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Message : Re: TDC 45

(Jef Tombeur) - Lundi 07 Décembre 1998
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Subject:    Re: TDC 45
Date:    Mon, 7 Dec 1998 14:29:32 +0100
From:    "Jef Tombeur" <jtombeur@xxxxxxxxxxxxxx>

>Pour qu'il n'y ait pas de quiproquo : nous sommes bien d'accord.
Hormis les
>jeux purement graphiques, qui peuvent être rigolos ou merveilleux,
mais ne
>sont plus tellement réutilisables une fois employés par leur
créateurs (je
>pense au grunge, quand il était créatif, donc il y a longtemps),
combien de
>polices _réellement_ nouvelles et _réellement_ utilisables ont-elles
été
>crées dans les... disons dix dernières années ? Cinq ? Six ? Il
faudrait
>recenser !
Ecrit A.Hurtig.

Ce qui est amusant, c'est que si vous visitez www.tdc.org, vous
trouverez des propos très similaires en 'envoi' de la présentation du
concours. Le problème, c'est aussi, pas uniquement, de se mettre
d'accord sur "utilisable". Utilisable pour quoi, pour quel support,
pour quel usage, ponctuel, durable, etc.
Par exemple, en cuisine, on peut dire que les "panini" ne sont qu'une
adaptation du sandwich passé à la gaufrière. Cela reste du domaine de
la restauration rapide mais peut aussi faire une entrée convenable
(pourquoi pas). Cela ne demande pas une longue préparation (enfin,
tout dépend ce qu'on utilise comme ingrédients).
Je ne pense pas que la prolifération des panini puisse éradiquer
définitivement la consommation de coq au vin.
Mais il est vrai que la prolifération des fontes "fast-food" pose
problème.
Maintenant, pour filer la métaphore, c'est plus facile de faire
mijoter un coq au vin dans un four dernier cri qu'à la flamme de
l'âtre. La nécessité de doser la cuisson subsiste, elle est facilitée.
Pour les polices de caractères, il est désormais possible de
travailler directement à l'écran. Cela demande un autre tour de main,
et toujours beaucoup de connaissances. On peut aussi s'en servir comme
d'un micro-ondes pour réchauffer des haricots en boîte (et modifier
plus ou moins bien une police existante).
Au sujet des polices réellement utilisables, Lucé avait créé un corps
0,4. Avec l'ordinateur, on a créé des corps 0,9 pour des usages
spéciaux. Et ça prouve quoi ? Rien. En tout cas, cela n'enlève rien à
l'art de Lucé, de même que l'existence d'un corps 0,4 créé par Lucé
n'enlève rien à la lisibilité (à la loupe) de ces polices plus
récentes.
Autre question. Combien de sublimes opéras ont-ils été composés ces
dix dernières années ? Peu sans doute. En revanche, il y a eu pas mal
de bonnes mélodies de variété, composées pour un synthé comme pour des
instruments plus traditionnels. Certaines seront sans doute aussi
durablement fredonnées que par exemple, celle du "Temps des cerises".
On verra vers 2020 quelles polices, créées ou non à l'écran, seront
toujours utilisées et auront déjà quelques trente ou quarantes années
"aux prunes". Et mon humble pronostic, c'est que je n'en ai pas.
Ce qui me semble pertinent et raisonnablement prévisible, c'est que le
mode de production d'une police de caractères deviendra de moins en
moins pertinent pour en estimer l'utilité, la lisibilité, l'élégance,
bref, l'ensemble des ses qualités et destinations d'usage. Et pour ce
qui se rapporte aux critères esthétiques, à utilité égale, il y a de
belles passerelles en bois, en pierre, en acier, en béton. On les
emprunte toutes sans plus trop se poser la question de leur mode de
construction ; si certaines nous semblent plus élégantes que d'autres,
ce n'est plus tout à fait en fonction directe du rapport avec le
matériau que se forme notre impression.
La typo, c'est aussi (pas uniquement) une passerelle, et la lecture,
c'est comme l'eau qui passe dessous (mais ce n'est pas que ça, la
lecture). Il y a des rus, des rivières, des canaux... Le pont de
Tancarville franchissant un ruisseau resterait un très beau pont,
quelque peu décalé par rapport à son emploi. On peut aller plus loin
dans l'analogie. Celui du film "Le Pont de la rivière Kwai" n'a jamais
servi à franchir la rivière Kwai (le film a été tourné ailleurs, il
n'y a jamais eu de tel pont au-dessus de la Kwai à l'époque décrite).
Ce pont a servi à réaliser un film. Je ne dénie pas l'utilité
d'apprécier une typo en fonction de son utilité à permettre la
composition d'un livre aisément consultable. J'estime que ce seul
critère appliqué à l'ensemble de la création typographie est parfois
insuffisant, parfois totalement incongru. J'estime donc aussi que les
critères de perception de la qualité typographique doivent être
approfondis, étendus, et différenciés. Et j'espère que la multiplicité
des formes de création et des usages, que l'intérêt pour cette
création multiforme, va favoriser cette évolution.  Autant être
optimiste, non ?

Amicalement à tous,
Jef Tombeur