Petites capitales

Taille des petites capitales

Pourquoi dit-on que les petites capitales doivent être plus grandes que l’oeil des bas de casse ?

Cette question a suscité de nombreux échanges, sur la liste comme ailleurs, comme par exemple :

J. André : ­ Il est donc intéressant de signaler que Tschichold leur consacre un chapitre d’une quinzaine de pages dans Livre et typographie [...]

“Les vraies petites capitales, la plupart légèrement plus hautes que le n bas de casse sont gravées dans tous les corps courants et n’ont pas la même forme que les grandes capitales d’un corps plus petit, mais elles sont plus larges et, en proportion, plus fortes que celles-ci.” (page 141).

T. Bouche : « l’usage des petites capitales est probablement une tradition latine. ce qui expliquerait l’incompréhension flagrante qu’il y a lorsqu’on en parle avec des anglo-saxons (ou des gens d’ici formés par des anglo-saxons). J’ai l’impression que les latins emploient des petites capitales de la hauteur des lettres courtes, avec approches sensées ne nécessitant pas d’espace supplémentaire (exemple : le didot) ­ l’oeil latin étant habitué à cet usage n’a aucun problème pour lire par exemple les noms de lieux dans les romans naturalistes ; tandis que les saxons utilisent des petites capitales qui ressemblent plus à des capitales réduites, qui sont un peu plus hautes que les lettres courtes, ne se marient donc pas vraiment au texte h & bdc (= u&lc ;-) environnant, et nécessitent un peu d’interlettrage. »

J. Paterson : « Par ailleurs, les petites capitales du Ramat sont nettement plus grandes que les b. de c. Si les minuscules sans jambages ont 60 % de la hauteur des capitales, ses petites capitales font environ 80 %, ce qui paraît beaucoup même à mon oeil anglophone. »

Tentative d’explication

Il faut reconnaître que cette différence entre la hauteur d’oeil des petites caps intrigue, surtout quand l’intention manifeste est que les petites caps soient des capitales de la hauteur de l’oeil des bas de casse.

À relire Tschichold, des soupçons se font jour : « Une imprimerie qui ne dispose pas de vraies petites capitales doit s’arranger avec des grandes capitales d’un corps plus petit. Ces grandes capitales sont ou bien trop grandes ou bien trop petites, et toujours trop frêles en comparaison avec les bas de casse du caractère de base. »

La gravure de vraies petites caps représentaient un travail considérable, par rapport à leur fréquence. Est-il déraisonnable d’imaginer que des imprimeurs aient pu trouver plus rentable d’utiliser des capitales d’un corps inférieur, ou que des fondeurs peu scrupuleux aient utilisé des poinçons de capitales pour graver de soi-disant petites capitales, qu’ils ont “refilées” à des imprimeurs pas très attentifs ?

Dès lors, sachant qu’au plomb, un corps 6,734 n’a aucune chance d’exister, il est fatal que ces petites capitales falsifiées ne soient pas exactement de la même hauteur que l’oeil des bas de casse.

Une petite expérience semble confirmer ces soupçons : prenons un caractère digitalisé d’après un original ancien, par un éditeur anglo-saxon (au hasard, Adobe). Composons d’abord une grande capitale, puis une vraie petite capitale, puis une bas de casse, dans un corps 12 (x10). Maintenant composons une grande capitale de corps 7, d’une demi-graisse supérieure (pour compenser la perte de graisse). Raté, elle est trop petite et trop maigre, cela se verra. Essayons en corps 8 : bingo ! Il faudra un oeil exercé pour distinguer dans un texte la vraie petite capitale de la petite capitale falsifiée. Seuls les empattements permettent de les différencier (on peut imaginer que cela a été corrigé lors de la digitalisation).

Même expérience, en Caslon : le corps 12 n’ayant pas donné un résultat probant, on lui a substitué le corps 11 (incidemment, il doit être possible d’utiliser cette méthode pour déterminer le corps optique d’après lequel a été digitalisée une fonte).

Même expérience, cette fois en Didot LH : on constate d’abord que les vraies petites caps sont réellement de la même hauteur que l’oeil des bas de casse. D’autre part, des petites capitales falsifiées seraient sans doute plus facilement décelables : les déliés seraient trop fins (toutefois, ceci n’est peut-être valable que pour les versions digitalisées : au plomb, les déliés étaient modulés en fonction du corps).

Pourquoi certaines traditions prescrivent-elles que les petites caps doivent être légèrement interlettrées  ?

J. André : ­ Et « les petites capitales doivent toujours être faiblement espacées ; sinon elles perdraient toute lisibilité. » (page 139).

T. Bouche : « De même, la question de l’espacement des petites capitales n’est pas une question esthétique mais un problème relié au rythme, à la couleur d’une page. Les petites capitales du didot (je pense que la version numérique de Linotype est fidèle) sont beaucoup plus larges que ne le seraient des capitales, même plus grasses, de corps inférieur. Les approches ne sont pas aussi serrées que celles de capitales destinées à cohabiter avec des bdc, mais pas démesurées non plus ; le résultat est une fonte qui respire et côtoie avec bonheur le texte courant. Il me semble donc que les petites capitales qui ont besoin d’interlettrage existent peut-être, mais sont soit dérivées trop directement de vraies capitales, soit mal conçues. »

« Bon c’est une question qui m’irrite depuis de nombreuses années. En plus je viens d’acquérir « The elements of Typographic Style » de Bringhurst qui préconise d’interlettrer (letterspace) systématiquement les petites capitales et les chiffres (il n’utilise que des chiffres bdc). Il semblerait que cette pratique soit considérée comme naturelle chez les anglo-saxons [...]. Or je trouve que ça altère le rythme et la couleur du texte sans améliorer la lisibilité, donc je n’en comprends pas l’intérêt (si j’utilise des petites caps dans un titre courant, ou en en-tête il me semblerait normal de les interlettrer un peu, par contre). »

A. Hurtig : « Ce détail est curieux... J’ignorais tout à fait que les Anglo-saxons font comme ça (on doit avoir un beau trou gris pâle dans la ligne, non ?). »

Tentative d’explication

Si effectivement l’usage de petites caps falsifiées est avéré, cela expliquerait également cette confusion sur l’interlettrage des petites caps. En effet, ces dernières auront un interlettrage correspondant à leur corps, et non à celui des bas de casse avec lesquelles elles cohabitent (comparez les lignes 1 et 2 de l’exemple ci-dessous). Pour obtenir le même interlettrage apparent, on devra donc interlettrer légèrement les petites caps falsifiées (ligne 3). Par contre, le même interlettrage appliqué à des vraies petites caps donnera un résultat aberrant (ligne 4).

C.Q.F.D.

O. Randier