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Message : AUTRANS 98 - INTERNET ET PLURILINGUISME

(Jacques Melot) - Jeudi 08 Janvier 1998
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Subject:    AUTRANS 98 - INTERNET ET PLURILINGUISME
Date:    Thu, 8 Jan 1998 11:25:27 +0000
From:    Jacques Melot <melot@xxxxxx>

   La question du plurilinguisme en général et celle de la présence de
notre langue sur l'internet sont habituellement posées dans un contexte
trop subjectivement français. Il en résulte des débats sans fin autour de
ce qui se révèle être de faux problèmes.


I. - PRÉSENCE DE LA LANGUE FRANÇAISE SUR L'INTERNET (au sens large du terme).

   Force nous est de constater que rares sont les francophones,
spécialement les Français, qui osent s'exprimer dans leur langue (ou, plus
généralement, dans une langue autre que l'anglais) dans un contexte
international, sur l'Internet en l'occurrence. Les raisons de ce phénomène
sont multiples.  Certains s'y refusent pour des raisons plus ou moins
exprimées et argumentées (le plus souvent superficielles et sans conviction
- ou contre leurs convictions !), d'autres, hélas !  fort nombreux, pour
des raisons narcissiques, d'autres enfin pour des raisons économiques ;
ceux qui n'appartiennent pas à l'une de ces catégories, souvent à court
d'arguments, suivent avec plus ou moins bonne conscience ou un sentiment de
malaise.

   Ceux qui, de manière naturelle, emploient le français pour la
communication internationale, sont rares. En ce qui concerne l'emploi du
français dans les forums internationaux, ils sont à ce point rares et
isolés que je ne connais personne d'autre que moi-même qui le fasse
régulièrement (en particulier dans des forums professionnels). Il est vrai
que je ne suis ou n'ai jamais été abonné qu'à une cinquantaine de forums,
ce qui, bien sûr, est peu relativement au nombre de forums existants ou
ayant existé. Malgré tout, en naviguant on tombe occasionnellement sur de
nombreux messages envoyés à des forums très divers et ma conclusion est
basée aussi sur cette expérience.

   En règle générale, on constate que :

- Lorsqu'une conversation ou un débat est engagé en anglais, personne n'ose
intervenir dans une autre langue.

- Lorsqu'une personne pose une question ou lance un débat dans un forum
international, cette personne n'emploie que très rarement une autre langue
que l'anglais, même si par ailleurs elle le fait à contrecoeur ou si, et je
connais de nombreux cas réels, elle le fait en parfaite contradiction avec
une conviction exprimée en d'autres lieux.


   Est-il donc impossible de continuer à s'exprimer en français sur ce
nouveau support qu'est l'internet (ss. lato) ?  Pour répondre à cette
question de manière pertinente, il ne faut sûrement pas se contenter de
considérations théoriques, mais bien se baser sur l'observation et
l'expérience vécue.

   Pour moi qui ait cette expérience (je précise qu'en dehors du français
je connais un certains nombre d'autres langues, dont toutes les langues
scandinaves, et que j'en parle plusieurs couramment), il est évident que
ceux qui s'expriment habituellement sur la question basent leur
argumentation sur une approche théorique aux prémisses fragiles, prémisses
qui reflètent le contexte étroit et relativement fermé de la francophonie
telle que nous la connaissons à l'heure actuelle et, par ailleurs,
s'appuient sur une série d'idées omniprésentes et acceptées comme autant de
vérités immanentes sans avoir jamais été passées au crible de la raison
(idées mythiques).

   Voici l'énoncé de quelques faits concernant la communication en français
sur l'internet, dans des forums dits internationaux (par « forum »,
j'entends ce qu'on appelle en anglais « discussion list » et non
« newsgroup »).

   Supposons que nous intervenions en français dans le cours d'un débat. Le
déroulement des événements  - comme il résulte de l'expérience (cf. plus
loin) -  suit régulièrement le schéma suivant.

a. Les protagonistes continuent à débattre comme si votre message n'était
pas parvenu au forum. On s'exprime par dessus votre tête :  vous êtes
invisible, vous n'existez pas. Ce peut être une expérience particulièrement
frustrante, surtout pour un débutant ou s'il s'agit d'un premier essai. Je
pense qu'il peut y avoir là une forme d'humiliation très voisine, pour
celui qui la subit, de ce qu'une personne peut ressentir lorsqu'elle est
l'objet de racisme.

b. Quelque temps plus tard, si vous continuez à lire les échanges, vous
vous apercevez alors qu'un message, puis deux, puis souvent quelques autres
encore, renferment des arguments ressemblant étrangement à ceux que vous
avez développés, voire reprennent intégralement une partie de votre
argumentation dans une traduction en anglais, en se l'appropriant. Au fur
et à mesure que de tels messages s'accumulent, vous prenez conscience que
le vôtre a été lu et qu'il agit invisiblement comme une sorte d'aimant qui
infléchit le cours de la discussion.

c. Un des protagonistes, bientôt suivi d'autres, fait référence explicite à
votre message, parfois indirectement en dénonçant, pour l'affaiblir, un
participant qui a eu la mauvaise idée de reprendre à son nom une partie de
votre argumentation.

d. Les autres ne peuvent plus vous ignorer et le font aussi, soit
directement soit indirectement, ou encore se taisent.

e. Votre message est commenté et interprété ouvertement. Dans bien des cas
vous vous retrouvez sur la sellette  - seul, à cause du caractère unique
que vous communique votre particularité. Une telle intervention apparaît en
effet très nettement indissociable de la langue et de la culture associée,
et il en résulte une différence très nette d'atmosphère.

f. Ce faisant le profil des intervenants change. Certains, jusqu'à là
prolixes, désormais se taisent, d'autres ayant peu ou pas intervenu
commencent à le faire et le débat prend une autre tournure. Phénomène
intéressant à noter, il naît fréquemment une forme particulière de
compétition entre les différents participants :  c'est à celui qui,
implicitement et plus ou moins subtilement, montrera une meilleure aptitude
à comprendre le français ou fera preuve de plus d'aisance dans cette langue
qui s'avère subitement et indirectement être un nouveau moyen de
redistribuer les cartes. Il n'y a donc pas perte dynamique, mais bien au
contraire renouveau et invigoration et ce d'autant plus que le phénomène a
tendance à éliminer le « Fachidiot » au profit du spécialiste érudit, de
l'humaniste.

   Les modifications dans le débat, dues à l'usage du français en
l'occurrence, ont donc pour conséquence remarquable une hausse de la
qualité des interventions car l'élite et les personnes ayant reçues une
éducation solide ont très souvent une formation comportant une certaine
connaissance de notre langue, notamment aux États-Unis, mais aussi en
Grande-Bretagne, en Scandinavie, en Allemagne, en Italie, etc. Or cette
élite, par nature même est minoritaire et n'est pas nécessairement
constituée par les personnes les plus aptes à avoir un ascendant sur un
groupe en raison de qualités qui n'ont rien à voir avec la compétence
technique. Cette élite retrouve donc là, par le biais du français, le moyen
de reprendre le dessus, c'est-à-dire une place qui lui revient
naturellement, et, par là, de donner libre cours à ses qualités propres
dans la spécialité concernée, au grand profit du niveau général.

   L'usage du français présente aussi un avantage surprenant, bien
qu'accessoire, que l'on découvre parfois avec plaisir ou soulagement. Pour
peu que vous vous soyez fait une bonne réputation par la qualité de vos
réponses (leur caractère original, leur exactitude, etc.), vos erreurs et
les points faibles ou peu compréhensibles qui fatalement, tôt ou tard,
entachent telle ou telle de vos interventions se voient souvent interprétés
en éléments corrects par ceux qui utilisent vos messages, comme si
inconsciemment ils vous accordaient le bénéfice du doute sur la foi de
votre réputation, en sorte que vos interventions, supposées généralement
bonnes, ont tendance même à être surestimées, ce qui vous met évidemment
dans une position particulièrement confortable.
   Ce n'est pas un de mes arguments préférés car, comme on dit, à vaincre
sans péril on triomphe sans gloire et ceux qui me connaissent savent que ce
n'est pas tellement mon genre, mais il s'agit tout de même d'un élément
appréciable qui va au secours de celui qui fait l'effort de se lancer dans
une telle entreprise et peut venir à point nommé pour lui accorder un répit
précieux au cours d'un débat particulièrement difficile. J'y vois avant
tout une excellente illustration de la locution proverbiale « Aide-toi, le
Ciel t'aidera ! ».

   Les réactions négatives exprimées sont rares, faibles, limitées et
généralement vigoureusement contrées par des compatriotes de celui qui s'y
risque.

   À titre d'exemple, je vous renvois au débat auquel j'ai participé et qui
a eu lieu dans le forum SCIENCE-AS-CULTURE de St-John's Univ.
(SCIENCE-AS-CULTURE@xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx) de la fin septembre à la
mi-novembre 1996 (concerne la question de la féminisation abusive du
langage, « "man", 'man', "woman", 'woman', "mankind", 'womankind' », etc.)



II. - PRÉSENCE DES PAYS FRANCOPHONES SUR L'INTERNET.

   J'ai beau examiner la question en tous sens, je ne vois aucun obstacle
extérieur qui nous empêcherais d'utiliser l'internet pour chercher des
informations, échanger des idées (la question de l'expression en français a
été traitée plus haut et le sera également plus loin, pour le reste) ou
publier des informations, tout à notre guise, sinon un :  les difficultés
en ce qui concerne l'usage des systèmes d'écriture différents de l'ASCII
simple (caractères accentués, caractères cyrilliques, grecs, etc.). Les
autres obstacles sont économiques et dépendent essentiellement de la
politique de nos pays (prix des communications téléphoniques, des
abonnements, engorgement des serveurs, etc.)

   Comme je ne veux pas me montrer trop long, je ne vais pas m'appesantir
sur cette question, me contentant de remarquer toutefois qu'être présent le
plus possible n'est pas un but en soi, c'est plutôt l'expression d'un désir
narcissique ou d'un soucis impérialiste. Il faut être aussi présent que
nécessaire pour des raisons sérieuses précises, ce qui est bien différent.
Nous avons déjà vu qu'il y a beaucoup moins d'obstacles qu'on le prétend
généralement à notre participation aux forums de notre choix, où qu'ils se
trouvent dans le monde, sauf bien sûr si nous allons nous immiscer dans des
forums où nous n'avons rien à faire, tel un forum traitant de la politique
municipale d'une ville étrangère, ou, évidemment, un forum regroupant par
nature des individus prônant une forme de discrimination culturelle
(mouvements WASP, etc.).



III.   DE L'USAGE DU FRANÇAIS COMME LANGUE DE COMMUNICATION INTERNATIONALE.

   C'est la qualité de note contribution à la civilisation, plus qu'un
nombre de canons, argument auxquels certains détracteurs ne manqueront
sûrement pas de penser, qui a fait du français non seulement une langue de
communication internationale  - la seconde par son importance générale
après l'anglais -, mais encore une langue des sciences, des techniques, des
arts et des métiers, ce qu'elle est toujours, malgré l'intoxication
permanente et les attaques constantes de ceux qui, pour des raisons en
dernière analyse économiques, tentent d'accréditer le contraire.

   Le statut du français est aussi la raison pour laquelle une bonne partie
des personnes participant d'une manière ou d'une autre encore à la vie
intellectuelle française ne sont tout simplement pas en mesure d'utiliser
l'anglais, ne serait-ce que pour ne pas avoir appris cette langue à
l'école, ce qui, à l'époque où ils firent leurs études, n'avait RIEN
d'anormal. Et ceci ne vaut pas que pour la France. Si tant est qu'il est
justifié, ce qui à mon avis n'est pas le cas, le passage au tout-anglais
est donc objectivement pour le moins PRÉMATURÉ, à moins de pousser le
cynisme jusqu'à assumer la réduction au silence d'une partie du monde
civilisé.

   L'usage du français pour les communications internationales n'est donc
pas artificiel mais s'inscrit dans une continuité historique et est,
d'autre part, justifié par la condition particulière des francophones. Il
s'assoit sur la contribution française à la civilisation et est conditionné
par l'impossibilité d'une modification instantanée d'une situation normale,
dont le fondement est historique (phénomène normal d'inertie culturelle et
historique).

   La conséquence la plus immédiate de l'abandon de notre langue par
certains est que le fait même sert d'argument à la suppression de
l'enseignement du français dans les pays non francophones, dans les pays
linguistiquement concurrents notamment, ce qui en retour rend la situation
du français de plus en plus précaire et renforce toujours plus
l'argumentation de ceux qui ont intérêt à voir sa disparition. Il y a par
exemple dans les tiroirs du ministère de l'Éducation nationale islandais un
projet en faveur de la suppression de l'enseignement du français pour la
raison que « tout ce qui est écrit d'intéressant en France est écrit en
anglais ou traduit dans cette langue » (exemples :  revues scientifiques de
l'Institut Pasteur, Comptes Rend. hebd. de l'Acad. des Sciences, etc.).

   Les raisons de l'abandon du français par une partie des francophones
sont essentiellement d'ordre psychologique (narcissique) et pratique, mais
dans tous les cas fondées sur une appréciation contestable de la réalité.
Cela se fait généralement au nom de l'idée mythique de la communication
internationale et dans ce cas ne peut s'expliquer que par le fait que les
francophones qui préfèrent utiliser l'anglais doutent du caractère
universel de leur langue ou n'en sont pas correctement informé, ou fondent
leur décision sur le caractère majoritaire de l'anglais. L'idée
sous-jacente, rarement exprimée et pour cause, est de publier pour être lu
par le plus grand nombre, ce qui n'est évidemment pas un but en soi, là où
la sagesse impose de publier pour ceux à qui s'adresse vraiment ce que l'on
écrit.

   Enfin, dans les pays francophones, on sous-estime généralement le nombre
de personnes qui de par le monde son susceptibles de lire le français ou de
le comprendre. La proportion des personnes présentant cette caractéristique
dans les pays germaniques non anglophones, par exemple, n'est en rien
comparable à ce que tendent à indiquer les statistiques de l'enseignement
du français, notamment en ce qui concerne les pays scandinaves.
   En effet, dans ces pays les gens ne souffrent pas des mêmes inhibitions
linguistiques que les francophones (et les anglophones) et apprennent une
langue étrangère dès l'instant où ils en ressentent pour une raison
quelconque le besoin. En Islande, par exemple, hormis l'islandais,
pratiquement toute la population à une connaissance, souvent bonne, du
danois. C'est en effet la première langue enseignée à l'école et elle est
obligatoire. Ensuite viens l'anglais, également obligatoire, puis une
troisième langue :  l'allemand ou le français. Les parents qui ont un
minimum d'ambition pour leurs enfants, poussent ceux-ci à prendre
l'allemand, qui s'avère pour cette raison fortement majoritaire devant le
français (le français est surtout choisi, comme partout maintenant, par les
filles, les élèves sans ambition professionnelles spéciales et les
littéraires). Pour terminer on peut choisir une langue supplémentaire,
éventuellement les langues classiques (latin, grec ancien). À cela s'ajoute
que tout Islandais peut lire le féroïen, qui est une langue voisine, et
comprend aisément le norvégien et le suédois, langues voisines du danois.
En revanche les Danois, Suédois et Norvégiens ne peuvent comprendre
l'islandais qu'après un apprentissage (mais ils se comprennent toutefois
entre eux spontanément). Il n'empêche que la situation est comparable dans
ces pays à ce qu'elle est en Islande et l'on peut en dire à peu près autant
des Pays-Bas et, dans une certaine mesure, de l'Allemagne. Si, dans ces
pays, l'apprentissage du français dans les écoles est relativement peu
développé, il n'en est pas moins vrais que de nombreuses personnes, plus
tard, à l'âge adulte, se mettent  - seuls ou dans une école du type
« Volkshochschule » - au français et parviennent à des résultats tout à
fait honorables (souvent bien supérieurs à ceux de beaucoup de français qui
se disent parler anglais).

   Les pays nordiques sont liés par un traité dans laquelle les états
membres (les pays scandinaves et la Finlande) ont convenu que les travaux
et relations à l'intérieur du groupe se font à l'aide des langues
nationales. Le résultat, très effectif, est une politique linguistique
cohérente, stricte et efficace.

  Pour cette raison, en Islande, comme dans les autres pays nordiques, tous
les films sont projetés en version originale (avec texte en islandais), à
chaque fois que l'on voit quelqu'un s'exprimer dans une langue étrangère à
la télévision, en particulier aux actualités télévisées, que ce soit des
politiciens, des célébrités ou de simples passants, les conversations, en
quelque langue que ce soit, sont TOUJOURS données en version originale avec
texte islandais (JAMAIS doublées). Ici nous entendons Jeltsin parler russe,
Jacques Chirac s'exprimer en français, Bill Clinton dans sa langue, nos
voisins Esquimaux dans leur langue ou en danois, et, de Sarajevo, notre
général Morillon national... en anglais. De même, dans les colloques des
traductions simultanées sont assurées, si nécessaire (essentiellement entre
le finlandais et les langues scandinaves). Entendez-vous souvent ne
serait-ce que du suédois ou du danois aux actualités des télévisions
françaises, ou même de l'espagnol ou du portugais sans que ce soit
immédiatement couvert par une traduction vocale en français ?

   En Scandinavie, apprendre une langue est aussi naturel que disons...
apprendre à utiliser les nouvelles possibilités offertes périodiquement par
l'ordinateur, ce qui, vous en conviendrez, n'est pas une activité réservée
à la seule élite, mais, au contraire, touche le grand public.

   Je ne pense pas que les Français et plus largement les francophones
soient plus bêtes que les autres, mais ils souffrent de lourdes inhibitions
en ce qui concerne l'apprentissage des langues, inhibitions auxquelles
s'ajoute un lourd passé d'impérialisme linguistique.
   On peut lever ces inhibitions, je crois, par un travail de longue
haleine sur la population française, en adoptant une politique linguistique
réaliste, suivie et cohérente. À mon avis, la survie du français comme
langue de communication et de civilisation, pas seulement comme langue
littéraire ou locale, en dépend. Du reste, il est probable que la perte de
vitalité qui résulterait de l'étiolement dû à l'impossibilité de s'exprimer
désormais en français dans les domaines des sciences, des techniques et des
métiers, se répercuterait à terme sur la création littéraire et artistique.
   Il faudrait alors parler non plus seulement d'un recul du français, mais
d'une récession de la France et d'une fossilisation de notre culture.

   Cette situation est d'autant plus préoccupante que rien de semblable à
la politique linguistique des pays nordiques n'existe pour le groupe roman,
au point que l'anglais, langue germanique, est de plus en plus employé
comme langue de communication internationale à l'intérieur de ce groupe
linguistique naturel.
   Autrement dit, il est fort possible qu'après quelques décennies les
langues scandinaves connaissent toujours une grande vitalité alors que les
langue romanes seront en forte récession. Il ne faut pas oublier non plus
que l'envahissement par l'anglais commence par les domaines les plus
spécialisés pour atteindre ensuite progressivement les autres.
   Le français est exclu depuis longtemps de la physique des hautes
énergies au point que des spécialistes de ce domaine comme R. Omnès avouent
qu'ils seraient dans l'impossibilité d'écrire leurs articles en français
s'il fallait y revenir. Après les sciences, le phénomène gagnera par
continuité les techniques de pointe, puis les métiers, le français, à
terme, ne servant plus qu'à commenter une partie de pêche ou à acheter du
pain. Est-ce cela que nous voulons ?  Est-ce pour cela que vous avez
parcouru des dizaines ou des centaines de kilomètres et sacrifié trois
jours pour vous retrouver à Autrans ?
   Cet effondrement de notre civilisation est-il inéluctable ?  Nous ne
pourrons le savoir qu'une fois que nous aurons combattu jusqu'à la dernière
extrémité, pas en adoptant une attitude défaitiste ou fataliste. Et
d'ailleurs qui sait ce que le sort peut réserver à nos adversaires ?
Est-ce une stimulation et une perspective d'avenir pour des jeunes qu'on
prépare par ailleurs au combat pour la vie par toutes sortes de discours ?
Si on les contraint à une telle reddition, on leur coupe les jarrets :  ils
ne trouveront pas la force en eux d'affronter la concurrence sans merci à
laquelle ils seront, quoi qu'il arrive, confrontés.

(À suivre. « Du plurilinguisme ».)

   Salutations amicales à tous et bon congrès à Autrans,

Jacques Melot, Reykjavík
melot@xxxxxx