Re: Trop parfait?

[Olivier RANDIER <orandier@xxxxxxxxxxx>]

>> Avec la finesse de résolution atteinte par certains procédés numériques de
>> composition et d'impression, est-ce qu'un résultat trop parfait devient un
>> problème?
>> Bref, vous arrive-t-il de trouver votre travail trop parfait?  :-)
>
>   À mon avis, c'est une réflexion de bibliophile plus que de « plombier
>» chenu !
>   Que n'eussions-nous donné pour échapper aux « irrégularités de
>contour » et autres « imperfections » dues aux oeils grillés, aux
>matrices cloisonnées, aux pétouilles, aux lettres mal taquées, aux
>blancs qui lèvent, aux oreilles usées, aux sentinelles oubliées, aux
>foulages perforants, à l'empâtement des contre-poinçons mal lavés, aux
>réassorts approximatifs, aux lettres pas de la paroisse, aux rabots mal
>réglés, aux couteaux trop fermés, aux crénages cassés, aux habillages
>fatigués, aux encriers bouchés, et Jean passe !                      ^
                                                             Ah, la belle
lézarde !

> oeils grillés
Le pluriel d'oeil est-il différent en typographie ?

Je crois aussi, sur ce sujet, que le problème, si problème il y a, vient
plutôt du support. Tschichold déplore avec raison l'abus des couchés
brillants immaculés, qui agresse souvent l'oeil et donnent aux caractères
une triste sécheresse. Il suffit de comparer son ouvrage avec celui de
Blanchard : le grain du papier, sa couleur suffisent à restituer l'humanité
du caractère utilisé par Tschichold, alors que celui d'Aide au choix de la
typo-graphie, ainsi que sa mise en pages, massacre le Monde de J.-F.
Porchez qui mérite sûrement mieux que ça.
Comme Tschichold le fait remarquer, il n'y a guère que les didones et
certaines linéales dont la géométrie triomphante soit exaltée par un tel
support.

Maintenant, si on veut introduire des imperfections, il y a toujours la
possibilité d'exporter chaque page en EPS, de rouvrir sous Illustrator, de
vectoriser et de donner un petit coup de filtre Esquisse bien réglé et de
rotation aléatoire. Mais faut être un peu vicieux et avoir du temps à
perdre (surtout en flashage)...

Michel Bovani :
>Pour renchérir, je me demande vraiment si le grand Claude G. n'aurait
>pas trouvé que PostScript était une invention formidable...

Sans doute ! Et Léonard de Vinci aurait adoré Illustrator et Photoshop,
probablement.
Même si Garamont ne faisait pas partie des géométrisateurs à tout crin qui
ont sévi ultérieurement (pas taper !), il reste qu'il a dû se contenter des
outils dont il disposait à son époque et il y a des chances qu'il ait alors
pesté contre leur faible capacité à restituer les formes qu'il avait à
l'esprit.
Il ne faut pas confondre l'intention et la réalisation. C'est pour ça que
je suis toujours sceptique sur la vectorisation de fontes directement
d'après scans d'originaux. On reproduit des imperfections* qui n'était
probablement pas dans l'intention de l'auteur. Pour moi, la numérisation
d'une fonte devrait être une reconception, il faut reconstituer la démarche
géométrique, c'est le meilleur moyen de ne pas trahir l'auteur.
C'est plus difficile pour les caractères précédant les didones, parce que
la géométrie est plus difficile à reconstituer, même si elle existe quand
même. Mais la plus belle courbe, c'est toujours la géométrie la plus simple
pour décrire une forme, notre esprit est ainsi fait, nous préférons
regarder un melon qu'une patate. C'est ce qui m'a détourné d'Ikarus, quand
j'ai fait le choix du logiciel de création de fontes que j'utilise. Ikarus
est très orienté vectorisation d'après scan et utilise un système de
splines qui multiplie les points de contrôle, ce qui est, à mon sens,
plutôt un obstacle à la conception globale de formes.

* Je ne parle pas des corrections optiques, qui font partie de la
conception globale, et reposent d'ailleurs généralement sur des concepts
géométriques.

Olivier RANDIER -- Experluette		mailto:orandier@xxxxxxxxxxx
	http://technopole.le-village.com/Experluette/index.html
Experluette : typographie et technologie de composition. L'Hypercasse
(projet de base de données typographique), l'Outil (ouvroir de typographie
illustrative).