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Message : Re: Lagarde et Michard

(Olivier RANDIER) - Samedi 12 Juin 1999
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Subject:    Re: Lagarde et Michard
Date:    Sat, 12 Jun 1999 22:23:45 +0200
From:    Olivier RANDIER <orandier@xxxxxxxxxxx>

>Bonjour à tous, à toutes,
>
>Je travaille présentement sur ouvrage traitant de la poésie française du
>Moyen Âge à aujourd'hui. Ouf!
>
>Dans la Collection littéraire Lagarde et Michard (Bordas), on remarque une
>composition qui manque de consistance, à mon point de vue. J'aimerais savoir
>s'il s'agit là de règles établies (dont le raisonnement m'échappe plus ou
>moins), de fantaisies typographiques, ou je ne sais quoi.

Ah ! Lagarde et Michard, toute ma jeunesse. J'avais un prof' de français (très bon, je lui dois mon Bac) qui les appelait « Labarbe et Ringard » (mais qui s'en servait quand même)... :-)

>Par exemple, tous des titres:
>
>1. A quoi sert le Poète ? (Vigny, p. 259)
>2. o mort, ange de délivrance... (toutes en petites caps) (Vigny, p. 261)
>3. Élévation (Baudelaire, p. 433)
>4. a quoi songeaient les deux cavaliers dans la forêt (toutes en petites
>caps) (Hugo, p 178)
>
>A. D'abord, pourquoi certains titres de poèmes en petites capitales, et
>pourquoi d'autres en bas de casse? Valeur littéraire du poème?

Surement pas. Il faut plutôt chercher du côté de fautes typos oubliées et reproduites au fil des différentes éditions.

>B. Surtout, pourquoi *A* sans accent grave, *o* sans accent circonflexe mais
>*É* accentué? N'aurait-il pas fallu lire *Elévation*?

À cela, une bonne (sic) raison : dans la casse parisienne, les seules caps accentuées présentes étaient les E (É, È, Ê). Pour le À et le Ô, il fallait aller les chercher dans un casseau séparé. Inutile de dire que c'est la première chose qui était oubliée, quand le « singe » était pressé, ou pas assez payé...

>En somme, qu'en est-il de l'accentuation des majuscules (petites capitales
>ou bas de casse confondues)? Certains prétendent qu'en France, l'usage veut
>que l'on n'accentue pas ces lettres, ce qui me semble faux, ou à tout le
>moins discutable.

C'est une question qui a été largement débattue ici.

Extrait de la FAQ en cours de réalisation :

1-a -- La capitale

FAQ -- Faut-il accentuer les capitales ?

Certainement la question la plus fréquemment posée de cette FAQ !

Pourtant toutes les autorités sont d'accord sur le fait qu'elle se pose à peine. Citons, par exemple, le Lexique des règles typographiques de l'Imprimerie nationale :

« En français, l'accent a pleine valeur orthographique. Son absence ralentit la lecture et fait hésiter sur la prononciation, sur le sens même de certains mots. Ainsi convient-il de s'opposer à la tendance qui, sous prétexte de modernisme, en fait par économie de composition, prône la suppression des accents sur les majuscules. On veillera à utiliser systématiquement les capitales accentuées, y compris la préposition À. On évitera ainsi de désorienter le lecteur ou même de l'induire en erreur, comme ce pourrait être le cas dans les deux exemples suivants, si les accents étaient omis :

ENFANTS LEGITIMES et ENFANTS LÉGITIMÉS de Louis XIV

ETUDE DU MODELE et ÉTUDE DU MODELÉ. »

Et on pourrait citer des exemples innombrables, dont certains d'un bel effet comique :

UN HOMME TUE ou UN HOMME TUÉ ?

LE PREMIER MINISTRE CHAHUTE A L'ASSEMBLEE

LE PREMIER MINISTRE CHAHUTÉ À L'ASSEMBLÉE

et le célèbrissime PALAIS DES CONGRES !

Anecdote : L'accent aigu sur le E de ce glorieux édifice parisien a été rajouté récemment.
Peut-être parce qu'un restaurant de poissons (le Palais des congres, évidemment !) s'est ouvert, juste à côté ?

On peut donc se demander pourquoi cette question revient si souvent. Historiquement, l'accentuation des capitales n'a en effet pas été systématique dans les débuts de l'imprimerie, mais depuis deux siècles environ, elle est devenue la norme. Pourtant, on remarque que beaucoup de gens ont appris qu'« on ne doit pas accentuer les majuscules » (alors même que dans les livres qu'ils lisent, elles le sont). Cette légende persistante tient aux décennies d'hégémonie de la dactylographie. En effet, la machine à écrire française ne comporte pas de capitales accentuées, il est, par conséquent, impossible, avec ce matériel, de composer tout accentué. Toutes les secrétaires de France ont donc appris, pendant des années, à ne pas accentuer les majuscules. Les choses ne se sont guère arrangées avec l'arrivée de la micro-informatique, le système d'exploitation dominant (Windows) obligeant encore, il y a peu, à une incroyable gymnastique pour obtenir les accents. Même si cela a été partiellement corrigé, il est toujours difficile de lutter contre les habitudes. Certains arguent même du fait que c'est plus pratique. Or, c'est faux : l'accentuation des capitales permet de conserver la cohérence du texte lors de changements de casse successifs. Quel maquettiste ou exécutant P.A.O. n'a pas été confronté un jour au problème de devoir passer en bas-de-casse une longue liste de noms propres ou d'adresses, pour des raisons d'encombrement ? Comment, alors, rétablir l'accentuation, si elle est absente ? Il faut donc combattre cette tendance et inciter à l'accentuation systématique dès l'étape de saisie (voir la FAQ conseils de saisie -- à venir).

Voici un petit exercice qui, j'espère, convaincra le lecteur de la nécessité d'accentuer systématiquement. Prenons le joli pangramme panaccentué français suivant (© GEF) :

Dès Noël, où un zéphyr haï me vêt de glaçons würmiens, je dîne d'exquis
rôtis de boeuf au kir, à l'aÿ d'âge mûr, & cætera.

Si l'on capitalise la sentence avec un logiciel mal réglé ou mal foutu, ou si on la saisit tout en capitales sans accentuer, on obtient ceci :

DES NOEL, OU UN ZEPHYR HAI ME VET DE GLACONS WURMIENS, JE DINE D'EXQUIS
ROTIS DE BOEUF AU KIR, A L'AY D'AGE MUR, & CÆTERA.

Certes, si l'on considère que les capitales ne doivent pas être accentuées, la phrase n'est pas fautive. Mais si on la repasse en bas de casse, on obtient ceci, qui l'est assurément :

Des noel, ou un zephyr hai me vet de glacons wurmiens, je dine d'exquis
rotis de boeuf au kir, a l'ay d'age mur, & cætera.

L'exception initiale

Même parmi les typographes et correcteurs chevronnés, il subsiste une réticence à l'accentuation des capitales initiales dans les textes en bas-de-casse. L'argumentation porte sur le fait que « ce n'est pas esthétique » ou que « ça fait maniéré ». Si l'absence d'accent sur les capitales initiales pose effectivement rarement des problèmes de compréhension, il semble plus pratique de faire admettre par les profanes une règle simple, sans exception. Il n'y a aucune raison logique, et surtout pas l'orthographe, à prôner cette exception.

Si le lecteur persiste à trouver inutile l'accentuation sur les capitales initiales, qu'il considère alors l'exemple suivant, où le compositeur, après avoir traité cette phrase comme un poème, change d'avis...

Dès Noël, où un zéphyr haï
Me vêt de glaçons würmiens,
Je dîne d'exquis rôtis de boeuf au kir,
A l'aÿ d'âge mûr, & cætera.

... Et se laisse tromper par les automatismes de changement de casse :

Dès Noël, où un zéphyr haï me vêt de
glaçons würmiens, je dîne d'exquis
rôtis de boeuf au kir, a l'aÿ d'âge
mûr, & cætera.

Avec une accentuation complète, il aurait évité la faute de français sur le « à »...

Olivier RANDIER -- Experluette mailto:orandier@xxxxxxxxxxx
http://technopole.le-village.com/Experluette/index.html
Experluette : typographie et technologie de composition. L'Hypercasse (projet de base de données typographique), l'Outil (ouvroir de typographie illustrative).