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Message : Re: massicot

(Luc Bentz) - Mercredi 20 Juin 2001
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Subject:    Re: massicot
Date:    Wed, 20 Jun 2001 21:14:40 +0200
From:    "Luc Bentz" <bentz-lf@xxxxxxxxxx>

----- Message d'origine -----
De : "Jacques Andre" <Jacques.Andre@xxxxxxxx>
À : <typographie@xxxxxxxx>
Envoyé : mercredi 20 juin 2001 14:13
Objet : massicot


> J'ai écrit récemment ici que le massicot avait été inventé par M.
Massicot.
> Grossière erreur, il s'agit de Guillaume Massiquot (Issoudun, 1797-
id., 1870).
> Quand même un peu avant l'offset...
> Qui connaît qq étude sur le dit rogneur ?

Il existe « Les Opinions tranchées de Guillaume Massiquot » par Sanson
du Tranchefil (Lacoupe éd., Paris, 1891) dont je tire l'extrait suivant
(p. 143 sq) :

« Enfant, Guillaume Massicot avait pris la déplorable habitude de se
ronger les ongles, non sans que sa mère le gourmandât contre un usage
condamnable au plus haut point. Cette pieuse femme, qui avait constaté
en sa jeunesse à quel point le débraillé pouvait avoir conduit aux excès
de la révolution, estimait en effet que la netteté des vêtements, mais
aussi du corps, facilite la rectitude de l'âme si elle n'y suffit point
: aussi bien d'ailleurs était-elle soutenue fortement par son
confesseur, l'abbé Guitrel, avant que celui-ci ne fût choisi pour
enseigner au grand séminaire de N***.

« Un vingt et un janvier, au sortir de la messe expiatoire, elle
souffleta publiquement son fils dont les ongles déchirés s'accommodaient
mal avec la dignité que requiert la participation à une cérémonie en
mémoire et en hommage du Roi martyr, puis elle s'effondra tout soudain,
cette émotion suprême ayant emporté le peu de santé qui lui restait. Ému
aux larmes, le jeune Guillaume fit serment de ne plus laisser trace de
rongeüre* d'ongle altérer l'attachement filial qu'il témoignait, et
devait témoigner sans défaillir à la mémoire d'une mère frappée en un
jour si solennel.

« Pendant plusieurs années, Guillaume Massiquot tailla ses ongles avec
des ciseaux ou autres instruments de manucure en usage à l'époque.
S'entendant un jour féliciter d'avoir les ongles si bien taillés, il se
fit le reproche qu'on le voyait encore, car il avait ainsi lu que les
plus distingués sujets de Sa Majesté britannique ne pouvaient accepter
qu'on leur fît remarquer qu'ils portaient un costume neuf. De fait,
après un examen à la loupe, il constata que l'on voyait des traces
nettes. À** la lumière de cette observation, il décida de s'intéresser
aux outils de coupe, commençant, par fidélité à la mémoire de sa sainte
mère, par rechercher le moyen de couper en arrondi. Soucieux de ne pas
tirer profit d'une invention résultant d'une promesse faite à une morte
et qui l'eût donc altérée*** : c'est donc dans l'anonymat qu'il
introduisit dans le public cet objet qu'on nomme aujourd'hui
 coupe-ongles ».

« Les solides études qu'il avait effectuées lui avaient permis d'établir
plusieurs plans (principalement de coupe, d'ailleurs) d'objets
tranchants. Le jeudi 26 mai 1848, alors qu'il se rendait chez M.(****)
Prote, imprimeur du bulletin paroissial dont Massiquot était le
correcteur attitré, et dont le numéro en cours devait alerter les
populations rurales sur le danger rouge, il remarqua que les feuilles
dudit bulletin étaient mal cisaillées après un pliage approximatif. "Il
faut, affirma fortement Guillaume Massiquot, que ce bulletin tranché ait
des feuilles bien tranchées : la rectitude doit être totale ; le
laisser-aller ne doit être subi que dans les imprimeries jacobines et
révolutionnaires avant que nous n'en brisions les machines et
dispersions les casses. Ne bougez pas ! » Et, rentrant chez lui, il en
revint avec le prototype d'une machine à trancher de grands formats dont
ils se demandait antérieurement quel pourrait en être l'usage.
Enthousiasmé, M. Prote, après l'essai concluant de la machine s'exclama
: "Cher monsieur Massiquot, des brigands ont tranché le Roi martyr :
grâce à votre machine, nous trancherons parmi les imprimés et ces lignes
bien fermes montreront aussi aux méchans***** comment nous les passeront
aussi au fil. Votre découpoir doit porter votre nom et j'écris derechef
un article nouveau pour présenter cette invention.

« Malheureusement, l'ouvrier de M. Prote, anarchiste dangereux, fit
exprès d'attenter à la graphie du nom de M. Massiquot, et c'est ainsi
que cette invention est connue sous le nom de « Massicot ». Du moins
témoignera-t-elle que savoir bien couper, c'est aussi couper court aux
prétentions des mal-pensants. »


===

¨(*) Cette graphie de « rongeüre » laisse à penser que les
rectificateurs de 1990 ont peut-être été moins novateurs qu'on ne le
pense, à moins que les compagnons typographes ou le correcteur -- sans
doute affidés au Syndicat de Keufer -- n'eussent subrepticement profané
un texte inspiré par les sentiments les plus français et les plus
chrétiens.

(**) Je reprends la typographie d'origine qui permet de clore
définitivement le débat sur l'accentuation des majuscules.

(***) Il semble qu'il s'agissait bien ici de la promesse, la mère de
Guillaume Massiquot ne s'adonnant point aux boissons fermentées. On
pardonnera au zèle de M. du Tranchefil ce raccourci elliptique que le
bon lecteur aura interprété convenablement, dès lors qu'il n'a pas
l'esprit embrumé... par de mauvaises lectures telles celles d'étiquettes
collées sur certaines bouteilles provenant de Belgique.

(****) Conforme au manuscrit déposé à la Bibliothèque nationale. D'une
morasse conservée par hasard dans un ouvrage consacré aux variantes
typographiques, il semble que le typo ou le correcteur avait écrit
l'abréviation de « monsieur » sous la forme « Mr » avec le « r » en
lettre supérieure. Nous savons des mémoires de Sanson du Tranchefil
qu'il s'était plaint de la gent typographe. Dans sa lettre du 2 janvier
1892, adressée au président de l'Association de soutien à la mémoire de
Mgr Dupanloup, il écrivait : « Vous n'ignorez pas l'importance du
travail que j'ai accompli pour éclairer le public sur la valeur morale,
au-delà de mécanique, des inventions de ce bon monsieur Massiquot si
chrétiennement décédé. J'ai eu les pires difficultés dans le traitement
de la copie. Peut-être, harassé de travail, ai-je laissé échapper
quelque faute intentionnellement laissée. Mais jamais, au grand jamais,
je n'aurais laissé passé ce « Mr » qui figure dans l'article
 Abréviations » du soi-disant dictionnaire de ce L. qu'on a osé élire à
l'Académie, ce qui fut cause de la démission de cet admirable serviteur
de l'Église dont nous nous efforçons de préserver les enseignements. ILS
ont essayé : mais j'ai pris garde et, en attendant que la grâce divine
nous permette de revenir à un régime sachant réprimer comme il sied les
impudents, j'ai noté leurs noms. »

(*****) Comme Chateaubriand, M. Prote se méfiait des novelletés
dangereuses de l'édition de 1835 du Dictionnaire de l'Académie.

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