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Message : Nomenclature des caracteres [fut : Re: Devinette : qu'a de particulier...]

(Jacques Melot) - Mercredi 18 Mars 1998
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Subject:    Nomenclature des caracteres [fut : Re: Devinette : qu'a de particulier...]
Date:    Wed, 18 Mar 1998 16:13:47 +0000
From:    Jacques Melot <melot@xxxxxx>

[Fut : Re: Devinette : qu'a de particulier le caractere UFBF9 du jeu
universel de caracteres]

 Le 18/03/98, à 0:45 +0000, nous recevions de Alain LaBonté :

>   Qu'a de particulier le caractère UFBF9 ?
>
>   C'est le caractère qui a le plus long nom dans le jeu universel de
>caractères (JUC ou Unicode), dans sa version anglaise (83 caractères),
>après tri sur la longueur des noms, par Michael Everson, à la demande (à
>des fins typographiques) du comité de normalisation responsable du JUC...
>
>   C'est une ligature arabe (forme de présentation). En français, son nom
>est « LIGATURE ARABE OUÏGOUR KIRGHIZE YA' HAMZA EN CHEF ALIF MAKSOURA
>ISOLÉ » (68 caractères, c'est plus court en français même si ça reste de
>l'hébreu pour le francophone moyen!  (; )
>
>   Le record est sur le point d'être battu par un point, dans le nom d'un
>caractère proposé dans le document ISO/CEI JTC1/SC2/WG2 N 1693 sur les
>symboles musicaux occidentaux. Il s'agit de :
>
>   « WESTERN MUSICAL SYMBOL TEMPUS IMPERFECTUM CUM PROLATIONE IMPERFECTA
>DIMINUTION THREE » (nom bilingue latin-anglais que je ne me suis pas encore
>aventuré à traduire en français [ce ne sera pas plus simple, ni plus
>évident pour le commun des mortels!)
>
>   En français, je n'ai pas encore fait l'exercice pour battre ce record
>Guinness (ce sera facile). Nous n'avons pas inclus la longueur des noms
>dans les propriétés cachées des caractères, dans les fichiers que l'on a en
>français!
>
>   Bien sûr, pour l'impression des tables de noms, cela revêt une certaine
>importance si l'on veut voir chacun des noms sur une seule et même ligne.
>
>   Et dire qu'il y en a qui avaient fait des noms anglais les seuls
>identifiants-machine des caractères... ce n'est plus le cas, bien sûr,
>c'était insensé, mais c'est la défense du français, et elle seule, qui est
>venue à bout de cette situation totalement irrationnelle... les
>identifiants universels sont maintenant purement numériques, depuis 1995.
>
>Alain LaBonté
>Seattle


   J'ai une idée [attention, va y-en avoir partout !].  Adoptons une
nomenclature de type linnéen pour la classification des noms de
caractères !  Chaque caractère sera désigné par un nom de genre suivi d'une
épithète spécifique, en introduisant éventuellement une troisième et
dernière épithète, infraspécifique elle, à un rang à préciser (subsp.,
var., subvar., f., subf.).

   N'oublions pas que Linné a introduit la nomenclature qui porte son nom
justement pour résoudre un problème de la sorte, car en Histoire naturelle
on utilisait auparavant une nomenclature formée de noms-phrases devenue
extrêmement lourde du fait de la découverte constante de nouvelles unités
naturelles (espèces, variétés, etc.).

Exemple :

« Bixa orellana » est le nom spécifique pour l'arbuste produisant le rocou
(du tupi, urucu, nom vernaculaire adopté par Adanson en 1763, Fam. pl., II,
p. 381, comme synonyme illégitime du nom de genre Bixa L.), nom donné par
Linné (1753, Species plantarum, tome II, p. 512) en remplacement du nom
« Arbor-mexiocana-fructu-castaneæ-coccifera » dû à C. Bauhin (1623, Pinax,
p. 419). Linné a forgé son épithète (orellana) à partir d'un commentaire
(« Orleana s. Orellana folliculis lappaceis ») trouvé dans l'Almagestum
botanicum de Plukenett (1696, p. 272, t. 209, fig. 4). En fait on trouve
déjà le terme « orellana » chez Ole Worm (1665, Museum Wormianum seu
Historia rerum rariorum) et il se peut fort qu'il apparaisse pour la
première fois chez G. F. de Oviedo y Valdes, en 1526 (Sumario nat. gen.
ist. Indias) ou en 1535 (Primera parte de la historia natural y general de
las Indias, yslas y tierra firme del mar oceano. Sevilla. Trad. fr. 1555,
Michel de Vascosan, Paris).
   Le terme « orellana » a d'ailleurs subit une intéressante métathèse sous
la forme « orleana » (qui est le nom actuel du rocou en suédois) sous
l'influence évidente de « Orléans » (rouge d'Orléans). Cette métathèse est
ancienne comme le prouve la citation de Plukenett (cf. ci-dessus) ;  elle a
donné le nom de genre Orleania Boehmer in Ludwig, Def. Gen. ed. Boehmer.
(1760), un autre synonyme de Bixa L.

   L'histoire de ce nom est passionnante, mais je ne la reproduirais pas
ici par peur de vous lasser. Sachez seulement qu'il existe un champignon
qui a reçu le nom de Cortinarius orellanus Fries (Epicrisis syst. myc.,
1838, p. 288-289) et pour lequel on a longtemps cru, faute d'érudition
botanique suffisante, que son auteur avait maladroitement forgé l'épithète
pour vouloir dire « des montagnes » (grec : oros). En fait, Fries avait en
vue la couleur rouge caractéristique du rocou, une substance qui sert à
colorer les vernis, le beurre et les fromages du type mimolette, etc., car
le champignon en question est effectivement d'un rouge intense avec une
composante orangée (donc tirant sur le jaune). Comme quoi les personnes
cultivées et disant des choses intéressantes ou sensées passent souvent
pour des imbéciles aux yeux des ignorants.
   Je suis amateur d'épices et, à chaque fois que j'ai l'occasion d'en voir
une nouvelle, je l'achète (ça fait trente ans, plus même, que je cherche du
vaduvan, si vous connaissez cette épice indienne de la région de Madras,
n'hésitez pas, faites-moi signe !). Le hasard a fait que l'an passé, de
passage à Paris, j'achète quelque chose que je n'avais jamais vu
jusqu'alors, des... « grains de curry », chez Tang, avenue d'Ivry (pour
tout vous dire, mes parents habitent à la Galaxie, dans la tour où la série
de films Navarro, avec Roger Hanin, est tournée). En y regardant de plus
près, on peut lire également sur l'étiquette « Dried annatto seed » or
annatto est l'une des variantes orthographiques du nom du rocou en anglais.
Le monde est petit... Comme quoi aussi la désignation « grains de curry »,
c'est vraiment n'im-por-te-quoi !

   La nomenclature linnéenne n'excède, elle, jamais trois mots (genre,
épithète spécifique, épithète infraspécifique).

Exemple (botanique) :

Russula

Russula rosea

Russual rosea lactea


   Bien sûr la nomenclature universelle sera en latin par soucis d'équité,
comme l'est jusqu'à présent la nomenclature linnéenne de l'Histoire
naturelle, et dans différentes langues vivantes pour l'usage local
(français, anglais, allemand, suédois, espagnol, etc.).

   Amicalement,

Jacques Melot, Reykjavík
melot@xxxxxx