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Message : Re: [typo] glou glou

(Jean-François Roberts) - Lundi 29 Mars 2004
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Subject:    Re: [typo] glou glou
Date:    Mon, 29 Mar 2004 20:33:42 +0200
From:    Jean-François Roberts <jean-francois.roberts@xxxxxxxxxx>

Merci de cet envoi, qui pointe en effet un problème d'actualité. Encore
faut-il se méfier des présentations apocalyptiques... surtout issues de
sources peu connues. J'avoue ignorer ce qu'est ce "CQFD" apparemment
périodique, ou qui le publie (mais le pseudo "Ascaso" montre bien une
certaine empreinte idéologique, fort sympathique au demeurant).

Pour essayer de mettre les choses en perspective (prudemment, car les enjeux
sont de taille pour les intéressés - dont je suis -, et les positions
divergentes), je me permettrai quelques remarques complémentaires. (Rappel :
je suis moi-même correcteur au JO [rouleur à long terme : voir ci-dessous]
et à ce titre syndiqué [Syndicat des correcteurs].)

1. La presse quotidienne parisienne connaît une régime particulier
(convention collective propre, sans extension nationale : on ne la trouvera
donc pas sur le site du ministère du Travail). C'est dans ce cadre qu'est
définit le statut d'une catégorie particulière : celle des "ouvriers du
Livre", qui exécutent les tâches techniques (typo, correction, photogravure,
impression). En presse périodique, par exemple, on sait que les correcteurs
(relecteurs-réviseurs) ont un statut de journaliste.

Autre particularité de la presse quotidienne parisienne : le "label
syndical" : les syndicats (de métier : Syndicat des correcteurs, Chambre
typo, etc.) ont le monopole de l'embauche (ce n'est pas le patron de
l'entreprise de presse qui décide de qui sera engagé à tel poste, mais bien
le syndicat). Dans ce cadre, les "rouleurs", qui sont la main-d'¦uvre
précaire de la presse (parfois, on "roule" dans le même organe de presse
pendant des années, avant d'être "piétonné"), sont fournis par les soins des
"permanences" syndicales (et reçoivent donc la gentille appellation de
"permanents", pour indiquer leur statut... précaire !). Ce label syndical
(de trempe purement corporatiste, au sens clinique du terme) a une origine
moins glorieuse qu'on pourrait le croire... Disons que le système a éte
*prorogé* à la Libération. Si je ne m'abuse, _Les Révoltes logiques_ avaient
publié quelque chose sur la question, il y a quelques années.

Bizarrement, en période de crise, le patronat veut changer ce système...
(Signalons que _La Croix_ et _Libération_ s'en sont affranchis depuis belle
lurette.) Ceux qui croiraient que ledit système ne connaît aucune dérive
(pour le dire gentiment) sont priés de se chercher un autre rêve. Ce qui
n'est pas en soi une raison pour le supprimer, bien sûr : mais le caractère
exorbitant du système explique son caractère de "mort en sursis".

2. Pour les Journaux officiels, il faut essayer d'y voir clair, ce qui est
fort compliqué de prime abord. Il s'agit en fait d'une structure bicéphale,
logée rue Desaix : la direction des Journaux officiels (ou DJO, ou DIRJO),
dépendant des services du Premier ministre (sous l'égide du secrétaire
général du Gouvernement), et dirigée par un préfet (actuellement, le sieur
Bolufer) assure les services administratifs et commerciaux (vente,
facturation...) et rédactionnels (liaison avec les ministères, etc.) ; avec
un budget annexe voté annuellement, ce qui permet certaines acrobaties par
rapport à la comptabilité publique usuelle (à part les JO, seule l'Aviation
civile bénéficie actuellement de cette formule ; 4 autres budgets annexes
ont été supprimés ces dernières années, dont celui des Monnaies et
médailles, transformées en EPIC). Les employés de la DJO (y compris certains
ouvriers : les électrotechniciens) sont donc des fonctionnaires (y compris
nombre de contractuels et autres vacataires).

En tandem avec la DJO, la SACIJO (Société anonyme de composition et
d'impression  des Journaux officiel) est une structure de droit *privé*,
assurant la fabrication proprement dite des JO, pour le compte de la DJO. Sa
structure est celle d'une coopérative (avant la lettre, puisque les statuts
de la SACIJO datent de... 1892 !), comptant 400 membres (actionnaires),
auxquels s'ajoutent un nombre variable de précaires (rouleurs). Parmi les
"piétons" (actionnaires), on compte actuellement quelque 200 typos et 100
correcteurs, le reste se répartissant entre photograveurs et rotativistes.

De par la structure même de la SACIJO, on comprendra que les typos
contrôlent en fait le fonctionnement de l'entreprise - d'où des effets
bizarres que l'on imaginera sans peine. Pour être complet, disons que la
SACIJO est liée à la DJO par une convention (commerciale) lui assignant la
mission de fabrication des JO (et publications annexes) et convenant des
effectifs et moyens nécessaires à ce titre, complétée par des accord
précisant le cahier des charges, et la charge de travail (les accords
actuels datent de 1994). Il est convenu que les salariés de la SACIJO
bénéficient de la convention collective de la presse quotidienne parisienne,
et des accords régionaux (sur la formation ou la réduction du temps de
travail, par exemple) signés par le SPP (Syndicat de la presse parisienne,
patronal) et les syndicats du Livre - alors même que la DJO n'adhère pas au
SPP et n'est pas signataire de la convention en question, ni des accords
régionaux.

3. La crise actuelle correspond à une mutation longtemps retardée aux JO,
correspondant à l'irruption de la PAO, du circuit numérique de la copie et
autre DTP dans la fabrication de cet ensemble de publications (22 séries,
700 titres... y compris les conventions collectives et les codes, en version
"officielle"). La SACIJO en est restée à un système de photocomposition
correspondant à la technique des années 1970, les typos conservant
jalousement leur accès aux écrans de saisie : c'est sans doute la dernière
entreprise de presse (ou d'impression) où les correcteurs corrigent
encore... sur épreuves papier (sorties d'imprimantes), avec aller et retour
avec l'atelier de composition pour le corrigeage, pointage, recorrigeage,
etc. Une évolution s'est cependant dessinée ces dernières années, avec
l'apparition d'un atelier dit de "compogravure", capable de traiter le
multimédia (en principe), et la tenue du JO en ligne.

De pair avec cette évolution (qui marque, à terme, la disparition de la
fonction "saisie" en atelier, et donc la quasi-disparition de la catégorie
typo, comme ce fut le cas ailleurs en presse et dans le labeur, ou ce qui en
reste) se profile le programme de reconversion électronique de l'ensemble de
l'appareil d'Etat et de l'administration en France (cf. la déclaration
d'impôts en ligne...). L'ensemble de la loi devant (à terme) être accessible
(gratuitement !) en ligne (site Légifrance), de même que les textes
réglementaires, formulaires, etc. (site Admifrance). Du côté rédactionnel,
les textes législatifs (y compris décrets d'application, etc. sont en cours
d'intégration dans une base de données (répondant au doux nom de SOLON)
dépendant de Matignon. Les textes étant validés au niveau SOLON, il est
clair que l'intervention de la fonction "correction" au niveau de la SACIJO
sera redéfinie.

Dans le cadre de cette dernière mutation, nombre de textes sont appelés à ne
plus figurer dans la version imprimée du JO, mais uniquement sur le site en
ligne (une fois paru le décret homologant la validité de cette version
électronique) - ainsi, sans doute, des listes de personnes habilitées à
exercer la profession de coiffeur (sic, je n'invente rien) ou reçues aux
concours d'entrée aux grandes écoles. De même, les annonces officielles de
marchés publics (autre gros morceau, faisant l'objet de 3 séries d'un
bulletin annexe, le _BOAMP_) vont être saisies en ligne par les organismes
intéressés (plus de saisie en atelier, juste une mise en forme typo, et
correction limitée), et vont voir leur nombre revu à la baisse (les seuils
financiers - à partir duquel l'annonce officielle est requise - étant
sérieusement relevés). Autant d'évolutions qui vont faire baisser la
capacité d'impression requise à la SACIJO - et là, ce sont les rotos qui se
sentent visés.

Enfin, les débats parlementaires sont en passe d'être intégralement saisis
"à la source" (par les services techniques du compte rendu, à l'Assemblée
nationale et au Sénat), seule une version "prémaquettée" étant transmise au
service correction, dont l'intervention (en l'absence de copie !) est, là
encore, réduite à la portion congrue - les typos n'ayant plus de saisie du
tout à assurer pour ces séries de comptes rendus.

Cela dit, la version papier du JO (des JO, plus exactement) a encore de
longues années devant elle - à l'instar des annuaires téléphoniques, qui
n'ont été supplantés ni par l'annuaire électronique (Minitel 3611) ni par
l'avènement des pages jaunes en ligne. Et ce ne sera certes pas limité à "3
exemplaires" (ça serait économiquement impossible, en l'état actel de la
technique), du fait que le principe "nul  n'est censé ignoré la loi" a pour
corollaire la mise à disposition du public des textes de lois, y compris en
dehors de tout accès à internet (bibliothèques publiques, donc, et vente au
numéro).

4. A tout cela (la fameuse "dématérialisation" et la PAO - bases de données)
se greffe une autre remise à plat : celle du régime de pensions, dont
bénéficient et les actionnaires de la SACIJO (mais non les rouleurs !) et
les fonctionnaires de la DJO. Ce régime spécial est en effet  "peu
nombreux par rapport aux grands régimes à réformer, comme ceux des
grands services publics tels que La Poste, EDF, etc." Ceci entrant dans le
plan d'ensemble de réforme de la sécurité sociale - les régimes généraux
ayant été abordés en 2003, les régimes spéciaux sont au menu du
Gouvcernement pour 2004 (ceci, avant que l'éventuelle retombée des élections
régionale soit prise en compte). Pour le dire d'un mot : ainsi que certains
membres du conseil d'administration de la SACIJO l'ont gentiment avoué, ce
sont les rouleurs qui (du fait des charges moins élevées qu'ils font peser
sur leur employeur, la SACIJO) permettent de dégager le surplus assurant les
avantages sociaux des actionnaires... Merci pour eux (et à votre bon c¦ur,
M'sieurs-Dames) !

5. Enfin, pour ne pas abuser de mon temps de parole, disons qu'actuellement
les pourparlers sont ouverts. Chacun défendant son morceau, la
désinformation bat son plein, de toutes parts. On y verra plus clair dans
quelques semaines. 

En tout état de cause, la mission de service public de la DJO est bien
d'assurer la publicité et la publication de la loi, et des textes
réglementaires et connexes. Elle n'est pas d'assurer la survie d'un musée
des techniques de presse, ni de telle ou telle catégorie ou petit métier.
Les syndicats du Livre ont eux-même largement contribué à l'impasse, dont
ils auront un certain mal à se dégager.

A ce titre, je serais assez du côté de Marx, se réjouissant du
libre-échange, qui allait ruiner un système de rente foncière désuet en
Grande-Bretagne et en Irlande. On n'arrête (en effet) pas le progrès - sans
aucun jugement de valeur, soit dit en passant. Imaginons un scénario ou les
syndicats de palefreniers, de fourriers et de voituriers auraient le
monopole de l'embauche à la RATP... Ça, c'est de la "guerre sociale", ah
ouiche. Et pourquoi pas défiler en tenues d'apaches de la Belle Epoque ? (Au
moins, on serait dans le ton...)

(Rappel : la "guerre sociale" d'origine - celle de l'époque de la République
romaine - avait pour seul objet d'obtenir le "droit de cité" [de
citoyenneté] pour les alliés [socii] de Rome. C'est à bon escient que les
promoteurs de ce terme l'ont repris, peu avant 1914. Il ont en effet obtenu
ce qu'ils cherchaient : la cogestion du marché du travail et, dans une
moindre mesure, de la production.)

A suivre...


> De : "L.L. de Mars" <lldemars@xxxxxxxxxx>
> Répondre à : typographie@xxxxxxxx
> Date : Mon, 29 Mar 2004 13:39:57 +0200
> À : "typographie@xxxxxxxx" <typographie@xxxxxxxx>
> Objet : [typo] glou glou
> 
> un parfum d'avenir, ouvrons grand les narines:
> 
> 
> (Publié dans le n°9 de CQFD, février 2004)
> 
> Pour se prémunir définitivement de toute jacquerie, la meute du baron
> Seillière monte à l'assaut des derniers « bastions » ouvriers. Première
> charge : fin novembre 2003, Yves de Chaisemartin, patron du Figaro,
> annonce qu'il quitte le Syndicat [patronal] de la presse parisienne
> (SPP), afin de s'affranchir des contraintes de la convention collective
> du Livre. Quelques semaines plus tard, le 16 janvier 2004, le préfet
> responsable de la publication des Journaux officiels, placé sous la
> tutelle directe de Matignon, annonce à une délégation syndicale des
> ouvriers du Livre la mort programmée des J.O. En bref : perte, à moyen
> terme, de quelque 70 % des tâches de saisie (adieu les typographes !),
> restriction drastique du rôle des correcteurs (dont la fonction devient
> assimilable à celle de calibreurs de tomates), non-remplacement de la
> rotative (comprendre : on ne va pas investir dans une machine promise au
> rebut, et donc salut à vous les rotos !). Tout cela au nom de la
> «nécessaire modernisation», car on n'arrête pas le progrès.
> 
> D'ailleurs, un nouveau service a été créé, intitulé «de la
> dématérialisation» (sic). Comme quoi la dictature technologique offre
> toujours un excellent alibi pour justifier la régression sociale. Mais
> tout va bien puisque le même jour, le préfet a tenu à rassurer ses
> interlocuteurs interloqués en ces termes : «Ici, nous sommes peu
> nombreux par rapport aux grands régimes à réformer, comme ceux des
> grands services publics tels que La Poste, EDF, etc.» La guerre sociale
> est donc poliment déclarée. Les requins en salivent ostensiblement :
> après la sidérurgie, le textile, les mines, Billancourt, voici venu le
> tour du Livre... en attendant les proies à venir. L'un après l'autre,
> les derniers secteurs fortement syndicalisés et encore capables
> d'opposer une résistance à la contre-révolution sont en passe d'être
> démantelés. Espérant glaner quelques subventions supplémentaires (et, à
> terme, européennes) leur permettant d'assurer la survie de leurs
> permanents et de conserver leur statut d'«interlocuteurs responsables»,
> les appareils syndicaux ne réagissent pas, ou peu, ne faisant acte que
> de protestations de façade et de réelle soumission, malgré une
> contestation interne de plus en plus forte.
> 
> 
> auteur:    Balito Ascaso
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