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Message : Re: [TORY] Guillemets paleotypographiques, suite de lettrine, ...

(Olivier RANDIER) - Mardi 05 Janvier 1999
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Subject:    Re: [TORY] Guillemets paleotypographiques, suite de lettrine, ...
Date:    Tue, 5 Jan 1999 03:51:24 +0100
From:    Olivier RANDIER <orandier@xxxxxxxxxxx>

>Je me suis offert une édition en fac-similé du Champfleury de Geofroy
>Tory (pas vu dans les livres pour Noël de la liste ;-)

T'es cordialement invité à scanner quelques pages et à les mettre à dispo
sur l'heure sur un site.
Sous peine d'excommunication... ;-)

>Quelques remarques sur la composition :
>
>Lettrine
>
>Si la lettrine est un élément du premier mot la lettre suivante est en
>petite cap et les suivantes en bdc (POur). Je connaissais l'usage qui
>consiste à mettre le premier mot en petite cap pour faciliter la lecture
>en ayant une unité typo dans le mot (lettrine en cap suivie de petite
>cap), mais l'idée de ne mettre que la deuxième lettre en petite cap est
>assez étrange. Non ?

Pratique courante dans la tradition manuscrite médiévale. En fait, si l'on
regarde un certain nombre de lettrines enluminées, on trouve deux pratiques
fréquentes :
-- lettrine suivie d'une, voire plusieurs lignes en capitales,
-- lettrine suivie d'une majuscule.
La première est plus ancienne et se retrouve dans les manuscrits en
minuscule caroline ou latine, avec capitales en onciales (deux graphies
différentes).
La deuxième est beaucoup plus fréquente avec l'apparition de la gothique. À
cela, je pense, une bonne raison : la gothique est une graphie cohérente,
avec minuscule et majuscule de même facture, mais elle ne comporte pas de
capitales (il est impossible d'écrire un texte lisible en majuscules
gothiques). Les copistes ont donc du se restreindre à la première lettre.
Il faut bien comprendre qu'au début, la majuscule servait juste à indiquer
le début de phrase (et pour faire joli), elle n'avait pas la valeur
syntaxique qu'on lui prête aujourd'hui. Donc le copiste met logiquement une
majuscule au début du texte, sans compter la lettrine (qu'on peut
considérer comme hors texte).
Je pense que Tory a simplement reproduit ce qui se faisait à l'époque.
Logique si c'était composé en gothique. Ensuite les humanistiques sont
apparues, avec leurs capitales, et on est revenu aux pratiques plus
anciennes, en se restreignant au premier mot ou expression.

>Guillemets
>
>Encore des guillemets me direz-vous, et continues qui plus est ! Mais
>jamais dans le corps du texte, toujours dans la marge et, contrairement à
>ce que j'avais évoqué dans une promenade aux Puces, ils sont ici côté
>pliure (les deux). Si ce ne sont pas des guillemets je me demande à quoi
>servent ces signes en dehors du pavé à chaque citation latine ! De plus
>ils ressemblent forts aux guillemets anglo-saxons ;-)

À mon avis, à l'époque, les guillemets étaient encore une invention récente
(?). On peut imaginer que les typos ont pu essayer une foule de solutions
avant de se mettre d'accord sur la meilleure. À la pliure, c'est sans doute
la pire, mais il est vrai qu'à l'époque, on s'amusait pas à composer à
trois microns du pli.

>Point sur le I
>
>Il ressemble plus à un accent aigu qu'à un point ; ce qui permet, je
>suppose de mettre un « ? » long suivi d'un « i » sans avoir à utiliser
>une ligature qui pourrait être confondu avec « fi ».

Je ne connais pas bien le Champ Fleury (honte à moi), mais c'est pas jeune.
N'est-ce point en gothique ? Parce qu'en gothique, le point sur le i était
comme ça. Ce n'est qu'avec les humanistiques qu'il a pris la forme d'un
vrai point. Le point sur le i a été inventé, je crois, avec les gothiques,
pour qu'on puisse lire le mot minimum, par exemple (essaye, sans point, en
gothique). Ce n'était alors qu'un petit trait, fin parce que tracé dans
l'axe de la plume. Ce n'est qu'après qu'il a gonflé, la grosse tête, quoi.
Dans ce cas, rien à voir avec le « ? ».

>Ligatures
>
>Les « n » et « m » suivant une voyelle sont souvent remplacés par une
>sorte de ~ au-dessus de la voyelle. J'avais lu que l'umlaut était une
>déformation de ce signe, serait-ce une preuve française ?

Cette pratique aussi était courante dans les manuscrits médiévaux et
permettait au copiste de gagner une lettre quand il se rendait compte qu'il
avait calibré cõme un âne. Bon, j'exagère, ce genre d'artifice était alors
la seule façon de faire des lignes à peu près de la même longueur. Elle
s'est perpetué quelque temps en imprimerie, jusqu'à ce qu'un petit malin se
rende compte qu'on pouvait jouer sur les espaces après coup (ce qui est
évidêment impossible au copiste). C'est à partir de ce moment-là que tout a
cõmencé à foutre le camp ;-)
Je suppose qu'il a été brulé comme hérétique...

L'arrêt de cette pratique (je parle des ~) a beaucoup fait pour la
lisibilité des textes, de nos jours. Pour le rapport avec l'humlaut, j'sais
pas, mais c'est fort possible.

Olivier RANDIER -- Experluette		mailto:orandier@xxxxxxxxxxx
	http://technopole.le-village.com/Experluette/index.html
Experluette : typographie et technologie de composition. L'Hypercasse
(projet de base de données typographique), l'Outil (ouvroir de typographie
illustrative).