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Message : Saga du Tre'ma

(Patrick Andries) - Mercredi 27 Mai 1998
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Subject:    Saga du Tre'ma
Date:    Tue, 26 May 1998 23:06:27 -0400
From:    Patrick Andries <pandries@xxxxxxxxx>

Jean-Pierre écrivait :

> Patrick Andries écrit:
>
> > Que proposent les tenants de la vieille orthographe (arguer) pour
> simplifier
> > les choses et mieux faire correspondre l'orthographe et la prononciation
> ?
> ----
> Ensuite, le souci de faire coïncider (cöincider ?) la graphie et la
> prononciation est, à mon sens, farfelu, voire dangereux. Il implique
> qu'il y ait UNE prononciation. Il est mille fois plus dirigiste
> (totalitaire ?) que le souci de sauvegarder une orthographe commune à
> tous les francophones, quels que soient leur accent et leur
> prononciation...

Que préconisez-vous exactement ? De conserver des orthographes pathologiques 
comme arguer dont une des deux acceptions se prononce argüer et l'autre arguer 
? Quelle en est dès aujourd'hui la conséquence  ? La diversité de 
prononciations de mots comme argüer et gageure (gageüre)?. Diversité - et 
richesse - de prononciations,  je n'oserais pas dire mauvaises prononciations, 
l'anathème de fasciste ne pourrait que fuser prestement. On assiste donc à la 
multiplication des prononciations de ces mots. On sacrifie donc la 
prononciation commune à une orthographe à jamais figée (psychorigide ?). 
Qu'a-t-on gagné ? Ne faut-il pas viser à la simplification de l'orthographe du 
français qui en a grandement besoin ? Or comment simplifier si ce n'est en 
faisant correspondre le plus souvent possible l'orthographe à la prononciation 
? On peut évidemment attendre que les prononciations fautives deviennent la 
norme - c'est alors le règne du "speak as you write" - comme ce fut le cas pour 
"aiguiser" et  "inextinguible" qui, selon la tradition? se prononçaient, 
aigüiser et inextingüible (alors que "aiguiller" et "linguiste" continuent à se 
prononcer avec le u semi-voyelle).

En passant, et ceci très candidement, pourquoi l'ancienne règle veut-elle que 
le tréma soit toujours sur la deuxième voyelle, avec les problèmes connus que 
cela pose ? J'aurais bien proposé de le mettre toujours sur la première 
voyelle, quand il faut indiquer la diérèse d'un groupe vocalique,  mais 
j'hésite - existe-t-il des cas qui resteraient ambigus  ? Je n'en ai pas 
trouvé. Dans certains cas, on pourrait simplifier en remplaçant (comme c'est la 
tendance) le e tréma par un e accentué pour forcer la diérèse : poëme -> poème 
(déjà fait), Noël -> *Noêl/*Noèl, canoë -> *canoé (voir canoéiste).

Quant au débat relatif à UNE prononciation, il faut bien qu'il y ait un minimum 
d'unité pour avoir une langue commune. (Êtes-vous pour les prononciations 
"arghé" et "verge-heure" car c'est de ça que nous parlions ?) Ceci étant dit, 
je suis un fervent défenseur du respect des accents régionaux. En quelques 
lignes, voici ma position : l'orthographe devrait refléter la prononciation 
"standard" de tous les  francophones  (au niveau phonologique et non 
phonétique, donc au niveau des traits distinctifs de la langue). Ceci à 
l'intérieur des contraintes de transcription du français (par exemple, utiliser 
"ch" pour la chuintante alvéolaire sourde) et dans une moindre mesure de celles 
de l'étymologie. Je suppose que le débat tourne donc autour de la possibilité 
de modifier les règles de transcription phonologique du français afin de 
simplifier l'orthographe - qui s'oppose à sa simplification ? - et non d'un 
désir totalitaire de faire disparaître nos beaux accents du teRwèR. Je ne vois 
rien de totalitaire à simplifier l'orthographe et à vouloir aider les gens à 
prononcer les mots rares que sont "rédarguer" et "rongeure", par exemple, 
 d'une façon uniforme (phonologiquement) tout en réalisant ces sons à leur 
manière (phonétique). C'est avoir le meilleur des deux mondes : uniformité au 
sein de la Francophonie (et donc intercompréhension) et diversité (mais surtout 
respect) des accents de chacun.


Patrick Andries


? À ce sujet, j'ai récemment été très déçu de devoir écouter les Fables de La 
Fontaine avec mes enfants et la variante enrichissante de "gage-heure" 
articulée avec soin et une élocution appliquée toute vieille France par Albert 
Millaire (Le Lièvre et la tortue : « Lui cependant méprise une telle victoire, 
 Tient la gageure à peu de gloire »). Allez donc expliquer à vos enfants que le 
Monsieur sur la bande il se trompe !

? L.P.Kammans, Prononciation du français d'aujourd'hui, Bruxelles, 1967, 4e 
éd., p. 157.