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Message : Re: Accentuation des capitales

(Luc Bentz) - Mardi 19 Juin 2001
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Subject:    Re: Accentuation des capitales
Date:    Tue, 19 Jun 2001 23:11:35 +0200
From:    "Luc Bentz" <bentz-lf@xxxxxxxxxx>

Title: Accentuation des capitales
 
----- Message d'origine -----
Envoyé : mardi 19 juin 2001 20:48
Objet : Accentuation des capitales


1. Si, comme l'énonce l'IN : « En français, l'accent a pleine valeur orthographique. », l'absence d'accentuation d'un mot accentué ne constitue-t-elle pas une faute d'orthographe ?
De mon point de vue, non. Le scripteur qui, à tort ou à raison, n'accentue pas les majuscules n'ignore pas qu'en bas de casse (en minuscule), il doit accentuer le caractère. En revanche (mais ce point a été développé ailleurs et par d'autres), il peut « pousser à la faute » (que ne parle-t-on d'ailleurs d'« erreur » !) sans même l'avoir voulu.
2. Existe-il quelque règle d'orthographe, citée ou énoncée par une autorité que reconnaîtraient la plupart d'entre nous, permettant de faire des cas d'exception à la règle générale précédemment évoquée ?
Il n'existe pas de règle orthographique en la matière. Les grammairiens s'en sont peu préoccupés. Je possède deux éditions du Bon Usage : la Xe (1975), de la main du seul Maurice Grevisse n'évoque point ce débat ; la XIIe (que j'eus) et la XIIIe sont des éditions « Grevisse et Goosse » l'abordent (dans le sens de l'accentuation). La « Grammaire nationale » de Bescherelle (14e éd., 1871) n'en parle pas. J'ai vu citer ici des guides orthographiques (Bescherelle -- rien à voir avec le précédent, sinon le nom ; Jouette), mais ils n'ont d'autorité que celle que leur accordent leurs lecteurs. On trouvera quelques éléments chez feu Nina Catach, linguiste éminente, fille spirituelle -- mais indépendante -- de Beaulieux : c'était une autorité en matière orthographique, mais une autorité dans le milieu universitaire. On notera d'ailleurs que l'Académie ne s'engage pas plus (au demeurant elle n'a pas d'autorité sur une langue dont elle ne se veut -- je reprends sa formulation -- « que le greffier »). En fait, il n'y a pas d'autorité « décisionnelle ». Le ministère de l'Éducation nationale a bien autorité en matière de contenu d'enseignement, mais se garde bien d'entrer en un tel débat : la question est bel est bien orthotypographique.
 
Le seul constat qu'on puisse opérer est que l'usage est divers et que l'appréciation de l'usage (ou plutôt des usages) est diverse aussi. Au sein de la liste typo, parmi les fleurons (et pas que pour la décoration) des professionnels de l'écriture, de l'édition et de la chose imprimée, le débat est... vivifiant.  Je m'interrogeai récemment, dans un autre forum, sur le fait que « Le livre de poche » n'accentuât point les capitales, tandis que c'était le cas chez « 10/18 ». Pourquoi « Le Monde » n'accentue-t-il point ? (Question que j'ira bien poser quelque jour en me promenant sur son site.)
 
On peut considérer aujourd'hui, avec les outils dont nous disposons (même sous Windows, avec par exemple le gestionnaire étendu de clavier élaboré par Denis Liégeois ou, au Québec, avec un clavier étendu spécifique -- il me semble bien qu'il fut élaboré par Patrick Andries, mais, dans le doute, je m'abstiens d'aller plus avant), qu'on peut plus facilement accentuer les capitales (j'emploie le mot à dessein). J'ai bien lu que des dactylographes ici présent faisaient tourner le rouleau d'une demi-ligne ; je l'ai essayé aussi : la solution n'était guère satisfaisante, à peine passable pour les accents aigus et sans solution pour les accents graves, sauf à utiliser le trait de soulignement et, de fait, mettre un accent plat. Mais on n'en est plus réduit à de si fâcheuses extrémités.
 
Je crains (ce qui est plus fatigant, mais plus rassurant pour notre libre-arbitre) qu'il ne faille effectivement, comme le disait un honorable préopinant « faire marcher sa tête ».
 
C'est effectivement par souci de cohérence orthographique que j'accentue les capitales, après plus de trente ans d'errements sur la foi de la tradition scolaire. Le vrai problème, sans doute, est qu'aucune règle n'interdit l'accentuation des capitales et que, dès lors, il serait fort dommage de s'en priver (et au nom de quoi ?). Mais je  reconnais volontiers que si j'avais demain à rédiger un mémoire ou une thèse en n'utilisant que Word (à défaut d'un logiciel approprié), j'adapterais sans doute mes entrées d'index (y compris bibliographique) pour ne pas avoir à tout reclasser par copier-coller. La perfection n'est pas de ce monde...
 
L'usage peut conduire à la généralisation de l'accentuation. Le problème est d'ailleurs « nouveau » (j'entends, pour un plus large public que les professionnels de l'édition -- ce mot étant pris au sens large) parce que de plus en plus de gens sont directement auteurs-producteurs d'imprimés : j'ai connu la transition entre la saisie de copie à la machine (par feuillets de 1500 signes) travaillés ensuite par l'imprimeur avec correction de morasses, BAT et tout le tremblement.... et la saisie transmise par disquette à un atelier interne de PAO qui faisait suivre un fichier à l'imprimeur. On trouvera certes des gougnafiers qui n'en ont rien à foutre (au point de ne pas se poser le problème, car après tout on peut concevoir qu'il donne lieu à des réponses différentes), mais les gens qui prétendent travailler sérieusement finissent par se documenter, se renseigner, ne serait-ce que parce qu'ils éduquent leur oeil (quel que soit leur caractère) à déceler des détails qui passent inaperçus pour d'autres (mentalement, on reconstitue un mot dont la majuscule est dépourvue d'accent).
 
J'avais pensé naïvement, en un temps, que le Lexique de l'I.N. constituait une référence aux « bonnes pratiques typographiques » et que, finalement et dans son domaine, il était le pendant de ce que « le Bon Usage » est aux règles grammaticales. J'ai constaté, dans les débats de la liste typo, qu'il n'a pas ce statut de référence absolue, quand bien même on reconnaît ses grandes qualités (l'utilisateur lambda que je suis s'en trouve rassuré et se dit qu'il peut en suivre les préceptes jusqu'à plus ample informé). Il y a (seulement, mais il y a quand même) une majorité nette ici d'« accentuationnistes » avec parfois des nuances dans la souplesse d'emploi (mais n'y en a-t-il pas entre jésuites et dominicains... ?).
 
Le Lexique de l'IN recommande l'accentuation, tout comme Perrousseaux (c'est à ceux-là que le public peut accéder généralement) : c'est sans doute un signe malgré le Code typographique romand (et son refus du À). Ce mouvement est bon. Il reste à voir, ici sans doute, quels problèmes particuliers peuvent se poser aussi bien chez les professionnels (ils seront plus pointus -- les professionnels comme les problèmes) et chez les autres utilisateurs soucieux d'une présentation convenable et correcte de leurs documents, car après tout, on écrit pour le lecteur... et je crains de l'avoir lassé.
 
Amicalement à tous,
 
--
Luc Bentz
 
languefrancaise@xxxxxxxx
http://www.chez.com/languefrancaise/
http://www.langue.fr.st/
--
« Les remarques des fautes d'un ouvrage se feront avec modestie
et civilité, et la correction en sera soufferte de la mesme sorte. »
(Statuts & Reglemens de l'Academie françoise
du 22 février 1635, art. XXXIV)
 
Luc Bentz
 
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« Les remarques des fautes d'un ouvrage se feront avec modestie
et civilité, et la correction en sera soufferte de la mesme sorte. »
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