum, probablement beaucoup plus - à près de 150 milliards de dollars par an. A titre indicatif, 70 à 80 milliards de dollars par an permettraient, selon l'Unicef, à tous les habitants du Tiers-monde d'avoir accès à des services fondamentaux tels que la santé, l'éducation, l'eau et l'assainissement. Pour des coûts aussi désastreux et des résultats aussi dérisoires, est-il si opportun de ralentir notre croissance? Quand on constate qu'aucun pays n'a, jusqu'à présent, respecté les quotas qu'il s'est imposé, est-il si sage de rejeter d'emblée des projets moins ambitieux mais plus efficients tels que ceux, notamment, proposés par les Etats-Unis, patrie du mal absolu?

Dans la perception du monde comme un ensemble fini aux ressources limitées, il paraît a priori raisonnable de décélérer pour ne pas hypothéquer l'avenir des générations futures. Dans une précédente chronique, nous avons écrit quoi penser de la prétendue limitation des ressources. Le vrai débat ne concerne pas la pénurie de ces dernières mais la nuisance que leur utilisation peut générer quant à l'environnement. La pollution suit une courbe en U renversé. Selon cette «courbe environnementale de Kusnetz», la pollution augmente avec l'industrialisation mais, au-delà d'un certain stade de développement, elle se stabilise et régresse en raison du progrès technique. Ainsi, depuis 1980, l'air de Londres est redevenu beaucoup plus pur qu'il ne l'était à la fin du XVIe siècle. Le développement économique porte en lui ses propres remèdes. Heidegger affectionnait cette sentence d'Holderlin: «Là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve».

La tradition cosmologique a sa cohérence et sa dignité. Elle a légué à l'humanité une sagesse appartenant au patrimoine vivant de cette dernière. Mais, face aux défis actuels - parmi lesquels l'impérieuse nécessité de nourrir chaque jour six milliards d'estomacs, davantage demain, et l'impératif de doter les générations futures des moyens matériels et technologiques pour faire face à des problèmes toujours nouveaux, cette antique conception s'avère périmée, étriquée et dangereuse.

Non, les frontières de la sphère ne sont pas le terminus ontologique de l'humain mais de simples barrières mentales. La terre n'est pas cette petite planète dont on a fait la tour, cette irrémédiable prison que nous devrions nous contenter d'administrer harmonieusement. C'est bien plutôt la matrice d'une infinité de possibles, la plate-forme de l'aventure et de la destinée humaine.

© La Libre Belgique 2005

http://www.lalibre.be/article.phtml?id=11&subid=118&art_id=247075

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