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Message : [typo] Re: Re: Re: Re: Re: Re: Re: Re: Plomb, GLM et autres sujets (était "Fantaisies typographiques" et "Le coup de dés")

(JBV) - Jeudi 23 Février 2012
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Subject:    [typo] Re: Re: Re: Re: Re: Re: Re: Re: Plomb, GLM et autres sujets (était "Fantaisies typographiques" et "Le coup de dés")
Date:    Thu, 23 Feb 2012 21:26:48 +0100
From:    JBV <azoona@xxxxxxxxx>

Le 23/02/2012 18:58, Sabine a écrit :
JVB précisera sa pensée, et en attendant des avis plus éclairés que le mien, il peut aussi regarder du côté des Que sais-je, enfin, de ce qu'il en reste.

Sabine.



En fait mes initiales sont JBV. Mais ça n'a aucune importance. J'ai fait quelques apparitions sous d'autres initiales, mais depuis j'ai bidouillé ma boîte mail et modifié ce paramètre.

Ma pensée nait du constat que des exemplaire des livres à "grand tirage" des débuts de l'imprimerie (genre : bréviaires, traités et manuels quelconques) ont survécu jusqu'à notre époque en dépit de l'utilisation intensive qui en a été fait, tandis que nos livres grand tirage à "nous autres modernes" (pour reprendre le titre de l'un d'entre eux) semblent ne pas être en mesure de passer le siècle.

Le premier numéro de la collection du Livre de Poche est celui d'un roman de... Pierre Benoît : or ouvrez les romans de Pierre Benoît que vous trouverez dans cette collection, et vous constaterez que les pages en sont généralement jaunis, et les caractères fatigués. Or je ne crois pas que l'on publie encore Pierre Benoît, ce qui signifie qu'au rythme de la dégradation des impressions de son œuvre, on peut gager que dans un petit siècle, elle n'existera *matériellement* plus. Autrement dit : ce sera tout comme si elle n'avait jamais existé.

On conviendra sans peine, je suppose, que, en l'occurrence, la littérature n'y perdra pas beaucoup. Qu'un auteur oubliable soit oublié est dans la marche des choses. Mais réfléchissons à ce que cela implique pour la littérature *en général* ; car enfin, la médiocrité matérielle du livre ne concerne a fortiori pas que les auteurs médiocres. Depuis qu'elle s'est constitué en industrie conquérante, l'édition n'a eu de cesse de tirer les coûts de production vers le bas sous prétexte d'élargir proportionnellement l'assise du lectorat : pour que plus de gens lisent, il faut que le livre soit moins cher, pour qu'il soit moins cher, fatalement, il faut que sa fabrication coûte moins et que lui-même, en tant qu'objet, dure moins. On publiera tout ce que l'on croira susceptible de drainer un lectorat suffisant pour faire du bénéfice, à charge, si le livre se révèle marquer tant soit peu son temps, de le réimprimer à échéance régulière.

Autrement dit, on préfèrera réimprimer vingt fois un livre en cinquante ans sur du mauvais papier et avec une mauvaise encre plutôt que d'en faire une bonne fois pour toutes un volume digne de ce nom (soit dit sans mépris envers les gens qui concourent à les fabriquer) que les époques futures consigneront comme la marque du savoir-faire de notre siècle. Je peux encore lire, chez feu ma grand-mère, une vie de saints imprimée au XVIIIe siècle, à un tirage assez fort je le suppose, quoique ce livre n'ait reçu aucun soin et qu'il soit passé entre je ne sais combien de (pieuses) mains. Mais pourra-t-on, dans deux siècles et demi lire encore, par exemple, les anthologies poétiques publiées par Gallimard (dans sa collection de poche) ?

Ma curiosité est donc animée par ma crainte de voir notre époque (pourtant si friande de "culture mémorielle") ensevelie dans l'amnésie. Car si on peut, aujourd'hui encore, publier sans erreur, et donc lire en toute confiance, Montesquieu, c'est avant tout parce que les éditions contemporaines de Montesquieu (entendre : "de l'époque de Montesquieu") sont conservées et lisibles. Je doute que, dans un siècle ou deux d'ici, on puisse encore en faire de même avec Raymond Aron (qui ne vaut pas Montesquieu, certes). Et d'une manière générale je ne peux m'empêcher de penser que l'amoindrissement qualitatif du livre va de paire avec la baisse qualitative générale du texte qu'il contient (on publie sur des supports de moins en moins bons et de plus en plus périssables des textes qui sont de moins en moins bons et de plus en plus en plus éphémères).


JBV