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Message : Re: Classement des homographes

(Jean Fontaine) - Mardi 14 Novembre 2000
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Subject:    Re: Classement des homographes
Date:    Tue, 14 Nov 2000 02:22:32 -0500
From:    "Jean Fontaine" <jfontain@xxxxxxxxxxx>

> Ce qui est en cause, c'est la règle suivante, énoncée par Alain LaBonté :
>
> « Pour les homographes, (...) la discrimination s'effectue à rebours,
> en partant de la fin du mot et en reculant. »
>
> Je trouve cette discrimination « à rebours » relativement étrange. Je ne
> sais pas si elle a été évoquée ici, mais je n'ai rien trouvé dans mes
> archives (qui ne sont pas si anciennes) sur ce point précis.
> [...]
> Je ne comprends pas la raison de cette règle. Il y a peut-être un intérêt
> phonétique : cela permet de classer « pêche » (finale en e muet) avant
> « péché » ou encore « côte » avant « coté ». Mais ça ne me semble pas
> suffisant pour justifier cette bizarrerie. Quelle est alors l'origine
> de cette règle ?
>
> Foucauld Pérotin

J'ai transféré votre message à Alain LaBonté, qui va probablement
s'empresser d'y répondre. En attendant, vous trouverez ci-dessous ce que dit
sur ce sujet un appendice de la norme canadienne (dont LaBonté est le
principal rédacteur et dont la norme ISO 14651 est une généralisation).

Jean Fontaine
jfontain@xxxxxxxxxxx

Extrait tiré de :
CAN/CSA-Z243.4.1-98, Méthode canadienne de classement alphanumérique, Norme
nationale du Canada, Association canadienne de normalisation, 1998, p.
26-27.
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Appendice C
Explications sur la prépondérance des accents en fin de mot

Note. Cet appendice ne constitue pas une partie obligatoire de la norme.

C1
Bien que l'on puisse se contenter, sans autre explication, de noter que les
grands dictionnaires modernes de la langue française accordent tous la
prépondérance aux accents de fins de mots, il est intéressant de faire état
du résultat de quelques réflexions sur la raison de ce fait.

C2
Bien que l'orthographe du français moderne rende obligatoire de placer
correctement les accents sur tous les mots qui en comportent, la
technologie, c'est-à-dire l'avènement des machines à écrire il y a plus de
cent ans, et, avant elles, la gravure sur pierre, a amené une pratique
discutable qui veut que l'on élimine les accents sur les majuscules. Il va
sans dire que cette pratique est proscrite tant par les autorités
grammairiennes que par les grandes écoles de typographie de toute la
francophonie, pour une raison bien simple : l'usage d'accents en français
sert d'une part à préciser la prononciation, mais aussi d'autre part, à
distinguer la signification de certains mots homographes. Dans certains cas,
ce rôle est double : « AIGUË » a à la fois une prononciation et une
signification différentes de « AIGUE » (dans « aigue-marine », une pierre
d'un bleu vert ; le mot « aigue » a une racine provençale, « aiga »,
signifiant « eau »).

C3
Cette pratique d'élimination des accents sur les majuscules permet cependant
de faire une constatation : dans un grand nombre de cas, l'ambiguïté amenée
par cette absence pourrait être résolue si l'on connaissait le dernier
accent se présentant dans le mot qui pose une difficulté : Ainsi entre
 ENFANTS LEGITIMES DE LOUIS XIV » et « ENFANTS LÉGITIMÉS DE LOUIS XIV », le
deuxième accent de « LÉGITIMÉ » est porteur de signification, alors que le
premier n'a qu'une valeur précisant le prononciation. Dans un autre exemple,
« ETUDE DU MODELE », on a tout naturellement tendance à lire « MODÈLE »
alors qu'avec un accent aigu sur le dernier E, la signification change
complètement : « ÉTUDE DU MODELÉ ».

C4
De plus, dans les cas de plusieurs verbes du premier groupe, les
conjugaisons amènent des hésitations orthographiques pour les étrangers
comme pour plusieurs francophones, en particulier au début et au milieu des
mots. Ces hésitations sont aussi amplifiées par le fait que l'orthographe ne
suit pas toujours la prononciation moderne : ainsi, par exemple, pour le
verbe « révéler », on retrouve les variantes « révèle », « révélerai »
(souvent prononcé « révÈlerai »), « révélé » ; de même, pour « relever », on
retrouve « relève », « relevé » ; pour « semer », on a aussi « sème »,
 semé ». Pour toutes ces formes, le seul accent porteur de signification en
plus d'une indication sur la prononciation est l'accent aigu du participe
passé : « révélÉ », « relevÉ », « semÉ », qui est l'accent de fin de mot.

C5
Par ailleurs, plusieurs noms quasi-homographes ont en français des
caractéristiques analogues : « PÊCHE » et « PÉCHÉ », « MÂCON » et « MAÇON »,
etc. Dans tous ces cas, le dernier accent permet de résoudre l'ambiguïté. Il
est intéressant de noter, entre autres, que dans « MÂCON », par exemple, la
prononciation moderne du français permet à peine de se rendre compte à la
simple audition qu'il y a un accent circonflexe sur le « Â », alors que le
 Ç » de « MAÇON » est très significatif.

C6
Tout ceci permet de conclure qu'il est plus sage de considérer comme
prépondérants les accents à la fin des mots plutôts que ceux du début. Cette
logique est d'autant plus vraie en anglais pour les emprunts auxquels
l'hésitation mentionnée plus haut a créé de nouvelles variantes : dans la
suite de mots anglais « resume », « resumé », « résumé », la deuxième forme
n'existe pas en français (malgré qu'elle soit une variante du mot « résumé »
emprunté au français), mais illustre bien cette hésitation.
C'est cette logique que les dictionnaires et encyclopédies de langue
française les plus importants suivent systématiquement, malgré quelques
anomalies très exceptionnelles que l'on peut attribuer à une nécessité de
mise à jour manuelle, source d'erreur.

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