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Message : Re: [typo] Éric Angelini, 1951, 2024 et ainsi de suite

(Laurence Michel) - Samedi 05 Octobre 2024
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Subject:    Re: [typo] Éric Angelini, 1951, 2024 et ainsi de suite
Date:    Sat, 5 Oct 2024 22:18:10 +0200
From:    Laurence Michel <pourlaurence@xxxxxxx>

C'est étonnant d'avoir une vraie peine au sujet de quelqu'un que l'on n'a jamais vu.


J'avais écrit à un dénommé Angelini parce qu'un ami à lui m'avait montré ses Conseils à un jeune auteur. J'en bavais d'envie... et il me les avait envoyés avec sa folle généreuse prodigalité.

(Ils sont posés juste derrière moi depuis tout ce temps, le bracelet de caoutchouc tout sec et d'ailleurs je lui avais adressé de véhéments reproches-pour-de faux à ce propos).


Je fus ensuite destinataire, comme d'autres qui le méritaient bien mieux, de ses vœux. 

2007, risque pas que j'oublie : je l'avais remercié par une lettre écrite façon Edmond Dantès du fond de sa geôle, prétextant que je mêlais de la suie à mon propre sang faute d'encre, car la poudre blanche suspecte m'avait fait incarcérer à perpète et qu'il fallait, évidemment, m'apporter des oranges.


Je n'ai donc pas connu Éric Angelini. 

Mais on s'amusait bien de loin en loin.


Et pour les bracelets de caoutchouc momifiés, avis aux amateurs, il m'avait donné l'adresse de la maison bruxelloise auprès de laquelle il se fournissait : mais au cent.


Si ma contribution vous semble plate, je m'en fiche totalement. 

C'est tout ce que je savais ou presque de cet homme étincelant.


Laurence



Le 04/10/2024 à 23:56, Foucauld Perotin a écrit :
Bonsoir Typo,

C’est avec beaucoup de tristesse que j’annonce à celles et ceux que l’ignorent encore le décès de mon très cher ami Éric Angelini. 

J’ai rencontré Éric la première fois à Bruxelles, au Typothon chez Jean-Pierre Lacroux, dont il était l’ami. D’ailleurs je me suis trompé sur son mom la première fois en l’appelant Angeli. « An non ! pas “ange”, Angelini “petit ange” ! » Je fus inscrit sur la liste des privilégiés qui recevaient chaque année ses vœux, magnifiques œuvres de l’imagination, magnifiques objets. Et nous sommes devenus amis. 

Ceux qui lisent la liste Oulipo y trouveront un bel hommage par Gilles Esposito-Farese. 

Éric est un ami irremplaçable. Quand on dit que quelqu’un aime la vie et les gens, s’intéresse à tout, c’est souvent une formule un peu creuse. Pour Éric c’est différent ! Une ferveur et une vitalité joyeuse, et puis une multiplicité d’appétits proprement sidérante ! Nous le connaissions ici pour la typo (ses vœux disaient ce goût pour la typographie, il les inventait puis les faisait produire pat une ou un artiste) mais c’était aussi la langue et la littérature (Perec tant admiré et l’Oulipo), l’autoréférence dont il était le maître, les suites d’entiers incroyables qu’il inventait (encore une sur son blog trois jours avant sa mort), les échecs, l’art contemporain dont il avait une connaissance encyclopédique sans égale, la vie des sciences, le cinéma... Les idées et la politique. Je me suis engueulé avec Éric 100 fois, parfois sévèrement, toujours au sujets d’idées (sur l’art, sur la politique), mais jamais brouillé durablement. Une vraie brouille avec Éric était impossible, parce qu’il avait le talent de l’amitié. 

J’étais hier jeudi aux obsèques d’Éric à Bruxelles, auprès de son épouse Pascale, des ses enfants Cécile et Lorenzo, et avec ses amis. Pendant la cérémonie, Pascale a lu un petit texte d’Éric Chevillard qui parle du réel par le persil et le calcium, et qui fut celui des vœux de 2007 (vous vous souvenez de cette poudre blanche qui se répandait partout à l’ouverture de l’enveloppe...) C’est aussi un hommage à Clément Rosset, le philosophe qu’Éric admirait tellement, le philosophe du réel.

Éric Chevillard était l’écrivain contemporain qu’il aimait et admirait le plus. Il lui transmettait systématiquement les coquilles qu’il repérait dans ses textes publiés en ligne, par un mail joliment tourné. Cécile a écrit à Chevillard qu’il ne recevrait plus de compte-rendu de ses coquilles. Chevillard en fut ému, et il répondit qu’il pensait à introduire une coquille volontaire pour forcer Éric a se réveiller...

J’aime citer mon palindrome d’Éric préféré (il en écrivit tant) Dans le Bestiaire... il en crédite une lectrice par facétie, cette fois encore (en fait une identité de son épouse).

  À la révérée île de Malte
 
  À La Valette,
 
  Jette la palette,
  Jette la palette,
  Jette la palette,
  ...
  Jette la palette,
  Jette-la !
 
  Va là,
  et l’âme déliée rêvera, là.

  http://www.cetteadressecomportecinquantesignes.com/Best03.htm

Vous trouverez des textes d’Éric sur son ancien web à l’URL autoréférente, laissé en friche depuis de nombreuses années.

  http://www.cetteadressecomportecinquantesignes.com
  
Et puis sur son blog, qu’il a alimenté jusqu’à ses tous derniers jours.

  http://cinquantesignes.blogspot.com 

Éric souffrait d’un vilain cancer depuis longtemps, mais son oncologue lui avait promis quelques années de rab. Et puis un arrêt cardiaque l’a emporté sans prévenir, pendant son sommeil semble-t-il. Il avait réservé un tennis pour le lendemain.

Je joins à ces lignes une photo d’Éric à New York en mai 2008, l’avis facétieux passé dans Le Monde, saluant les suites de nombres insensées qu’Éric inventait, et le texte de Chevillard pour les vœux de 2007. 

Amitiés,

FP 


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