Archive Liste Typographie
Message : Re: Tr: [langue-fr] Le cay des brumes (Jacques Melot) - Samedi 04 Septembre 1999 |
Navigation par date [ Précédent Index Suivant ] Navigation par sujet [ Précédent Index Suivant ] |
Subject: | Re: Tr: [langue-fr] Le cay des brumes |
Date: | Fri, 3 Sep 1999 23:53:51 +0000 |
From: | Jacques Melot <melot@xxxxxx> |
Question d'un abonné de langue-fr@xxxxxxxxxxxxx .
Peut-être un abonné de typographie connaît-il la réponse ?
======================== -----Message d'origine----- De : Figiel À : langue-fr@xxxxxxxxxxxxx <langue-fr@xxxxxxxxxxxxx> Date : 27 août 1999 13:56 Objet : [langue-fr] Le cay des brumes
Qui saurait dissiper les brumes qui pour moi enveloppent le "cay", terme par lequel Jean-Baptiste DU-VAL, (dans son "Eschole françoise", éditée chez Eustache Foucault à Paris en 1604) désigne notre point-virgule ? Quelle est l'origine du mot ? Littéraire ? Typographique ?Par ce qu'il en dit (au chapitre 9 traitant "Des parties muettes de l'oraison") : "de ceste virgule & du poinct nous formons une autre marque appelee Cay, en ceste maniere (;) Et nous en usons lors que notre periode n'est pas pleinement arrestee, & que pour l'accomplir il reste encores quelque chose necessaire pour l'intelligence parfaicte du sens, & sans laquelle le precedant seroit manque", il est clair qu'il s'agit bien de l'équivalent (à quelques nuances près) du point en haut grec (l'"incisum" des latins) et qu'Antoine Furetière, dans son dictionnaire, nomme "comma" (alors que Du-Val qualifie ainsi les deux-points).Je ne sache pas qu'il soit fait référence à ce point-virgule dans les nombreux "O-CAY" lancés par Clavier dans "les Visiteurs"... Quoique ...Henri FIGIEL.
----------------------- Le terme « cay » est attesté très tôt.Il l'est dans le sens de « quai ». Voir, par exemple, F. Diez, Etymologisches Wörterbuch der romanischen Sprachen. Bonn. 1878. (Voir aussi, Du Cange, Glossarium mediæ et infimæ latinitatis. Parisiis. 1840, vol. I, p. 261). Selon Diez, le mot se retrouve dans l'anglais « kay », le bas allemand « kaje » et le hollandais « kaai ».
Diez ajoute une précision très intéressante : le mot se trouve déjà, sous la forme « kai », « kaij » dans les Fausses Décrétales (« Ein altes Zeugnis dafür gewähren die Isid. Gloss. : kai 'cancellae' [...] ».
Il s'agit de l'oeuvre d'un génial faussaire du IXe siècle (de la région du Mans ou de Tours), connu sous le nom d'Isidore Mercator (dans d'autres manuscrits sous le nom de Peccatore et même de Mercatus, selon Arévalo; rien à voir avec le géographe flamand Gerardus Mercator, alias Gerhard Kremer) dont la production se trouve réunie sous le nom de Collectio Pseudo-Isidoriana (en français sous le nom de Fausses Décrétales). Le manuscrit de ce recueil consiste en de fausses lettres papales (décrétales) des six ou sept premiers siècles, lettres qui ont longtemps trompé tout le monde, y compris les papes, qui s'y sont référés pendant des siècles. Le manuscrit principal est conservé à la bibliothèque du Vatican (codex 630, si vous voulez vraiment tout savoir) et date de 858 à 867. On connaît un autre manuscrit datant du mois d'août 881. L'oeuvre a ensuite été publiée à Paris, par Merlin, en 1523 (puis à Cologne en 1530) au format folio (réimprimé in 8o à Paris, en 1535). Nous avons donc là une attestation de « cay » (sous la forme « kai », etc.) datant du IXe siècle, dans le sens de « barrière », un sens évidemment proche de ceux attestés pour le « cay » qui donna « quai » (banc de sable, barrage, remblai, digue).
Il est vraisemblable que ce sens ancien est à l'origine du sens rapporté par Nina Catach dans son Dictionnaire historique de l'orthographe française : « signe de correction » (cf. la réponse de Jacques André, dans le forum typographie, lundi dernier). En effet, d'un point de vue philologique, il est remarquable de constater qu'en latin « cancello » signifie tant « disposer en treillis, en grille » que « barrer » (dans le sens de biffer, qui, très souvent se fait aussi à l'aide de plusieurs traits formant une treille). Dans la langue apparentée qu'est le français, cette manière de penser les choses s'est conservée, puisque l'on utilise précisément le mot « barrer » pour « biffer ».
Qu'en est-il maintenant du point virgule? À la réflexion, il me semble très probable que le point virgule s'est appelé, dans certaines circonstances, « cay » du fait qu'en grec le mot que nous autres modernes translitérons habituellement sous la forme « kai » signifie « et » (conjonction de coordination) et que la conjonction copulative enclitique latine « -que », conjonction qui signifie également « et », était, en latin médiéval, remplacée par une ligature (impossible à reproduire ici; vous en trouverez un exemple imprimé dans J. Melot, Bull. Soc. mycol. Fr., CXV (I), p. 8. 1999) en l'absence de laquelle on utilisait... un point virgule. Il est donc naturel que ce point virgule représentant « et » soit nommé pour ce qu'il est, dans une langue classique, ici le grec, lequel était souvent utilisé en grammaire et pour la typographie (tréma, diérèse, etc.), tout comme on utilisait le mot « comma », autre terme grec.
Exemple : Nomenclaturæ Græcæ, Latinæ, Germanicæ, Arabicæ, Hebraicæq;, sed [...] (dans : Hieronymus Bock, De Stirpium, maxime earum [...]. Argentorati. Wendelinus Rihelius. 1552).
Dans cet exemple « Hebraicæq; » se translitère en « Hebraicæque » et signifie « et Hebraicæ ».
Voilà! C'était simple, mais il fallait y penser. Jacques Melot
"Vous ne m'avez pas crue, eh bien vous m'aurez cuite" (en hommage à Nina Catach qui prête cette phrase à Jeanne d'Arc dans un Avant-Propos).
Eh bien! Elle aura réussie à nous prouver que « Un bon rire vaut un bon bifetèque » vaut aussi en sens inverse...
J. M.
- Tr: [langue-fr] Le cay des brumes, Patrick Andries (28/08/1999)
- Re: Tr: [langue-fr] Le cay des brumes, Jacques Andre (30/08/1999)
- Re: Tr: [langue-fr] Le cay des brumes, Jacques Melot <=