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Message : she/he et << linguistic harassment >> (Jacques Melot) - Mardi 10 Mars 1998 |
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Subject: | she/he et << linguistic harassment >> |
Date: | Tue, 10 Mar 1998 11:21:09 +0000 |
From: | Jacques Melot <melot@xxxxxx> |
Vous trouverez, ci-dessous, le texte d'une réponse en forme de lettre concernant le problème linguistique, psychologique et social posé par l'emploi des symboles she/he, her/him, etc., et par la « sexualisation » ostentatoire du langage, un thème récurrent dans FRANCE-LANGUE. C'est ce que j'ai qualifié ailleurs de « linguistic harassment », en particulier dans le forum SCIENCE-AS-CULTURE@xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx. ============================================= Le 1 nov. 1996 09:19:47 -0600, vous avez expédié au forum XXXXXXXX un message constellé de she/he, her/his et her/him (je passe sur les and/or du même acabit !). Vous savez sans doute que tout le monde ne reçoit pas avec le même enthousiasme une telle manière de s'exprimer, un des tics des sectateurs du « politically correct » et de la « pensée unique » (ce qui est curieux dans un forum consacré à la psychanalyse), et qui, en outre - et, peut-être, surtout - est contraire à l'usage linguistique anglais (au sens large de « la langue anglaise » en général). Puisque la langue est d'une importance particulière pour ceux qui s'intéressent à la psychanalyse et à la psychologie, en particulier dans ses rapports à la psyché, aussi pour diversifier un peu le contenu des interventions dans le présent forum, je vous propose que nous nous attaquions au problème posé par ce style qui peut être source de difficulté. Y recourir comporte d'ailleurs une part de défi et donc aussi le risque que ce défi soit relevé, ce que je me propose de faire ici (sans jamais tomber dans l'attaque personnelle, bien entendu). Comme probablement tous les abonnés au présent forum, je suis fermement opposé à toute forme de discrimination, donc au sexisme en particulier. Cela dit, je pense qu'il y a sûrement d'autres manières de traiter le problème du sexisme dans le langage, que celle qui consiste à tenter d'influer autoritairement sur le vocabulaire ou la syntaxe d'autrui, qui plus est en ayant recours à des procédés littéralement assommants. Comme l'expérience le montre, on tombe facilement dans l'inquisition et la tyrannie lorsque l'on tente d'imposer quoi que ce soit « au nom de la bonne cause ». À plusieurs reprises, dans des forums nord-américains notamment, il m'est arrivé de qualifier de « linguistic harassment » cette mode qui consiste à utiliser, comme dans votre texte, des symboles tels que « she/he » (ou « she or he »), « her/him », ainsi qu'à éviter systématiquement l'emploi des composés en « man », tels « policeman », « chairman », « mankind », « man-made », etc. En ce qui concerne « she or he », « him or her », etc., on pourrait arguer que dans les langues indo-européennes, le genre des noms est purement grammatical et non sexuel (ou naturel). Cela est vrai en français notamment, tant il est clair qu'une phrase telle que « La personne descendit la rue. Après avoir passé le bureau de poste, ELLE fit signe à un taxi... » est linguistiquement irréprochable et n'admet pas d'alternative en ce qui concerne l'usage du pronom personnel « elle ». Cet usage est le seul possible - une syllepse serait ici regardée comme une faute franche -, que la personne en question soit de sexe masculin ou féminin, et que ce dernier soit connu ou non de celle qui s'exprime ou de celle à qui l'on s'adresse. Cela est vrai et l'a toujours été, même à l'époque de la domination masculine la plus impitoyable, et cette remarque vaut, plus généralement, pour les autres langues indo-européennes ayant conservé tout ou partie du genre grammatical (allemand, islandais, etc.). En anglais, je le concède, la situation est moins nette, car, au cours du temps, cette langue s'est vue dépouillée d'une grande partie de sa grammaire au point de perdre, pour l'essentiel, la notion de genre grammatical (jusqu'au XVe siècle, le moyen anglais connaissait encore le masculin, le féminin et le neutre, genres qui persistent en allemand et en islandais, par exemple). Bien sûr, on sait que, depuis des siècles, les noms de bateaux et d'autres véhicules ou nefs, de certains animaux et des nations y sont souvent remplacés par des pronoms personnels féminins, mais il s'agit là d'une forme de personnification qui ressortit à la rhétorique et qui n'a rien de grammatical (« My cat [...]. She [...] »). La preuve en est que ce genre féminin ne correspond pas toujours au genre réel du nom ; par exemple, et pour simplifier encore un peu les choses, « wifman » (épouse), qui est devenu « woman », était masculin, alors que « wif », qui a le même sens, pris isolément était neutre ! Ajoutons encore qu'en allemand, le mot « Mensch » (être humain) est masculin, que le mot correspondant basé sur la même mot vieux saxon (mennisco) est féminin en islandais (manneskja ; comme le vieux suéd. mænniskia qui a donné le suéd. mod. människa), et neutre en norvégien et danois (menneske). On pourrait multiplier les exemples à n'en plus finir. La lune est féminin en français, masculin en allemand et neutre en islandais, sans compter les mots qui, comme le français « orgue », sont masculins au singulier et féminins au pluriel. La pratique d'apparition relativement récente en question ici (she/he, she or he), est d'ailleurs réprouvée par les « manuels de style » anglo-saxons, indépendamment de toute considération sexiste, comme en témoignent les extraits suivants, certains très récents : 1. - « Effective writing depends as much on clarity and readability as on content. [...] He or she and her or him are cumbersome alternatives [...] » (in J. Gibaldi, MLA Handbook for Writers of Research Papers, 4th ed., 1995, p. 37). 2. - « Combination forms such as he/she or (s)he are awkward and distracting » (in Publication manual of the American Psychological Association, 4th ed., 1994, p. 51). 3. - « Inclusive language which draws attention to itself as such will distract the reader; the aim should be unobtrusiveness » (in J. Butcher, Copy-editing. The Cambridge Handbook for Editors, Authors and Publishers, 3d ed., 1975, p. 127). Compte tenu de tout ce qui vient d'être dit, la première idée qui vient ou devrait venir à l'esprit est « mais comment diable faisait-on avant ? ». La réponse est simple, puisque la grammaire de l'anglais moderne, du fait de son « appauvrissement », ne suffit plus dans ces cas, la syntaxe prend le relais. Ces situations sont en effet systématiquement évitées, comme les mêmes manuels de style l'expliquent, en tournant les phrases de manière différente. Par exemple on écrira : « As soon as children go to school THEY are taught to read » et non « As soon as a child goes to school HE OR SHE is taught to read ». La solution est donc stylistique : dans l'exemple précédent on utilise le pluriel, car au pluriel les pronoms personnels (he, she) coïncident pour les deux sexes (they), ce qui élimine le problème. Ceci est un artifice, dira-t-on ! Non, pas plus que la syntaxe qui s'est installée en français au fur et à mesure de la perte de la flexion : il a fallu supprimer les ambiguïtés naissantes par le recours à un style adapté, lequel s'est peu à peu stabilisé sur des formes efficaces qui sont devenues autant de modifications acquises des règles de syntaxe. D'ailleurs, lorsque nous rédigeons un texte, ne nous arrive-t-il pas régulièrement de reprendre entièrement la construction d'une phrase, par exemple pour supprimer une ambiguïté d'origine purement syntaxique ou grammaticale ? N'est-ce pas suffisamment convaincant ? Prenons alors le problème dans l'autre sens et examinons l'exemple d'une insuffisance du français qui ne se retrouve pas en anglais. Lorsqu'en anglais vous employez « his chair » vous renseignez l'interlocuteur sur le possesseur alors que dans le même temps, en français, en utilisant « sa chaise » nous le renseignons tout au plus sur le genre de l'objet possédé, d'où, dans certaines situations, des ambiguïtés qui doivent être systématiquement contournées, alors que cela n'est pas nécessaire en anglais (« il prend sa chaise », la sienne ou celle de l'autre ?). Cela tient à la grammaire et tout locuteur du français trouvera normal de reformuler sa phrase, si elle contient une telle expression, jusqu'à ce que l'imprécision disparaisse (à moins qu'elle ne soit voulue). La situation est exactement la même en anglais : l'insuffisance de la grammaire résiduelle est telle que l'on doit reformuler sa phrase en utilisant par exemple un pluriel (they) au lieu d'un singulier afin de pallier à l'impossibilité d'accorder suivant le genre grammatical du fait même de sa disparition. Il existe d'ailleurs des langues plus précises que le français et l'anglais à cet égard, comme le suédois (et les autres langues scandinaves), où le pronom possessif s'accorde en genre avec l'objet possédé lorsque le sujet est le même que le possesseur de l'objet (sin bok, sitt hus ; han läser sin bok, hon läser sin bok, c'est-à-dire, il lit son [propre] livre, resp. elle lit son [propre] livre) et l'accord en genre se fait avec le possesseur (comme en anglais) lorsque le sujet n'est pas le possesseur de l'objet : « han målar sitt hus » (il peint sa [propre] maison), « han målar hans hus » (il peint sa maison [celle d'un ami]), « han målar hennes hus » [celle d'une amie]). [Pour plus de détails voir mon message « F-L :224/03/97 Précision, concision et complicité culturelle » du 27 mars 1997 ; je ne peux malheureusement donner ici le lien avec les archives de france_langue : pour une raison que j'ignore mon message n'y figure pas. Je vais donc le réexpédier, d'autant que les abonnés à france_langue se sont sûrement en partie renouvelés depuis.] En islandais et en allemand, la persistance des trois genres (neutre, masculin, féminin) permet l'équité sexuelle dans le langage, dans un cas flagrant : lorsqu'un qu'un groupe comporte des personnes des deux sexes citées en mélange, l'accord grammatical se fait au neutre. Si cela a une importance primordiale à vos yeux, j'ai bien peur que la seule solution qui vous reste consiste à lutter pour restaurer le moyen, ou mieux, le vieil anglais. Je me délecte bien entendu à l'idée d'entendre à nouveau ce noble, précis et puissant langage dans le Bronx, à Sydney, au Liberia, sans oublier à l'ONU, dans le trafic aérien et le rock 'n' roll, mais est-ce bien raisonnable ? [Ah ! j'oubliais, ... et dans la bouche du général Morillon...] Vous voyez donc que, comme tout cela le montre de manière surabondante, l'usage de « she/he », etc. est totalement injustifié et injustifiable, même en anglais où l'accord est maintenant sylleptique. Je suppose que, consciemment ou inconsciemment, vous emploieriez une formulation appropriée pour ne pas avoir à nous infliger des horreurs comme : « Everyone who has not finished writing his or her paper before he or she is required to move to his or her next class can take it with him or her ». Le fait d'avoir pourtant recours à « she or he » (ou similaire) dans des cas moins « impossibles », moins flagrants, alors qu'on peut normalement s'en passer complètement et de la manière la plus naturelle, revient à imposer une solution spécieuse par recours à un procédé qui, en présentant systématiquement et inutilement l'alternative des deux sexes, attire l'attention sur lui-même. J'ai bien peur qu'aux yeux de beaucoup ce procédé s'apparente plus à une forme de prosélytisme qu'à une pratique innocente. Son emploi peut être ressenti comme agressif ou tyrannique, ce qui, j'en suis persuadé, va à l'encontre de vos intentions. J'espère que le contenu de ces quelques lignes qui, sans doute, peut surprendre un anglophone d'Amérique du Nord, vous aidera à vous débarrasser d'une pratique qui vous pèse - si tel est le cas - ou, au moins, à mieux comprendre ceux qui la trouvent inadéquate, voire irritante. Salutations amicales, Jacques Melot, Reykjavík melot@xxxxxx ANNEXE (plus spécialement destinée aux francophones) Alors que les anglophones, du fait de l'absence de genre grammatical en anglais moderne ont, à la rigueur, un semblant d'excuse, il n'en est rien pour les locuteurs d'autres langues dans lesquelles ce genre persiste et est purement grammatical, en français par exemple. On tombe alors dans la singerie grotesque, comme les exemples suivants le montrent amplement. Je ne sais trop s'il faut en rire ou en pleurer. (Exemples fournis par Louis Le Borgne, « F-L : 115/02/97 Langue de bois de rose et techno-linguiste », le 12 février 1997, à 13 h 24 T.U.) 1. - L'étudiant-e admis-e et inscrit-e à un programme de maîtrise doit avoir choisi un-e tuteur-trice ou un-e directeur-trice de recherche, et avoir obtenu l'accord de celui-ci,celle-ci [sic : sans espace après la virgule] lorsqu'il,elle s'inscrit pour la troisième fois à son programme [...]. L'étudiant-e choisit lui-même,elle-même son,sa tuteur-trice, [...] (Extrait de: Procédures administratives et règles de présentation [pour rapports, mémoires oeuvres et thèse], UQAM, Décanat des études avancées et de la recherche, juin 1986, 40 p. & appendices. UQAM est le sigle de : Université du Québec à Montréal.) 2. - Des sarraus (blouses) sont fournis aux techniciennes, techniciens et aides techniciennes, aides techniciens de l'audio-visuel et des laboratoires, aux salariées, salariés de la cafétaria, de la polycopie, de la reliure, aux magasinières, magasiniers, aux préposées principales, préposés principaux, aux préposées, préposés et aides-préposées, aides-préposés à l'audio-visuel et apparitrices, appariteurs et aux salariées, salariés dont le travail nécessite le port de ce vêtement et ce, même occasionnellement. (Article 28.06 [g] ) (Extrait du texte de la Convention collective du personnel de l'UQAM, en vigueur depuis 1990.) 3. - [...] J'ai dit et je redis qu'il s'agit d'une entreprise à laquelle tous [tiens ! ici on oublie « toutes »] doivent contribuer, qu'ils soient étudiants-es, professeurs-es, chargés-es de cours, employés-es de soutien, cadres. [...] (Texte du programme inaugural de la nouvelle rectrice de l'UQAM, « L'UQAM à la croisé des chemins: une réforme nécessaire » - 27 sept 1996.) 4. - La vice-rectrice associée, le vice-recteur associé à l'enseignement et à la recherche, la vice-rectrice, le vice-recteur aux communications, la doyenne, le doyen de la gestion des ressources ou leur représentante, représentant assistent aux assemblées à titre d'observatrices, d'observateurs réguliers, de même qu'une représentante, un représentant des chargées de cours, chargés de cours. [Article 7.1[d] des règlements de l'UQAM] La secrétaire générale, le secrétaire général est d'office la, le secrétaire d'assemblée de la Commission. Elle, il a droit de parole, sans droit de vote. [Ibidem, Article 7.4] En voilà une autre qui n'est pas mal non plus (à l'adresse http://www.lt.gov.on.ca/ ) : « Welcome to the new web site for the Lieutenant Governor of Ontario! Bienvenue au nouveau site Web de la lieutenante-governeure de l'Ontario! » Autre exemple : « Quelqu'un(e) pourrait-il / pourrait-elle m'indiquer ce qu'il/elle entend par [...] » Ceci n'est tout simplement pas du français ! Etc., etc. Qui veut faire la Belle, fait la Bête... Salutations amicales, Jacques Melot, Reykjavík melot@xxxxxx Propr. intellect. Jacques Melot, 1996.
- she/he et << linguistic harassment >>, Jacques Melot <=