Archive Liste Typographie
Message : Et si on se payait le luxe d'un vrai debat typo ?

(Thierry Bouche) - Mercredi 29 Avril 1998
Navigation par date [ Précédent    Index    Suivant ]
Navigation par sujet [ Précédent    Index    Suivant ]

Subject:    Et si on se payait le luxe d'un vrai debat typo ?
Date:    Wed, 29 Apr 1998 18:14:27 +0200 (MET DST)
From:    Thierry Bouche <Thierry.Bouche@xxxxxxxxxxxxxxx>

Bonjour à tous,

Dans un article en cours de préparation, j'affirme qu'un logiciel de
mise en pages commet une erreur grave en crénant _a priori_ les
lettres diacritées comme leurs homologues « nus ». J'avais ailleurs
parlé -- sous les huées -- de « bugs » typographiques

Un beta-testeur de l'article me dit que la typo étant un art, on ne
peut y commettre d'erreurs, seulement des choix « plus ou moins
optimaux ». 

De même, nous avons fréquemment reçu des messages disant en substance
« la typo, c'est subjectif, la seule contrainte est la cohérence ». 

Je suis le premier à penser que la typo est un art, relève d'une
esthétique, et que c'est typiquement un domaine dans lequel il y a
toujours plusieurs bonnes solutions (donc quelque chose qui ne découle
pas de la première page des _Éléments_ du sieur bourbaki). Je pense
qu'un aspect très important de l'esthétique et, plus généralement, des
sciences humaines, est qu'on peut à la fois débattre de questions à
l'infini, sans espoir d'aboutir nécessairement à une conclusion, même
multiple, _mais_ qu'on ne peut pas non plus tout dire. Il y a des
limites au-delà desquelles un « point de vue » est erronné. Tout cela
sans aborder l'aspect _technique_ et utilitaire de la
typo... J'observe que les personnes qui ont une formation de type
« sciences dures »  ont une difficulté importante à se confronter à ce
type d'erreurs, allant  parfois jusqu'à abandonner tous leurs critères
objectifs. 

Qu'en pensez-vous ?
                    ______________________________

D'un point de vue technique, le débat se résume à la considération de
paires d'approches comme Te vs Tê ou fu vs fü : si on donne une fonte
typique d'adobe (livrée avec seulement les corrections pour les paires
de caractères américains) à un informaticien, ce dernier sera certain
de faire pour le mieux en attribuant les paires concernant une lettre
de base à toutes ses déclinaisons diacritées. Il est clair que le
choix (du point de vue du programmeur) se limite à piquer le crénage
existant pour le caractère le plus proche, ou ne pas créner. Il y a de
nombreux cas pour lesquels aucune de ces deux alternatives ne donne un
résultat correct (exemple fè en Minion : catastrophique avec le
crénage de fe, mais inacceptable sans crénage). Inquiétant, non ?

Un autre cas d'école très amusant : le Times.  
  Chez Adobe, on crène fi pour simuler (mal) la ligature sur les
systèmes qui n'y ont pas accès. Chez URW, on crène fi _dans l'autre
sens_ pour éviter un crash entre la goutte du f et le point sur le
i. Avec un système qui n'utilise que la ligature fi, on peut passer
indifféremment de la version adobe à la version URW jusqu'au jour où
on écrit fî ou (conjecturalement) fï : les chasses diffèrent
inexplicablement !


                              *    *    *


Th. B.
« et, quoique l'on pourrait mettre un point d'exclamation à la fin de
chaque phrase, ce n'est peut-être pas une raison pour s'en dispenser ! »
                                     Comte de Lautréamont, 1869.