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Message : Re: [typo] chiffre romain

(Jean-François Roberts) - Mardi 31 Mai 2005
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Subject:    Re: [typo] chiffre romain
Date:    Tue, 31 May 2005 18:46:02 +0200
From:    Jean-François Roberts <jean-francois.roberts@xxxxxxxxxx>

Tentation démentie par l'histoire de la chose. Les Romains étaient
parfaitement au courant des antécédents étrusques de nombre d'aspects de
leur culture et de leur civilisation. L'empereur Claude lui-même était
l'auteur d'un dictionnaire étrusque...

Quoi qu'il en soit, l'archéologie et la paléographie ont laissé suffisamment
d'attestations de la chose : la notation "CI)" *précède* la notation "M",
ppur exprimer le millier. Elle est issue - selon l'hypothèse la plus
répandue - d'un chiffre étrusque qui est en fait une version du "phi"
gréco-phénicien : dans son allure générale, un cercle traversé par une barre
verticale. L'influence des lettres de l'alphabet latin en a fait un "I"
encadré de deux "C" en miroir. (Les grammairiens romains eux-mêmes
appelaient ces "C" des "apostrophes", c'est-à-dire des parenthèses.)

Autre origine possible : le "alpha" grec transformé en joignant ses branches
pour en faire un signe ressemblant au signe moderne pour l'infini. Là
encore, l'influence de l'alphabet latin a donné la forme indiquée "CI)".

En tout état de cause, cette forme a connu un regain d'usage durant le bas
empire. On sait (même si vous l'ignorez) que cette notation permettait
d'exprimer les grandes valeurs :

    CI) = 1 000

    I) = 500

    CCI)) = 10 000

    I)) = 5 000

    CCCI))) = 100 000

    I))) = 50 000

Cette notation a perduré pendant tout le Moyen Age, et après la Renaissance.
Ajoutons que c'est l'origine attestée de "D" comme chiffre romain de valeur
"500", qui est ainsi apparu comme la moitié graphique du signe pour "1 000"
- l'exact inverse, donc, de l'évolution que vous supposez.

Croire qu'un "tailleur de pierre pas tout à fait savant" serait à l'origine,
en 1775, de cette forme procède de l'habituel (et paresseux) postulat de
l'inculture et/ou impéritie des générations antérieures, engluées dans un
obscurantisme dont nous serions enfin délivrés, etc.

La comparaison avec l'onciale est séduisante, certes : mais si influence il
y a eu, elle a nécessairement agi - là encore - dans le sens précisément
inverse de celui que vous imaginez. Quant au tailleur de pierre - qui
agissait selon les instructions de ses commanditaires, pour le compte d'un
empereur à la tête de l'un des plus puissants Etats du XVIIIe siècle
(l'Empire autrichien), où la culture latine était de rigueur (l'Eglise
catholique étant omniprésente dans ce bastion de la Contre-Réforme) -
l'hypothèse, donc, qu'un tailleur de pierre ignorant aurait pu être livré à
lui même pour cette inscription on ne peut plus officielle ne tient pas la
route.

Consultez donc les ouvrages que j'ai indiqués.


> De : stukskebaron@xxxxxxxxx
> Répondre à : typographie@xxxxxxxxxxxxxxx
> Date : Tue, 31 May 2005 12:34:49 +0200 (MEST)
> À : typographie@xxxxxxxxxxxxxxx
> Objet : Re: Re: [typo] chiffre romain
> 
> À voir la photo jointe, je serais tenté de ne voir dans (I) et I) qu¹une
> transposition graphique du M (comme dans les onciales) et du D, par un
> tailleur de pierre pas nécessairement tout-à-fait savant.
>