De part et d’autre de cette question les arguments invoqués m’apparaissent faibles.
J’en suis venu à conclure il y a déjà longtemps que l’absence de signes diacritiques sur les capitales et les majuscules ne découle que d’une convention non écrite ; une simple pratique (un laisser-aller ou même une déviance diront certains) qui, au fil des époques semble ne pas avoir été remise en question pour diverses raisons : tradition, raisons techniques, esthétique, etc., qu’on s’amuse encore une fois à rationaliser sur cette liste.
Croyant pour ma part que d’omettre l’accentuation n’est pas plus justifiable sur les majuscules que sur les minuscules, je pratique systématiquement l’usage de majuscules accentuées. Je crois d’ailleurs constater que de plus en plus de publications adoptent cette pratique depuis l’abandon des machines à écrire. Je m’en réjouis mais ne saurais trouver suffisamment de ferveur pour diatriber sur le sujet, bien que je me souvienne d’avoir invité des impies à trouver le droit chemin.
Jean-Michel Paris
On 08-10-31, at 08:15, Jacques Melot wrote: Le 2008-10-31, à 9:15 +0100, nous recevions de Amalric Oriet :
Le 30 oct. 08 à 22:14, Jacques Melot a écrit :
[J. M.] Mais non, mais non. Il s'agit là d'une explication ad hoc éculée, qui s'écroule lorsqu'on examine l'histoire de l'écriture des autres langues et qu'il est étonnant de voir invoquée dans un forum de typographie. D'ailleurs, même si là était la raison de l'usage français, qu'il n'en s'agirait pas moins d'une convention. Cela n'a rien à voir avec l'orthographe. Lorsque j'écris « elle est grade », je commets une faute d'orthographe : cette altération de l'écriture degrande (adjectif) ne correspond à aucune convention. L'absence conventionnelle des accents sur les majuscules, elle, ne gêne en rien la lecture et ne se remarque pas, à tel point qu'après avoir refermé le livre, nous serions bien en mal de dire si les majuscules y sont accentuées ou non (à moins, bien sûr de s'intéresser spécialement à cette question, ou, comme cela m'est arrivé en lisant un livre de Duneton, La Mort du français, d'avoir été frappé par la laideur particulière d'une lettrine accentuée ! Pas à chercher loin : c'est le premier mot du livre).
Ces suppressions ne sont pas le résultat d'une mauvaise connaissance de l'orthographe ou d'une distraction - sinon les accents ne manqueraient qu'ici et là : elles résultent de l'application d'une règle basée sur un long usage, laquelle d'ailleurs connaît quelques variantes. L'essentiel est qu'une fois l'une d'elle adoptée, elle soit appliquée avec esprit de suite. Cela rappelé, qu'on ne me fasse pas dire ce que je n'ai pas dit : il est des circonstances où il est souhaitable ou même indispensable d'accentuer les majuscules, notamment dans certains domaines de l'édition didactique.
Jacques Melot
Chouette, on replante le marronnier des majuscules accentuées ! :-D
D'accord avec vous pour reconnaître qu'il s'agisse d'une (et même de plusieurs) conventions. D'accord aussi pour considérer l'explication de la dactylographie comme non pertinente. D'accord encore pour convenir qu'il s'agit d'un usage ancien et qui ne s'est d'ailleurs pas appliqué de la même façon pour toutes les majuscules accentuées. Même à la limite d'accord pour admettre que leur absence ne gêne en rien la lecture (non plus que leur présence d'ailleurs).
Mais que je sache, cet usage ancien s'est toujours appuyé sur des arguments plus ou moins solides pour justifier son parti.
[J. M.] Il ne s'appuie pas du tout sur une argumentation. Il se contente d'exister, si l'on peut dire. Comme en ce qui concerne les usages en général, celui-là est apparu, comme un chemin apparaît là où les hommes passent, et une étude (qui promet d'être laborieuse) pourrait permettre d'établir, au moins partiellement, le pourquoi de son existence. L'usage étant installé, il faut par contre développer une argumentation convaincante pour l'abandonner... à moins qu'un autre s'installe de lui-même sans qu'on ait besoin de le promouvoir. Les deux cas sont possibles.
Vous les connaissez à l'évidence beaucoup mieux que moi (absence dans les polices de labeur, coût, fragilité, problème d'interlignage, esthétique (?), paresse, justification par une très ancienne tradition...).
[J. M.] Il peut y avoir de cela, mais, dans quelles proportions, cela reste difficile à établir. Par exemple, l'explication par les limitations de la machine à écrire, parfois aussi avancée, ne tient vraisemblablement pas. Dans des pays à l'époque très pauvres et donc aux moyens techniques très réduits comme l'Islande, on avait des machines à écrire permettant de mettre tous les accents requis pas la langue, y compris sur les capitales, accents qu'il ne viendrait à l'idée d'aucun Islandais d'omettre, jadis comme maintenant. Quand on veut ou doit, on peut, et ce qui était possible en Islande, l'était sans comparaison plus encore en France. Or les machines à écrire françaises ne permettaient pas cette accentuation.
En fait, il semblerait que les typographes français, qui n'ont pas la réputation d'avoir été des fainéants ni des dilettantes, ont tiré parti de quelque chose que l'on a redécouvert ou rappelé assez récemment, à savoir qu'un texte restait lisible lorsqu'on l'altérait partiellement. La suppression des accents sur les majuscules dans un texte courant ne gêne en rien la lecture et les contre-exemples que certains se complaisent à nous opposer ne sont que des constructions ad hoc ou encore des maladresses engendrant des ambiguïtés tout à fait analogues à celles d'origine syntaxique qu'il ne viendrait à l'idée de personne d'exploiter en vue de changer les règles de grammaire. Pour prendre un exemple, un titre non accentué comme « UN POLICIER TUE », dans la mesure où il ne s'agit pas d'un exemple construit, est une maladresse de rédaction au même titre qu'un « il prend son chapeau », lorsqu'on oublie de tourner le contexte de manière à ce que le lecteur sache à qui se rapporte « son » (le sien ou celui de quelqu'un d'autre ?). L'argument de l'ambiguïté est donc nul et non avenu.
Il s'est donc souvent agi d'impératifs techniques. Je n'ai pourtant pas l'impression qu'il ait jamais été dit ou écrit que la non accentuation des majuscules était une manière CORRECTE d'écrire les mots qui les requièrent.
[J. M.] Pas plus que, dans des circonstances normales, on se regarde marcher, on ne détaille l'usage, lorsqu'il en est un : vous interrogez-vous en permanence sur le bien fondé de ne pas mettre d'espace devant une virgule ? Non, vous « vivez » cette convention sans état d'âme. Cela dit, l'usage est un grand maître et le fait de le suivre est une manière implicite de dire que ce que l'on fait là est correct.
Nul doute que si aucun de ces problèmes ne s'étaient posés aux premiers imprimeurs (les consciencieux bien sûr), ils les auraient employés aussi logiquement et régulièrement que les minuscules accentuées. Pourquoi ? Parce qu'ils avaient malgré tout bien conscience qu'en devant renoncer à les utiliser, ils commettaient des entorses à la langue française.
[J. M.] Non, très certainement pas. C'est parce que vous avez fait vôtre cet argument récent, au point d'y voir une vérité intangible, que vous raisonnez ainsi. C'est là une pétition principe.
Qu'à la longue, ces pratiques aient accéder au statut de convention (donc pas d'accord pour leur conférer le statut de règles) ne change rien à l'affaire.
Et comme il est de bon ton dans ce genre de situation, rien ne vaut un petit appel à la rescousse de Lacroux... :-)
«Il est dans un [etat] lamentable» choquera le premier lecteur venu, qui relèvera immédiatement une faute d¹orthographe. «Les [Etats- Unis] sont dans une situation enviable» ne troublera pas grand monde; quelques pinailleurs noteront une petite négligence, aujourd¹hui bien courante. Or il s¹agit de la même faute. Pourquoi une faute inadmis- sible sur une minuscule deviendrait-elle vénielle, admissible, voire recommandée sur une majuscule?
[J. M.] Ça, c'était avant que je développe mon argumentation concernant cette question. Cette argumentation mienne, pleine de nuance et de modération -- je ne condamne pas l'accentuation des capitales, la considérant même comme nécessaire ou hautement souhaitable dans certains cas (voyez les archives du forum) --, a d'ailleurs fait école, comme j'ai encore pu le constater tout à l'heure en lisant l'intervention de Jacques André.
Jacques Melot
Cordialement, Amalric Oriet amalric.oriet@xxxxxxxxxxxxx
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