Archive Liste Typographie
Message : Re: [typo] Règles typographiques des différentes langues

(Olivier Berquin) - Jeudi 22 Septembre 2005
Navigation par date [ Précédent    Index    Suivant ]
Navigation par sujet [ Précédent    Index    Suivant ]

Subject:    Re: [typo] Règles typographiques des différentes langues
Date:    Thu, 22 Sep 2005 09:50:11 +0200
From:    Olivier Berquin <olb@xxxxxxxxxxx>

Jean-François,

J’ai lu avec beaucoup d’attention votre petit (mais néanmoins formidable) exposé.

Mais... je me suis peut-être mal exprimé. Je parle en effet des règles telles que les espaces avant ponctuation, les guillemets à utiliser, etc. J’ai presque envie de dire les « règles simples ».

La Communauté européenne (via l’OPOCE) à fait une espèce de « melting-pot » pour ces publications (voir <http://publications.eu.int/code/fr/fr-360400.htm>).

Je recherche à avoir une espèce de liste (comme celle de l’OPOCE) concernant ces différentes « petites » règles. Concernant l’orthotypographie, je ne m’en préoccupe pas. Le client est en devoir de me donner un texte correct au départ.

D’autre part, concernant les correcteurs (trices), le travail serait fait à l’envers !!! Je ne peux pas me permettre de faire une mise en page qui serait « cassée » par le (la) correcteur (trice). Quelle perte de temps.

Je vous remercie, en tout cas, pour toutes ces précisions.

Olivier.



Le 22-sept.-05, à 03:50, Jean-François Roberts a écrit :

Toutes les langues ont des règles typographiques, bien entendu.

Maintenant, une formation (ou une expérience) de metteur en page n'est pas forcément la meilleure pour démarrer, en ce qui concerne le maniement des
règles orthotypographiques. Mais enfin tout s'apprend - sur le tas ou
autrement. L'idéal (on va voir pourquoi) sera de faire appel à un (ou une)
correcteur (trice). Bonne question, cela dit, qui appelle quelques
remarques.

D'abord, votre interlocuteur de l'OPCE vous a mal renseigné. Il n'y a
*aucun* "code officiel" en France. Le code typographique (ainsi dénommé) est
une simple série de recommandations de bonne marche, sans aucune valeur
juridique ou réglementaire. Disons que c'est une "marche par défaut" à
laquelle on se réfère, si l'employeur ou le client ne stipule pas une marche propre. Et encore, dans son ultime édition - le _Nouveau Code typographique_
-, elle est vivement critiquée.

Les références un peu rhétoriques à l'Académie française ne saurait faire illusion : d'abord, elle n'a aucune autorité ou mission orthotypographique. Sur le site de ladite Académie, vous trouverez des préconisations issues des services techniques du _Dictionnaire_ (et non de ses auteurs !) : c'est donc la *marche* du _Dictionnaire de l'Académie_, qui a autant d'autorité - ni plus, ni moins - que la marche de l'Imprimerie nationale, celle des Journaux officiels, celle du journal _Le Monde_ ou celle des dictionnaires Larousse,
par exemple.

Il y a un pays où l'on peut parler d'un "code typo" officiel : c'est
l'Allemagne. En effet, toutes les questions linguistiques s'y règlent au niveau gouvernemental, et même intergouvernemental (Allemagne, Autriche,
Suisse allemande). En dernière instance, la conférence permanente des
ministres des Cultes et de l'Instruction publique des différents Länder
allemands décide de la forme officielle de l'allemand en vigueur - y compris les questions de syntaxe, d'orthographe, de ponctuation et, par extension,
orthotypographiques.

Pendant toute l'après-guerre, ladite conférence a en fait sous-traité la question, en faisant expressément référence à la marche utilisée par les
dictionnaires Duden - et à la version de la langue présentée dans la
dictionnaire orthographique Duden (_Deutsche Rechtschreibung_). Mais la
réforme mise en chantier il y a une vingtaine d'années a abouti en 1996 à une nouvelle orthographe "réformée" (et une nouvelle syntaxe, ponctuation, etc.), avec la création d'une commission permanente spécialisée (la réforme
se poursuit donc, d'année en année !).

Résultat des courses : la commission étant composée de linguistes et de
fonctionnaires, plutôt que d'écrivains, de journalistes ou d'éditeurs, de nombreux choix "logiques", mais catastrophiques à l'usage, ont été faits. Et
une véritable sécession s'est opérée : divers éditeurs et publications
(ainsi, la prestigieuse _Frankfurter allgemeine Zeitung_ [FAZ]) et... deux Länder refusent d'appliquer la réforme et s'en tiennent aux règles pré-1996
! Et il faut donc se munir d'un double jeu d'ouvrages de références...
[L'édition en cours de la _Deutsche Rechtschreibung_ de chez Duden reflète
désormais les choix (les plus récents...) de la commission officielle.]

Ces remarques liminaires posées, venons-en au cœur de la question : il y a des centaines de langues de par le monde (et quelques dizaines en Europe, surtout si l'on inclut les langues régionales - catalan, basque, occitan, gaélique... - et celles des minorités importantes : arabe, berbère, chinois,
vietnamien, turc, langues du sous-continent indien...).

Pour chacune de ces langues, l'exposé minimal des règles orthotypographiques prendrait au moins une centaine de pages (et non un ou deux paragraphes, comme on le voit trop souvent dans certains ouvrages qui abordent la typo des langues étrangères "en passant"). Vous concevrez qu'il y aurait donc matière à une véritable encyclopédie, qui exigerait de plus d'être rédigée
par une équipe de spécialistes confirmés des usages typographiques dans
chacune de ces langues.

Un tel ouvrage n'existe pas. C'est sans doute dommage, à l'ère de l'Unicode,
mais ça se comprend. Il faudra donc se faire une raison.

Reste donc à vous procurer, pour chaque langue, un dictionnaire bilingue, et
un dictionnaire monolingue édité dans le pays d'origine (ou deux
dictionnaires, si la formule mi-dictionnaire de langue, mi-dictionnaire
encyclopédique du _Petit Larousse_ n'existe pas pour la langue considérée : ainsi, pour l'anglais), et de préférence une méthode pour... apprendre la langue et ses règles grammaticales et orthographiques. Et enfin, une marche représentative (ou plusieurs marches, le cas échéant) et un bon dictionnaire
d'usage. Pour certaines langues présentant des différences locales
significatives (anglais US et anglais GB, par exemple), multiplier la mise
par le nombre de variantes.

Pour l'anglais, on arrive très vite au mètre linéaire de rayonnage (plus si on veut être bien paré). Vous comprendrez que vous avez tout intérêt à faire
plutôt appel à un correcteur spécialisé (et compétent !) par langue à
imprimer : il (ou elle) connaîtra la langue et ses usages typographiques, et
sera déjà équipé des ouvrages de référence nécessaires...

Sans compter que les dictionnaires ne suffisent pas pour déduire la bonne typo, dans une langue donnée : outre l'exemple (donné ici il y a peu) de
l'utilisation de l'apostrophe "dactylographique" pour les entrées de
l'édition actuelle du _Grand Robert_ (et du _Dictionnaire culturel en
français_ de parution prochaine, chez le même éditeur), et la question des capitales (accentuées dans les ouvrages de référence, accentuées *ou non* partout ailleurs) - pour ne citer que ces questions-là -, les pièges sont
nombreux, dans les dictionnaires de langues étrangères.

Ainsi, la lecture d'un dictionnaire arabe ne vous indiquera pas que, en
bonne typo, on n'indique *aucune* diacritique, ces indications étant
réservées aux dictionnaires, justement, ainsi qu'aux manuels et ouvrages de référence, et aux textes sacrés (Coran). On écrira donc "âm", ce que tout
arabophone lira "oumm" (mère) : de fait les diacritiques, en arabe,
indiquent la vocalisation des voyelles courtes (ici, "ou"), mais encore le
redoublement des consonnes (ici, "mm" et non "m").

De même, la lecture d'un dictionnaire hébreu ne vous permettra pas de savoir que vous avez le choix entre la version "diacritiquée" ou graphie pleine (dictionnaires, ouvrages de référence, textes sacrés) ou "non diacritiquée", dite graphie défective (typo courante) - mais, en ce dernier cas, il faudra
insérer des "matres lectionis" (lettres "semi-consonnes" indiquant - de
façon incomplète - de quelle voyelle il s'agit). Si bien que la version "non diacritiquée" sera plus longue, à l'arrivée, que la version diacritiquée.

Et ainsi de suite...

Sans compter certaines survivances "historiques" (typo "Fraktur" en
allemand, par exemple, ou homologues de nos chiffres romains en arabe,
hébreu ou langues du sous-continent indien...).

Et, bien entendu, mis à part les problèmes d'orientation - verticale
(mongol, tibétain) ou horizontale (écritures européennes, du sous-continent
indien ou du Sud-Est asiatique) ou mixtes (chinois, japonais) - et de
direction (gauche à droite ou droite à gauche, principalement), il est clair que la typo des langues dites (à tort) "idéographiques" (chinois, japonais, coréen, vietnamien précolonial...) met en jeu des contraintes tout à fait
spécifiques.

Bref : mettez-vous en cheville avec des correcteurs ;)