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Message : Re: [typo] Le ou la Covid-19 ?...

(Jacques Melot) - Vendredi 08 Mai 2020
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Subject:    Re: [typo] Le ou la Covid-19 ?...
Date:    Fri, 8 May 2020 19:00:56 +0200
From:    Jacques Melot <jacques.melot@xxxxxxxxx>

Title: Re: [typo] Le ou la Covid-19 ?...
 Le 7/05/20, à 23:26 +0200, nous recevions de Yoann LE BARS :

        Salut à tous?!

Le 07/05/2020 à 21:17, Jacques Melot a écrit :
> D'une part, l'usage dans la
> langue commune leur fournira le masculin -- après tout, le nom d'une
> maladie n'est pas nécessairement féminin -- ou ils adopteront le féminin
> et ce ne pourra être que sur la base d'un raisonnement. C'est là que ça
> se corse ou, plus exactement se gâte, car le fait que le/d/ de « covid »
> soit mis pour « maladie » dans la langue à laquelle on emprunte
> l'acronyme ne justifie en rien que ce dernier doit ipso facto être
> considéré comme féminin.

     Tout à fait. Cet argument fonctionne également pour le masculin.
Clairement, le genre est ici arbitraire.

        Tout de même, je pense que l¹on perd de vue certaines choses. Tout
d¹abord, avant d¹entrer dans le langage courant, Covid-19 est un terme
qui a été utilisé dans un domaine spécialisé. Dans ce domaine, pour
autant que j¹ai pu en juger, l¹usage a d¹abord été d¹user du féminin,
raison pour laquelle, par exemple, j¹use du féminin. De plus, je pense
qu¹il ne faut pas perdre de vue la consistance : pour reprendre mon
exemple, même si je suis persuadé que l¹usage va consacrer le masculin
et que ça ne me pose aucun problème, je n¹ai pour l¹instant pas basculé
vers le masculin pour conserver une consistance dans mes publications.

    De toute façon, en l¹espèce le choix du masculin ou du féminin est
clairement un arbitraire et c¹est très bien. Le raisonnement savant
n¹est qu¹une rationalisation après coup, qui fonctionnerait tout aussi
bien si l¹usage avait consacré l¹autre genre.


[J. M.]   Bien entendu. Je vous rappelle tout de même que dans mon message le plus récent j'ai bien fait la distinction entre l'usage dans la langue de tous les jours et l'usage scientifique. Dans mon premier message sur le sujet, en réponse à la question d'Yves Brunet, correcteur et responsable de la marche typographique d'une revue, j'avais déjà essentiellement en vue le langage courant.


[...]
>    D'un point de vue linguistique, en français courant, « covid-19 » est
> de fait le signifiant associé à un signifié, lequel signifié est en
> l'occurrence un virus.

    Là, par contre, je me pose en faux. Le signifiant Covid-19 désigne le
signifié maladie à coronavirus de 2019, pas le virus lui-même. Alors,
oui, l¹erreur est souvent faite, mais en l¹espèce il est *nécessaire* de
ne pas la propager. Cette erreur est *très* dangereuse.


   Encore une fois, j'insiste bien sur le fait que j'ai écrit « en français courant », c'est-à-dire dans la pratique actuelle, irréfléchie, spontanée des gens en général, y compris celle des médias. 

   Dans la langue courante, on peut dire dans un premier temps que « le covid » (avec ou sans 19) désigne généralement le virus (« il a attrapé le covid », « le covid sévit maintenant dans le Berry », « le covid s'immisce partout », etc.), secondairement la maladie (« il a le covid », « les gens atteints du covid », etc.). Mais, tout comme, par le jeu des métonymies, il y a le bureau table et le bureau qui contient la table appelée bureau, jusqu'à l'emploi collectif pour le lieu de travail, bâtiment renfermant quantité de bureaux, on peut aussi admettre, à strictement parler, et c'est beaucoup plus intéressant, qu'il n'est pas possible de dire avec certitude, malgré les apparences, si « covid » est employé pour la maladie et par métonymie pour le virus (ou l'inverse).

   En réalité, les choses sont donc plus compliquées et les explications à fournir plus subtiles. Dans une phrase comme « les gens atteints du covid » (comme on peut être atteint du tétanos) il n'est effectivement pas même possible de préciser avec certitude si « covid » est vraiment pris dans le sens de maladie, tout simplement parce que les gens, journalistes compris, de manière très générale, n'en ont pas une conscience claire et que le savoir leur serait inutile ou, plutôt, serait ressenti comme tel. En l'occurrence, le vague qui entoure le syntagme « le covid[-19] » n'est pas ressenti par les personnes et, surtout, ne gêne pas sensiblement la communication.

   Il faut donc bien comprendre que, dans les circonstances actuelles, la chose -- virus ou maladie -- est vague dans l'esprit du locuteur, et même informulée, et que malgré cela le message, lui, n'est pas vague ou, plus exactement, remplit quoi qu'il en soit son rôle. Le locuteur exprime avec une exactitude, certes relative, mais suffisante sa pensée, même si c'est à l'aide de termes mal définis, au sens mouvant, un sens qui peut être le sens propre comme un sens figuré, au besoin en mélange. 

   En effet, en s'exprimant on ne fait jamais que signifier. Nous ne fournissons ce faisant jamais une image isomorphe à la réalité. Le langage n'est jamais qu'une forme réduite qui suppose la connivence de l'interlocuteur. Prenez le temps d'examiner des minutes d'enregistrement de la télé ou d'une conversation et vous verrez à quel point cela est vrai. Il n'est pas inutile de se rappeler ici ce que l'on dit à l'occasion de la géométrie (sans, bien sûr, que cela constitue une définition de cette dernière) : c'est l'art de raisonner juste sur des figures fausses. Dans le cas présent l'interlocuteur comprend ce qui arrive aux personnes en question (« atteintes du covid ») et qu'il s'agisse du virus ou de la maladie dans la bouche du locuteur, passez-moi l'_expression_, tout le monde s'en fout ! Déjà parce qu'il est impossible de le préciser, même en posant la question au locuteur (s'il répond « honnêtement », ce qui n'est pas si facile, car, comme en mécanique quantique où l'observateur influe sur ce qui est observé, le fait de poser la question et la teneur de celle-là peut avoir une influence perturbatrice sur la réponse, à l'insu de la personne interrogée). 

   Évidemment, ce type de fonctionnement de la langue de tous les jours n'est pas et ne peut pas être la règle dans le domaine scientifique, mais personne n'a prétendu le contraire. Cela ne veut absolument pas dire qu'en science on n'utilise pas le langage de la même manière, c'est-à-dire essentiellement pour signifier. La différence réside dans le fait que cette fois on utilise des termes bien définis, on s'efforce de rester cohérent et de ne pas faire d'entorse à la logique (quant à l'éthique... mais c'est une autre histoire).

   Les exemples que vous donnez ci-dessous sont à mes yeux des exemples que l'on pourrait dire ad hoc (comme cette histoire de « gateaux sales » obtenu en supprimant les accents des capitales en guise de démonstration comme quoi l'on 
doit accentuer systématiquement ces dernières). En réalité, suivant les circonstances (nature de l'auditoire, etc.), le spécialiste, eu égard à l'usage de tous les jours, évitera spontanément de s'exprimer d'une façon qui ferait qu'il risque d'être mal compris.

   Je n'ai rien à dire de particulier pour ce qui est de la question de la terminologie scientifique, reconnaissant bien entendu qu'il est nécessaire de faire clairement la distinction entre le virus et la maladie.

   Bonne soirée à tous,

   Jacques Melot

« Comprendre un mot, une phrase, ce n¹est pas avoir l¹image des objets réels que représente ce mot ou cette phrase, mais bien sentir en soi un faible réveil des tendances de toute nature qu¹éveillerait la perception des objets représentés par le mot » (Jean Paulhan.)




Voici pourquoi :

        Par exemple, si une grande partie du mécanisme n¹est pas entièrement
élucidé, on peut dire sans trop s¹avancer que si la Covid-19 est
provoquée par l¹action du SARS-CoV-2, son évolution n¹est pas uniquement
due à cette action du virus.

        Si, dans la phrase précédente, on remplace «?la Covid-19?» par «?le
Covid-19?» ou «?le SARS-CoV-2?» par «?la SARS-CoV-2?», la phrase reste
tout aussi intelligible, choisissez la variante qui vous plaît. En
revanche, voici ce qu¹il advient lorsque l¹on fait l¹amalgame entre
virus et maladie :

        «?Par exemple, si une grande partie du mécanisme n¹est pas entièrement
élucidé, on peut dire sans trop s¹avancer que si la Covid-19 est
provoquée par l¹action du Covid-19, son évolution n¹est pas uniquement
due à cette action du virus.?»

      Immédiatement, c¹est beaucoup moins clair et la communication devient
très opaque. Ce qui est fortement délétère.

     Il est vraiment essentiel de bien séparer le virus de la maladie qu¹il
provoque, car le mécanisme d¹une maladie implique d¹autres éléments que
la seule action du virus. Pour prendre un exemple que tout le monde
connaît, l¹action du VIH est la cause première d¹un effondrement du
système immunitaire, lequel effondrement est appelé SIDA. Au demeurant,
ce n¹est pas le VIH qui tue, mais les infections opportunistes qui
profitent de cet effondrement. C¹est une des raisons pour lesquelles les
trithérapies sont d¹autant plus efficaces qu¹elles commencent rapidement
après l¹infection au virus : au plus tôt la prise en charge est-elle
effectuée, au moins le système immunitaire aura été éprouvé.

    Cette distinction entre maladie et virus est très loin d¹être
anecdotique, notamment dans la situation actuelle. Ainsi, au moment où
j¹écris ces lignes, nous ne disposons pas d¹un traitement permettant de
contrecarrer l¹action du SARS-CoV-2. En revanche, on sait prendre en
charge la détresse respiratoire ainsi que les autres symptômes de la
Covid-19, ainsi que leurs conséquences. Or, dans la mesure où il a été
intégré que l¹on n¹est pas en mesure de contrecarrer l¹action du
SARS-CoV-2, une partie du public en a déduit que l¹on ne fait rien
contre la Covid-19. C¹est non seulement extrêmement irrespectueux de
l¹effort de titan fourni par le personnel de santé, mais également
produit des raisonnements très dangereux, où certains sont prêt à
administrer n¹importe quoi au motif que ce serait mieux que de ne rien
faire. Or, administrer une substance sans savoir quels peuvent en être
les conséquences est bien plus dangereux que de se contenter d¹un prise
en charge déjà bonne.

       Autours de la Covid-19, la communication a été très mauvaise et cause
de nombreux problèmes. Cette communication dangereuse a été notamment le
fait d¹individus qui se déclaraient d¹une communication scientifique. Il
n¹en demeure pas moins que c¹est la cause d¹attitudes dangereuses.

Alors, oui, la confusion entre virus et maladie est une erreur
répandue. Cette erreur est extrêmement dangereuse : rien ne justifie de
la propager.

       Après, la question du genre, vraiment, on s¹en moque?

   À bientôt.

--
Yoann LE BARS
http://le-bars.net/yoann/
Diaspora* : ylebars@xxxxxxxxxxxxxxx


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