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Message : Le gabonais, c'est Jouette ! :-D

(Philippe JALLON) - Samedi 07 Février 1998
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Subject:    Le gabonais, c'est Jouette ! :-D
Date:    Sat, 7 Feb 1998 17:01:10 +0100 (MET)
From:    Philippe JALLON <panafmed@xxxxxxxxxxx>

Bonjour,

Pour calmer une rage de dent, je ne suis pas allé dehors, mais j'ai lu
quelques extraits de la prose tronquée de Jouette, dont Jean-Denis a parlé
récemment :-)

On trouve des choses vraiment très curieuses, chez ce bonhomme ! Par
exemple, M. Jouette parle du « gabonais »... ;-D

C'est vrai, la langue gabonaise plus connue que le liechtensteinois ou
l'éthiopien, mais elle est pâtit de l'aura de la langue belge... :-)))))

L'étrange glose de M. Jouette illustrait un propos sur certaines
bizarreries graphiques concernant les noms propres (désolé, je n'ai pas les
références du texte sous les yeux). Ainsi s'appuyait-il sur cette langue «
étrangère » qu'est le « gabonais » pour évoquer l'irruption de l'apostrophe
dans N'Djolé (c'est le nom d'un bled).

Cet exemple - maladroitement formulé - me permet de rebondir, au moins
partiellement, sur la discussion concernant la transcription graphique de
certains phonèmes.

Mais tout d'abord, une précision s'impose : malgré un taux d'analphabétisme
(au moins fonctionnel) important, la grande majorité des Gabonais a pour
langue maternelle... le français. La plupart des langues africaines n'ayant
pas de véritable passé écrit, c'est en fait aux « trois M » (marchands,
militaires et missionnaires ; surtout à ces derniers) que l'on doit la
transcription des langues africaines en caractères latins et, partant, la
graphie à l'occidentale des patronymes et des toponymes.

Or, cette transcription s'est parfois traduites par des aberrations* au
regard des traditions linguistiques africaines. Ainsi a-t-on jugé utile
d'introduire l'apostrophe dans la graphie de patronymes et de toponymes
dont la prononciation était jugée exotique : N'Diaye, N'Djolé, M'Bourou...

Par paresse ou par ignorance (chez bien des colons, c'était aussi par
mépris), la plupart des Français en sont venus à inventer une prononciation
de pure fantaisie : « haine-djo-lé » (Ndjolé), « aime-ka-pa » (Mkapa), et
ainsi de suite. Autrement dit, utilisent trois phonèmes pour prononcer les
deux lettres initiales de ces exemples et des autres mots du même acabit...

Or, AUCUN Africain ne prononce de la sorte ! - fût-il de langue gabonaise ;-)
Tous prononcent d'une matière fluide et « soudée », c'est-à-dire à l'aide
de deux phonèmes seulement, les couples « ND », « MB » et autres « NZ ». Ce
qui semble d'ailleurs plus logique.

L'apostrophe « exotique » de certains patronymes et toponymes a donc pour
effet d'induire en erreur bien des Français et d'introduire une
prononciation fantaisiste et injustifiée. D'ailleurs, la tendance penche en
faveur de la suppression de ces apostrophes superfétatoires : on écrit plus
volontiers « Ndolé » que « N'Djolé ». Même si, dans certains cas, le doute
subsiste : au Sénégal, on trouve aussi bien des « N'Diaye » que des «
Ndiaye » ; au Tchad, faut-il écrire « N'Djaména » ou « Ndjaména » (sans
parler du problème de l'accent aigu) ?

Selon moi, la graphie sans apostrophe - avec prononciation à l'avenant - se
justifie d'autant plus qu'elle correspond à un type de sonorités dont
seulement deux d'entre elles conservent, ici ou là, à l'écrit, l'apostrophe
: N(')D et M(')B. C'est oublier toutes les autres prononciations issues du
même moule. Avec le N, il y a bien sur Ndiaye ou Ndadaye (ND) ; mais il y a
aussi les Nzamba et Nzaloussou (NZ), Ntaryamira et Ntare (NT), Nkrumah
(NK), Njawé (NJ) et autres Ngolo (NG). Même cause et mêmes effets avec le M
: au-delà de Mbaye et Mbeki, il ne faudrait pas oublier les Mkapa, Mswati,
Mvondo et autres Mwinyi. Sans compter, dans un registre similaire, les
Kpatindé, Kwabena et autres Gbedey.
Bref, autant de patronymes bien réels qui s'accommodent fort bien de
l'absence d'apostrophe.

Comme quoi, la typographie - par certains de ses attributs - peut parfois
troquer sa fonction utilitaire pour endosser l'habit militant...

Qu'en pensent nos colistiers Jacques An'dré, Jean-'Denis Ron'dinet, An'dré
Labon'té, et Olivier Ran'drier ? ;-)

-------
* L'exemple le plus frappant - dans un autre domaine - fut la conférence de
Berlin (1884-1885, avec de nombreux avatars ultérieurs) et
l'invraisemblable partage de l'Afrique qu'elle engendra. Aux yeux des
Européens, les fleuves permettaient un tracé frontalier fort pratique.
C'était oublier qu'en Afrique noire, une même entité ethnique ou clanique
se rassemble autour des fleuves, et non pas d'un seul côté des cours d'eau.
De même a-t-on jugé intelligent de découper le Togo et le Bénin (sans
parler du Ghana) du nord au sud, ce qui est parfaitement débile.


Philippe JALLON	panafmed@xxxxxxxxxxx
Directeur de la publication / Chief Editor    Médias interAfrique
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