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Message : Typo et musique

(Thierry Bouche) - Lundi 28 Avril 1997
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Subject:    Typo et musique
Date:    Mon, 28 Apr 1997 11:10:44 +0200 (MET DST)
From:    Thierry Bouche <Thierry.Bouche@xxxxxxxxxxxxxxx>

Concernant « Typo et musique », Jacques Andre écrit :
 > On voit souvent, dans cette liste ou d'autre, des questions
 > comme << Faut-il ... ? >> ou << A-t-on le droit de ... >>.

je n'ai probablement pas compris ce que tu veux dire, mais je ne suis
pas d'accord avec ce que j'ai compris. Je le répéterai 20000 fois,
mais, si la typo est empirique, elle n'a rien de subjectif. Ce qui est
subjectif, c'est le plaisir esthétique que l'on prend (ou pas) à tel
résultat.  Le fait qu'il y ait des choix (esthétiques, précisément ---
mais aussi bien pragmatiques) ne contredit en rien le fait qu'il y ait
des usages, l'équivalent d'une grammaire, un savoir sur la façon de
pondérer l'information.

Il y a une différence fondamentale entre la musique et la typo (en
quoi d'ailleurs la typo relève plus de l'artisanat que de l'art) : si
on ne met pas de musique, on peut qd même faire la messe, on ne peut
faire l'impasse de la typo pour diffuser de l'écrit.

Par exemple, lorsque libé ne met pas d'espaces autour des guillemets,
cette typographie induit un malaise de lecture (dont nous sommes peu à
connaitre la cause) _objectivement_ dans le contexte de la lecture de
textes français. Ça peut très bien être délibéré, mais il s'agit bien
d'un violence faite au lecteur (ou à alain dans certains cas...).
[au fait, l'argument sur la place réduite ne tient pas, minion est
déjà à peu près aussi économe que times, et il en existe des versions
condensées.]

Il y a une idée géniale dans un livre de perrousseaux, c'est la compo
« en tapis ». Rappelons les faits. Lorsque l'on fait un tapis (là
aussi un artisanat où on y sait y faire après des siècles de mises au
point empiriques : nous l'appellerons la tapigraphie) le problème est
de limiter les contrastes, les « effets de relief » car le tapigraphe
sait combien il est désagréable de marcher sur un tapis donnant
l'impression du relief. Mettre le pied sur une tache sombre donne
inconsciemment la peur de tomber, une brusque tache claire nous fait
trébucher... À l'opposé, le typographe sait qu'une composition « en
tapis » de laquelle rien ne se détache, dans laquelle l'information a
perdu sa structure, les mots l'immédiateté de leur lisibilité, est à
proscrire s'il désire « faire passer le message » écrit. Ce qui est
amusant, c'est que c'est souvent la volonté d'emphase maximale, la
tentative de _tout_ souligner qui conduit à une compo en tapis (il y
en a de beaux exemples dans les pubs de la presse info surchargées de
promos incroyables). Maintenant, d'un point de vue « artistique », on
a parfaitement le droit de faire des tapis, on peut même en trouver de
jolis (chez brody ou carson, e.g.), mais le type qui compose un doc
technique comme ça est un âne bâté.

   Thierry Bouche.       -----       thierry.bouche@xxxxxxxxxxxxxxx
          http://www-fourier.ujf-grenoble.fr/~bouche/


PS
 > En musique il y a le solfège et des genres. On n'a jamais entendu
 > de musique (du moins durable) qui ne s'appuie sur le solfège, ou
 > un solfège.

je ne suis pas d'accord avec ça. Par exemple, la  musique concrète est
devenue parfaitement stérile depuis qu'elle a développé son 
« solfège ». Je doute qu'on puisse décrire le solfège de john cage
(dont les recherches aléatoires ont du avoir des répercussions sur les
typos aléatoires, non ?)

 > Ou alors ne s'apprend pas et on croit que c'est inné...

paradoxalement, oui. la prose est inée, la typo est innée, on est bien
obligé, non ? Évidemment, tout le monde n'est pas frutiger ou
flaubert.