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Message : Une question capitale

(JD Rondinet) - Jeudi 02 Avril 1998
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Subject:    Une question capitale
Date:    Wed, 1 Apr 1998 18:11:15 -0500
From:    JD Rondinet <100412.3664@xxxxxxxxxxxxxx>

-->> Il faudrait connaître les raisons sociales de tous les organismes dont
on écrit le nom. Pas pratique. Et puis ça crée des disparités gênantes: je
devrais écrire sur mon affiche que le colloque est organisé par
"L'Université de Montréal, l'Université du Québec à Montréal, le collège
Maisonneuve, l'université Paris-I et l'Institut d'histoire des sciences".
Ceux qui n'ont pas de capitale ont l'air un peu bêtes, et graphiquement ça
fait moche...
-->> C'est finalement dire qu'il n'y a plus de règle et que le typographe
doit connaître la raison sociale de l'université de Pétaouschnok pour
pouvoir l'écrire correctement. Est-ce que ça ne rend pas le respect de la
règle impossible ?

-->> Ça ne vous déprime pas trop ?
______________________________________________________________________

            Sylvie,

      J'ai longtemps attendu en silence que quelqu'un réponde à tes
questions... Comme, visiblement, il n'y a pas foule, je m'y colle...

      Oui, ça rend le respect de la règle impossible ; oui, ça nous
déprime ! Un des trucs qui poussent à une forte consommation de Valium les
jeunes correcteurs, et les vieux à une surdose d'alcools divers (les
correcteurs entre deux âges sont trop occupés pour penser !), c'est cette
sourate du « Code typographique » :

« l'Institut Pasteur (Paris) 
            -- l'institut Pasteur de Dakar »

      Anonné dès l'enfance, respecté par tous car nimbé d'une saine
évidence, ce néanmoins satanique verset conduit tôt ou tard (mais
ir-ré-mé-dia-ble-ment) le professionnel conscient à l'effroyable question :

« i(I)nstitut Lénine de Pétaouschnok ?
      -- I(i)nstitut Lénine de Pétaouschbourg ? »

      Comment savoir où était sise la maison mère ?

      Pas de solution. Les drogues dures sont, je l'ai dit, choisies dans
ce cas par certains. Ou une forme plus douce de la fuite, la « marche ».
Une « marche », c'est une liste de mots qu'on note pour s'en souvenir, mots
sur lesquels on bute quotidiennement, et pour lesquels on a décidé une fois
pour toutes -- et certaines fois en violant, oui, en violant la Loi ! -- de
prendre une position unificatrice que les auteurs illustres n'ont pas osé
fixer ou ont lâchement laissée dans l'ombre. La « marche » est, autant que
possible, négociée avec le client, auteur, éditeur, etc., qui la discute,
l'amende si nécessaire, puis l'accepte. Quand l'entreprise a pignon sur rue
(Imprimerie nationale, « le Monde », Larousse...) ou quand son auteur est
mégalomane (le prote de l'Imprimerie Olive, à Marseille...), la « marche »
est rendue publique et devient... un code !

      Un exemple de « marche » ? Un correcteur du « Figaro » en eut assez,
un beau jour, de faire subir à ses lecteurs la valse-hésitation des
capitales (car il imaginait à juste titre les lecteurs les plus avisés
murmurant : « Ceux qui n'ont pas de majuscule ont l'air un peu bêtes, et
graphiquement ça fait moche... »)  dans les cas suivants :

« musée du Louvre    Musée lorrain
  Musée olympique    musée des Jeux Olympiques »

      Convoquant au débotté un aréopage de ses collègues et chefs, il
proposa que dorénavant on mît une cap à « Musée » et pas ailleurs, un point
c'est tout, et basta ! D'abord médusée, la gang confraternelle
s'enthousiasma très vite. Les commentaires enjoués fusèrent : on allait
« enfin pouvoir se mettre au travail », « foin des tergiversations
oiseuses », « de ces hésitantes cap à Musée (mais pas amusantes) faisons
table rase », etc. 

      Le champagne coula. Coula aussi, à pic et instantanément, la
considération dont il était chaudement entouré au sein de la présente
Liste, et qui n'avait d'autre cause que son échine courbée devant les
saintes écritures orthotypographiques. Méprisé par ses pairs, conspué par
tous, il est maintenant coi, il se tait, il se terre.

      Je ne puis donc qu'être circonspect avant que de t'encourager à
suivre son exemple... Fidélité aveugle à la loi ou rendement amélioré, « en
prise avec la filière industrielle du langage » ? Il te faudra tracer ta
propre voie. 


            Jean-Denis, correcteur au « Figaro »

_________________
Un autre cas de surconsommation de tranquillisants : « Peut-on vraiment
dire qu'une sourate, c'est un verset ? » Ah ? L'étymologie dit oui, le dico
dit non... Allez, on va dire que le dico a raison !
                ;-)))           JiDé...