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Message : Re: Inutile orthotypographie?

(Alain LaBonté ) - Jeudi 26 Février 1998
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Subject:    Re: Inutile orthotypographie?
Date:    Thu, 26 Feb 1998 09:12:32 -0500
From:    Alain LaBonté  <alb@xxxxxxxxxxxxxx>

A 18:16 98-02-25 -0500, JD Rondinet a écrit :

[Alain] :
>-->> On ne met de capitales qu'en début de phrase et sur les noms propres.
>Pourquoi compliquer les choses et risquer de créer chez le lecteur une
>confusion totale ? Il faudra que l'on m'explique plus qu'on l'a fait
>jusqu'ici. <<--

[Jean-Denis] :
>                Mon cher Alain,
>
>        Tu es vraiment bien tombé, en t'inscrivant à notre « liste », et je
>crois qu'on va pouvoir te prendre sérieusement en main !
>        Car tu ne peux pas continuer d'ignorer qu'il existe une
>« sur-couche » à la simple grammaire (dans toutes les langues, d'ailleurs),
>à laquelle on donne le nom d'orthotypographie, ou de code typographique,
>etc. (on a même vu le mot « ploutographie » !).
>
>        Cette « discipline » (dans les trois acceptions du terme, car c'est
>aussi parfois une haire pour nous !) n'est pas pratiquée dans les écoles ni
>dans les facultés, et on n'en fait la connaissance que dans les formations
>de journaliste, de documentaliste et bien sûr de correcteur et de
>typographe (quels que soient les noms dont on peut nous affubler
>aujourd'hui, nous les hommes de l'art dévoués à la mise en forme des textes
>des autres).
>        Ses détracteurs voient souvent l'orthotypographie comme le latin du
>juriste, de Diafoirus ou du curé : ce serait par vaine gloriole et malsaine
>cryptophilie que les professionnels de l'édition protégeraient leur
>prébende grâce à des codifications mystérieuses, absconses et inutiles !
>        Eh bien ! tout au contraire, cette « sur-couche » que les scribes,
>copistes, typographes, imprimeurs, journalistes, lexicographes... ont
>peaufinée au cours des siècles est destinée à une simplification de la
>lecture, et à l'extermination programmée des malentendus, quiproquos et
>incertitudes dont pourrait souffrir le lecteur. Tout l'inverse de la
>« confusion » que tu crains !
>        C'est par exemple un imprimeur, M. Guillaume, qui créa le
>guillemet, dont on se demande aujourd'hui comment un écrit pourrait se
>passer ! C'est, a contrario, par l'impossibilité de respecter
>l'orthotypographie que le « courriel », dans son triste état ASCII actuel,
>engendre des doutes qu'on cherche à lever de façon bien maladroite
>(« smileys », astérisques, soulignements...).
>
>        Les grands auteurs n'ont d'ailleurs jamais négligé de s'initier aux
>arcanes de l'orthotypographie. Plus d'un a même décidé d'user ses culottes,
>pour le plaisir d'acquérir une connaissance nouvelle qui enrichira son art,
>sur un tabouret de correcteur d'imprimerie (Erasme, Balzac, Hugo,
>Proudhon...). Au sein même de la présente « liste » se pressent des novices
>qui viennent s'abreuver à notre mamelle* typographique, après avoir connu
>des expériences professionnelles tragiques dues à leur méconnaissance
>fâcheuse de la finesse de la langue imprimée.
>        Les auteurs (qu'ils se consacrent à la poésie ou à l'astrophysique)
>devraient savoir que nous, les typographes-et-assimilés, travaillons dans
>l'ombre pour le bien de leur oeuvre et que les « dévoués et discrets
>législateurs typographes ne songent certes pas à demander [aux auteurs] le
>sacrifice d'une nuance, si subtile qu'elle soit, de leur pensée » (G.
>Lecomte, de l'Académie française)... 
>        Bien au contraire : je puis, d'une majuscule ajoutée ou retranchée
>-- et qui ne débuterait ni une phrase ni un nom propre, cher Alain --,
>éclairer le lecteur sur la volonté profonde du scripteur (« La majuscule
>est un coup de chapeau », me dit Victor Hugo ; à moi donc de vérifier si
>l'auteur veut encenser ou mépriser) ; d'une abréviation correctement
>orthotypographiée, je puis lever un doute (Mgr, mgr, mg : l'auteur veut-il
>insinuer que même un cardinal ne pèsera un jour que le poids d'une
>poussière ?).
>
>        Et je peux, d'un italique bien placé, éviter des procès, des duels,
>des suicides ! 
>
>        « La grammaire est la loi de la langue, l'orthotypographie en est
>la jurisprudence. Et si l'orthographe était la viande et le légume,
>l'orthotypographie en serait le mijotage... » (V. Serviteur).
>
>                Cordialement,
>                Jean-Denis Rondinet,
>                correcteur-réviseur au « Figaro » (Paris), professeur
>d'orthotypographie
>
>______________
>* Ce « sein » et cette « mamelle » réunis dans une même phrase constituent
>une figure de rhétorique bien involontaire, mais qui, je l'espère, ne
>laissera pas de te réjouir !


   [Alain] :
   Devant ce très éloquent plaidoyer, je ne peux que m'incliner. Vous me
convainquez que l'on aurait intérêt à harmoniser la grammaire avec
l'orthotypographie (je comprend d'après ce que vous écrivez que la
grammaire lui doit d'ailleurs beaucoup d'éléments à retardement). D'ici là,
je ne demande qu'à apprendre. Je crois que votre texte est d'intérêt
public. J'en envoie copie à france_langue, comme vous l'avez vous-même
rendu public en l'envoyant à la liste TYPOGRAPHIE.

Amitiés.

Alain LaBonté
Québec