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Message : RE: [typo] Genre féminin ou masculin ?

(Jacques Melot) - Jeudi 11 Août 2022
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Subject:    RE: [typo] Genre féminin ou masculin ?
Date:    Thu, 11 Aug 2022 17:18:39 +0200
From:    Jacques Melot <jacques.melot@xxxxxxxxx>

Title: RE: [typo] Genre féminin ou masculin ?
[J. M.]   Puisque nous sommes à l'époque des vacances, voici un peu plus de détails et quelques commentaires concernant le succulent texte de Mark Twain (A tramp abroad, 1880).

Dans mon message précédent, j'ai commencé par donner un fragment du texte anglais dans une traduction française libre (entre crochets, des ajouts que je fais pour guider le lecteur qui ne connaît pas l'allemand), ce qui donnait quelque chose comme :

   « En allemand, une fille n'a pas de sexe [das Mädchen, neutre], contrairement à un navet [die Rübe, fém.].
Maintenant la suite :

« [...]

« Gretchen. - Wilhelm, où est le navet ?

« Wilhelm. - Il est dans la cuisine.

« Gretchen. - Où est cette belle jeune fille modèle anglaise ?

« Wilhelm. - Elle est allée à l'opéra. »

   Arrivé à ce point, vous allez vous dire « et alors ? » et vous aurez raison. Si ce qui vient d'être écrit ne suscite aucune remarque particulière de la part d'un francophone, par contre il n'en va pas de même avec le texte original en anglais :

« Gretchen. - Wilhelm, where is the turnip?


« Wilhelm. - She has gone to the kitchen.


« Gretchen. - Where is the accomplished and beautiful English maiden?


« Wilhelm. - It has gone to the opera. »


   Cela ne donne évidemment rien en français (et pas plus en allemand) pour la bonne et simple raison que la notion de genre grammatical nous est tout à fait naturelle et que de manière tout aussi naturelle et spontanée nous ne la confondons nullement, contrairement aux anglophones, avec celle de sexe des personnes. Mais continuons avec le texte de Mark Twain.


   « En allemand un arbre est mâle, ses bourgeons sont femelles, ses feuilles sont neutres ; les chevaux sont dépourvus de sexe, les chiens sont mâles, les chats femelles - y compris les matous, bien sûr. La bouche, le cou, les seins, les coudes, les doigts, les ongles, les pieds, le corps sont de sexe masculin, et la tête est mâle ou neutre, suivant le mot utilisé et non en accord avec le sexe de la personne en question. Car en Allemagne toutes les femmes ont une tête mâle ou une tête neutre. Le nez d'une personne, ses lèvres, ses épaules, sa poitrine, ses mains, ses orteils sont de sexe féminin, et ses cheveux, ses oreilles, ses yeux, sa peau, ses jambes, son coeur et sa conscience n'ont aucun sexe du tout. L'inventeur de cette langue a probablement reçu ce qu'il savait de la conscience par ouï-dire...

   « En allemand, s'il est vrai que, dû à quelque inadvertance du langage, une femme est de sexe féminin, une épouse ne l'est pas - ce qui est malheureux. Elle n'a pas de sexe, elle est neutre. De même, suivant la grammaire, un poisson est mâle, ses écailles sont femelles, mais une femelle poisson n'est ni l'un ni l'autre. »

   Mark Twain incarne à l'occasion aussi « l'hôpital qui se fiche de la charité », avec la syllepse du genre, de règle en anglais moderne, qui le mène à écrire : « a person's mouth [...] and his head », « a German [...] he », « the student [...] he », etc., une « sous-détermination » (tout à fait correcte en anglais classique du reste, mais tout à fait impie en anglais vertueux où l'on s'empresserait d'ajouter or her devant head et or she après student), alors que quelques lignes avant cela il ironisait sur la surdétermination de l'allemand :

   « Pour un Allemand, un Anglais est un Engländer. Pour désigner une femme anglaise, il ajoute -in, et « Anglaise » est alors « Engländerin ». Cela semble être une description suffisante, mais pour un Allemand il n'en est rien, aussi ajoute-t-il devant ce mot un article qui indique que ce qui suit est de sexe féminin, d'où « die Engländerin », ce qui signifie « l'Anglaise-femme » [The she-Englishwoman]. Je vois là une surdétermination. »


   Tout cela est oublier (sans doute volontairement, car Twain était très érudit) qu'en remontant un peu dans le temps l'anglais était une langue lourdement déclinée, autant que l'allemand et les autres langues germaniques, et que par exemple notre moderne woman était wifman, où wif (qui a d'abord désigné une femme de manière générale et qui a donné notre moderne wife) était... neutre (comme en allemand où quelques lignes plus tôt il raillait ce fait) et man masculin (homme sans idée de sexe ; latin homo), ce qui fait que ce mot pour femme, wifman, était initialement... masculin ; woman est le pendant de werman, homme masculin (ver, vir, var, homme de sexe masculin, se retrouve en latin dans triumvir, virago, garou -- adaptation française de werwolf --, etc.), ce qui explique peut-être que wifman, qui a évolué en woman, a supplanté wif, lequel mot a subsisté sous la forme wife pour ne plus désigner que l'épouse.


   Twain nous à là beaucoup amusé, s'amusant sans aucun doute lui-même tout autant, en rédigeant son texte. Idéal pour nos vacances !

   Jacques Melot



 Le 11/08/22, à 7:45 +0000, nous recevions de Roger Little :
 

n. m., n. f.

 

 

La règle, comme le chêne, est inflexible :

tous les arbres, sans exception, sont d¹une masculinité

générique ; on dit le catalpa, le platane, le frêne,

malgré les terminaisons en apparence féminines.

Les troncs en érection déterminent-ils cet usage ?

La délicatesse toute flexible des fleurs, au contraire,

ferait supposer le choix général du féminin,

mais non : pour souple que soit le perce-neige,

pour beau que soit le périanthe du nymphéa,

tutu dansant sur la mare, le masculin l¹emporte.

 

Le dictionnaire a sa logique alphabête à lui,

insensible aux sentiments qui feraient plier le roseau.


Pour l'étranger, le genre des mots est toujours un casse-tête !
Cordialement,
Roger Little


[J. M.]  Si l'on ne s'en fait une raison, l'arbitraire est toujours un casse-tête, et pire l'est encore l'arbitraire mêlé aléatoirement de règles !

   La connaissance du genre grammatical ne tient souvent qu'à un fil : même un francophone peut hésiter et facilement se tromper de genre : on entend un ou une enzyme, un ou une rail, un ou une après-midi, un ou une autoroute, un ou une escarre, un ou une caténaire, etc. Il n'y a aucun lien nécessaire entre l'objet et le genre grammatical : on s'accommode parfaitement de souris, couleuvre, etc., un féminin pour désigner aussi bien le mâle que la femelle.

   La lune est féminin en français, masculin en allemand, neutre en islandais ; de même « être humain » est masculin en allemand, féminin en islandais et neutre en norvégien (ici le genre change à la frontière, puisqu'il s'agit d'un seul et même mot dans ces trois langues, alors que pour la lune, il s'agit de trois mots totalement différents, ce qui montre qu'aussi bien le concept que la forme du mot ne produisent pas mécaniquement le genre grammatical).

   L'éleveur de bovins parle de ses vaches en y incluant les taureaux, et la sentinelle, l'estafette, la personne, l'individu, la recrue, l'assassin, le conjoint, le chef, le membre sont aussi bien un homme qu'une femme. Même chose pour l'avocat, le médecin, le professeur, l'écrivain, etc. Les formes féminines ne désignent pas un concept différent. Elle sont commodes, mais non nécessaires. Il est incorrect de dire que telle femme a un diplôme d'avocate : elle a un diplôme d'avocat et, suivant la construction de la phrase et sa signification, elle peut être dite avocat (inévitablement dans certains cas) ou avocate (toujours facultativement -- sauf bien sûr dans un texte où l'on commente ce féminin et circonstances analogues).

   Exemple d'impossibilité d'usage de la forme féminine : « Elle est notre avocate la plus efficace » Telle quelle, cette phrase signifie que la femme en question est la plus efficace de ses collègues femmes et ne dit rien des avocats hommes du groupe concerné, supposé mixte. Si dans l'intention la comparaison se fait avec l'ensemble des collègues, la forme correcte ne peut être que « Elle est notre avocat le plus efficace ».

   On voit que l'emploi de la forme féminine est fréquemment impossible, du moins si l'on a le souci d'être compris uniformément de tous et de ne pas induire en erreur.

   Jacques Melot

P.-S.   Il existe un texte succulent de Mark Twain qui exprime bien le « désarroi du genre » causé aux locuteurs de langues sans genre grammatical et qui commence, une fois traduit, par « En allemand, une fille n'a pas de sexe [das Mädchen, neutre], contrairement à un navet [die Rübe, féminin], etc. »




De : typographie-request@xxxxxxxx <typographie-request@xxxxxxxx> de la part de Patrick <patlist@xxxxxxxxxxxxx>
Envoyé : mercredi 10 août 2022 19:20
À : typographie@xxxxxxxx <typographie@xxxxxxxx>
Objet : Re: [typo] Genre féminin ou masculin ?
 
Bonsoir Brigitte,

Les dictionnaires classiques (Larousse, le Robert?) ont le double rôle de renseigner le lecteur qui souhaite comprendre le sens des mots qu¹il rencontre et dire quels sont les mots du français.

Malheureusement la plupart ne font pas la distinction. À ma connaissance, le dernier qui faisait la différence est le Littré qui faisait précéder un mot non officiel (ne faisant pas partie du dictionnaire de l¹Académie) d¹un astérisque.
Une bonne méthode qui permettait à la fois de renseigner le lecteur et de lui dire les mots de notre langue, et ainsi ne pas laisser penser que des mots étrangers ou argotiques ou créés en plus de mots existants pourraient faire partie de la langue française.

Le Robert, que vous citez, est facilement porté à mentionner des mots nouveaux, parfois à la durée de vie très courte.
L¹avantage est qu¹il renseigne largement tout le monde.
L¹inconvénient est qu¹il peut laisser croire qu¹il s¹agit d¹un vrai mot du français.
Mais bon, les dictionnaires sont ¦uvres d¹auteur, donc avec des choix divers?

Le dico que j¹aime bien utiliser (tiens, pourquoi ?) et le dico numérique Myriade, qui à son origine, s¹est appuyé sur le Darmesteter. Je précise, sans le piller mais en respectant ses auteurs ou du moins ses ayants droit.
Et Myriade laisse le choix au covid en lui affectant un masculin ou féminin

Le C étant déjà loin dans la 9e édition, on verra comment l'Académie l'enregistre dans la 10e. « On » ou notre descendance. <https://dictionnaire-academie.fr>

Cordialement et bonne soirée




Le 10/08/2022 à 11:09, Brigitte Gaudin de Gaullier - Freelance Translator a écrit :

Merci beaucoup pour vos réponses.

Oui, les dictionnaires en effet, mais quand je vois que Le Robert accepte le masculin pour COVID alors qu'il s'agit de la maladie sous prétexte que ce genre erroné est passé dans l'usage, franchement cela « m'interpelle » (comme on entend dire de nos jours). C'est comme si on disait «  le grippe, le coqueluche... ».

Cordialement,
Brigitte

Le mar. 9 août 2022 à 11:08, Bernard Lombart <lombart@xxxxxxxxxxxx> a écrit :

Même problème en informatique pour l'horloge.
Pourquoi dire "la clock" parce que le français "horloge" est féminin ?
Non, "le clock", et, s'il ne tenait qu'à moi, avec des guillemets (et français, oui !)...

B.L.

====

 


Le 2022-08-09 10:46, Philippe-André Lorin a écrit :

[Brigitte Gaudin de Gaullier]

Dans le mode d'emploi d'un dispositif médical, un client tient absolument à ce que l'on utilise le terme anglais « chip » au lieu du terme « puce ». J'hésite, dans ce cas, entre le masculin ou le féminin, c'est-à-dire « la chip » ou « le chip ». Je n'arrive pas à retrouver la règle.

 
Pourquoi ne pas vous en remettre à un dictionnaire??
Pour le Larousse et le Robert, chip est masculin dans cette acception.
C'est conforme à l'usage, selon mon expérience.


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Patrick
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