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Message : Re: [typo] D'où pourrait bien venir la lettre "W" ?

(Jacques ANDRÉ) - Lundi 22 Mars 2021
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Subject:    Re: [typo] D'où pourrait bien venir la lettre "W" ?
Date:    Mon, 22 Mar 2021 22:08:45 +0100
From:    "Jacques ANDRÉ" <jacques.andre35@xxxxxxxxx>



Le 22 mars 2021 à 19:18, <thuwart@xxxxxxxxxxx> <thuwart@xxxxxxxxxxx> a écrit :

Bonjour à la liste,
 
Juste par curiosité et parce que je me pose la question depuis quelque temps sans savoir où m’adresser pour avoir une réponse : Selon vos connaissances, vos contacts ou votre expérience, sauriez-vous me dire quand le caractère « W » est apparu chez nous (et pourquoi) ?

La lettre w est issue des langues germaniques au Moyen-Âge.
En français du Moyen-Âge (et en latin depuis lors), il a essentiellement servi à écrire de (très rares) noms propres d’origine anglaise, allemande ou slave. 
En français populaire, les sons Goué-goua (pardon, pas d’alphabet phonétique sous la main) s’écrivaient Gvé et Wa (et on retrouve ça dans la toponymie avec beaucoup de « pointe de la garde » écrites « pointe de la Waarde).
Vous trouverez surement des détails dans toute bonne histoire de la langue française ! 
Mais comme on est sur une liste de typo, qq mots sur l'apparition des types W et w dans les imprimés français.

La lettre W n’apparait dans les imprimés français qu’au milieu du XVIe siècle. AMHA, parmi les toutes premières apparition de W  il y a les couvertures de l’imprimeur parisien (d’origine flamande) André Wechel: il avait probablement fait graver ce caractère juste pour ses propres besoins : écrire son nom sur la couverture ! C’est par exemple le cas du  Tiers liuvre… de Pantagruel (1546) [scan aux BVH] et du Traicté de la peste, de la petite verolle & rougeolle.. d’Ambroise Paré,  A Paris, De l’Imprimerie d’André  Wechel … 1568. [voir la version numérisée sur le site de Gallica]. Ce livre  de Paré a été intégralement composé en Garamond*. Mais, à part le grand titre, pas le moindre w dans ces deux bouquins.
* Petit détail cocasse : Il traine partout sur le web une planche [issue du livre de Nina Catach] montrant les « caractères authentiques du Garamond » où il y a un splendide W. En fait cette planche est moderne (vers 1950) et représente les caractères imprimés à partir des matrices de ce Garamond qui sont conservées au Musée Plantin à Anvers, matrices où Plantin avait ajouté, sans doute dans les années 1600, un W (qui d’ailleurs n’est pas du même œil que le reste de la fonte). En fait Garamont n’a pas gravé le moindre W.
On connaît aussi un w (bdc seul) dans un Petit-parangon italique de Granjon (1554). Mais là aussi cette lettre n'apparait que dans une planche du Musée Plantin (vers 1950). 
Pas l’impression que Granjon lui non plus ait gravé des w.

AU XVIIe, on trouve des grands titres ode le W cap est remplacé par VV (toute comme le É est imprimé E'). 

Au XVIIIe siècle, il n’y pas beaucoup de w non plus dans les imprimés français. Dans sa police pour le Caractère romain, Fournier donne en 1764 les proportions (arrondies) de 10 000 (nombre de e) à 100 (nombre de w) ; je suppose d'ailleurs qu'il a arrondi à 100 un nombre très inférieur !
Les plans de casses anciennes n'avaient pas de w. Lequel a été mis avec ç, k et autres caractères bizarres, dans le haut de la casse du bas, loin de la main.

Jusqu’au siècle avant-dernier, les dictionnaires ne donnaient que quelques rares mots commençant par w ; ils n’avaient d’ailleurs pas toujours une entrée spéciale pour cette lettre (les w… étaient alors mis avec le V).

Aujourd'hui, des dessinateurs de caractères râlent contre ce w très difficile à concevoir... (notamment à cause des pointes du bas, mais aussi des diagonales).

Jacques André