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Message : Re: Règles typo pour le latin

(Jacques Melot) - Jeudi 29 Mai 2003
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Subject:    Re: Règles typo pour le latin
Date:    Wed, 28 May 2003 23:34:59 +0000
From:    Jacques Melot <jacques.melot@xxxxxxxxx>

Title: Re: Règles typo pour le latin
 Le 28/05/03, à 13:50 -0400, nous recevions de Jean Fontaine :

À propos de latin, quelqu'un pourrait-il préciser ces points concernant
l'utilisation de la ligature æ {ae} en latin et en français ?

- Le latin d'origine n¹utilisait pas cette ligature, qui serait apparue
tardivement. Quand, déjà ?



   Elle est médiévale, comme une foule d'autres ligatures (double s, &, etc.) dont, peut-être, on n'a on a oublié de parler dans cette série de messages, en tout cas pas au début (je n'ai pas encore lu la suite). L'une d'elle est le cai (cay, kay, etc., c'est-à-dire « et » en grec) dont on a parlé ici même en 1997 s. m. s. s. e., ligature plus connue sous le nom de « ligature que », caractère qui, lorsqu'il n'était pas disponible, était remplacé par la combinaison « q; » (ainsi « atque » se trouve sous la forme « atq; », ce qui déroute au premier abord les personnes non prévenues). En dehors des ligatures proprement dites, il y aussi des signes abréviateurs, dont le plus connu est sans doute la tilde, laquelle est devenue par la suite le signe diacritique que l'on sait, utilisé par exemple en espagnol.


   Exemple (fragment de Ætius d'Amide, De simplicibus pharmacis, éd. de Venise, 1544) :



   La ligature « que » se trouve ici dans « Quæcumque (quæcumq;) autem in ». On aperçoit aussi le e à crochet (dit « ogonek ») et le bien connu &.


- Y a-t-il des variantes de la langue latine (latin d'Église, latin scolaire
moderne) où cette ligature est ou a été utilisée ? Dépend-elle de la
prononciation adoptée ?



   Non. Pendant toute une époque elle fut utilisée, hormis lorsqu'elle manquait dans les polices, auquel cas elle était remplacée par le doublet ae. La ligature est liée à la prononciation qu'elle rend de manière plus fidèle, signalant explicitement la diphtongue ae. (Tout groupement ae n'est pas une diphtongue en latin, tel le ae de « aes », l'airain, pour lequel fut tardivement introduit la marque ¨ pour indiquer la diérèse.). La même remarque s'applique aussi à la ligature oe.



- Dans les noms latins de la nomenclature biologique internationale, on
employait la ligature mais récemment on aurait recommandé officiellement de
ne plus l'utiliser. Il me semble que Jacques Melot en a déjà parlé.



   Ce n'est pas une simple recommandation, mais une règle ! J'ai protesté, à l'époque, contre son introduction, laquelle fut motivée, comme je l'avais appris en coulisse, par des difficultés de traitement informatique chez les Anglais de Kew. En réalité, on peut regarder ça comme ne s'agissant pas d'une dégradation de l'écrit latin pour des raisons exogènes, mais d'un retour aux sources qui tombait à pic pour les Anglais, si l'on peut dire. En effet, le latin s'écrivait sans ligatures, lesquelles sont apparues sous la plume des scribes du Moyen-Âge. Autrement dit, la situation n'a pas le caractère scandaleux en soi qu'elle aurait en français si, par exemple, on proposait de remplacer la ligature e dans l'o pour faire des économies ou pour des raisons techniques (raisons nécessairement mauvaises à notre époque, comme on sait).



- Dans les quelques emprunts latins du français courant où le problème se
pose, l'usage semble hésiter : le Petit Robert écrit « curriculum vitæ » et
« ex æquo », alors que le Petit Larousse écrit ces expressions sans
ligature, bien qu'il la maintienne dans des termes plus scientifiques comme
« cæcum, cæcal » et « cæsium » (cette dernière graphie perd d'ailleurs du
terrain devant la forme « césium», qui règle le problème). Votre marche
perso ?



   Le latin classique s'écrivant sans ligature et la ligature æ n'appartenant pas au système de caractères utilisés pour l'écriture du français pas plus que å ou ø (contrairement à l'e dans l'o, ¦), je préfère la solution adoptée par le Larousse (nom qui a l'heur de me rappeler à chaque fois Jean-Pierre Lacroux). Quant aux mots que vous citez, ils figurent dans le dictionnaire parce qu'on est encore (mais de moins en moins) susceptible de les trouver sous cette forme dans des textes, mais ce sont des formes de transition incomplètement francisées amenées à l'être complètement tôt ou tard. Tel est le cas de « cæsium », qui depuis au moins cinquante ans, s'écrit la plupart du temps sous sa forme complètement francisée (césium), bien qu'on sente maintenant, sous l'influence de l'anglais, un certain retour de « cæsium », mais à vrai dire pas très fort, sans doute parce qu'il ne s'agit que de l'anglais britannique (les Américains utilisent plutôt « cesium »). Il suffirait qu'un ouvrage médical de référence d'une certaine importance adopte l'orthographe « cécum », pour amorcer le mouvement aussi pour ce terme. L'évolution vers cette variante stable étant inéluctable, le plus tôt sera le mieux.

   Jacques Melot



Jean Fontaine