Subject: |
Re: Et pis... sc¿nes |
Date: |
Tue, 8 Jan 2002 10:52:05 +0000 |
From: |
Jacques Melot <jacques.melot@xxxxxxxxx> |
Title: Re: Et pis... sc¿nes
Le 8/01/02, à 0:15 +0100, nous recevions de Luc Bentz
:
[...] Parce qu'il y a des fonctions
désincarnées ? Sans personne pour les remplir ?
===
Lorsqu'on utilise « une personne » au
lieu d'« un homme » ou d'« une femme », on
se place à un niveau d'abstraction supérieur ou l'on se montre
moins précis. Comme je l'ai écrit, cette précision moindre n'est
en soi pas du tout une faiblesse ou une erreur : on ne précise
pas la nature d'une table (couleur, style, etc.) dans le discours si
ce n'est pas nécessaire, c'est-à-dire si les caractéristiques de
cette table sont indifférentes dans le contexte où l'on en parle.
De même lorsqu'il s'agit d'un animal, et de même lorsqu'il s'agit
d'une personne. Le discours normal n'est pas une description plus ou
moins exhaustive de la réalité (ce qui d'ailleurs serait peine
perdue), mais une sorte de « diagnose » (au sens des
naturalistes) limitée à l'essentiel. Pour s'en convaincre il
suffit de retranscrire fidèlement sur le papier l'enregistrement
d'une conversation, même ayant eu lieu entre personnes
éduquées.
Le fait d'éprouver le besoin de signaler le sexe,
alors que cela n'est pas directement utile dans le contexte où on le
fait, est déjà l'indice irréfragable d'une différence admise
entre ces sexes, alors que dans le même temps l'on prétend mettre
les personnes des deux sexes sur un plan d'égalité stricte.
C'est la différence entre une
formulation très générale et collective (par ex. dans une
convention collective) et la situation mettant en jeu « une »
personne.
Comme je l'ai expliqué plus haut, il ne s'agit pas
nécessairement de formulation générale, mais tout simplement
d'une formulation assortie d'informations non pertinentes dans un
contexte donné, lesquelles sont à qualifier ainsi parce que non
seulement elles n'apportent rien, mais encore parce qu'elles sont
susceptibles de jeter le trouble par leur présence même.
On dit bien « une journaliste, une
ouvrière, une inspectrice générale, une correctrice...
».
Oui, mais lorsque d'une manière ou d'une autre la
précision supplémentaire apportée par l'indication du sexe est
pertinente.
On disait « madame LE directeur »
quand il s'agissait d'une administration centrale de ministère, mais
« madame LA directrice » d'une école maternelle ou
élémentaire ou d'un lycée (quand elles avaient cette appellation
spécifique, l'appellation « proviseur » étant réservée aux
chefs d'établissements mâles, jadis ou naguère).
Mais tout ça, naturellement, c'est le
génie intrinsèque de la langue.
Cela n'a rien à voir avec une forme quelconque de
génie, en particulier avec ce que l'on appelle « le génie
de langue française ». Curieux tout de même que vous
utilisiez cette _expression_ normalement respectueuse et même
solennelle de la sorte, a fortiori connaissant vos engagements.
Qu'il y ait des difficultés, oui. On
les a eu dans l'autre sens quand la mission assumée par les
sages-femmes a été ouverte aux hommes.
J'ai fait une contribution détaillée sur la
question, il y a quelques années (cette communication est disponible
sur simple demande pour ceux qu'elle est susceptible
d'intéresser ; la même difficulté existe dans de nombreuses
langues, y compris en islandais, avec ljósmóðir).
Comme je l'ai écrit alors, je n'ai trop rien
contre le fait de nommer une personne de sexe masculin une sage-femme.
Ce n'est qu'à peine plus « idiot » que de continuer à
utiliser les noms « dinde » ou « dindon »
pour la volaille qu'ils désignent. C'est un peu plus voyant, certes,
mais s'agissant d'un mot composé, on ne pense pas à
« sage » et à « femme » dans un usage
normal. Néanmoins, pour des raisons diverses, notamment que par sa
forme ce composé est aussi perçu, au moins de manière
subliminaire, comme une particularisation de « femme »,
on peut envisager de forger une terminologie nouvelle si
SPONTANÉMENT, c'est-à-dire sans que les personnes concernées
n'aient été soumises à une propagande militante, le terme
« sage-femme » appliqué à des personnes de sexe
masculin se verrait dédaigné, donc tomberait de lui-même.
La question est tout autre en ce qui concerne
maintenant « homme-grenouille », du fait du caractère
générique de « homme » (générique au même
titre que « grenouille », par symétrie, à moins que l'on
veuille pousser cette dernière au point de former un...
femme-crapaud, un fém.-masc. faisant le pendant à un masc.-fém.,
dans une comparaison techniquement acceptable, mais pas tellement à
l'avantage des femmes, vu les connotations de
« crapaud »).
Supposez que l'on parle d'une opération de
commando sous-marine. Il faudrait être de mauvaise foi pour soutenir
le caractère pertinent de parties du discours sur le modèle de
« Le commandement général dépêcha un commando constitué
d'une dizaine d'hommes-grenouilles et de femmes-grenouilles
pour... » : on se fiche éperdument de connaître le
sexe de ces hommes-grenouilles et sinon, pourquoi ne pas préciser
aussi le nombre respectif de personnes de chaque sexe, et, pendant
qu'on est debout, la couleur de peau (ça aussi il faut y
penser !). Il se peut en effet que dans certaines circonstances
il faille préciser le sexe ou le nombre et donc l'on passerait de
« Le commandement général dépêcha un commando constitué
d'une dizaine d'hommes-grenouilles et de femmes-grenouilles
pour... » à « Le commandement général dépêcha
un commando constitué de onze d'hommes-grenouilles, quatre hommes et
sept femmes(,) choisis parmi l'élite de la Marine nationale,
... ».
Il faut bien prendre conscience que si nous gobons
les couleuvres que l'on tente de nous faire déglutir, nous pouvons
dire adieu à toute littérature ! Tout simplement.
Il peut y avoir des excès, des
couenneries mêmes, des hésitations enfin. N'empêche. Et l'usage,
au fil du temps saura en polir la rocaille. Dire à une femme
ministre « Madame la Ministre » est bel et bien passé dans
l'usage,
Non, désolé de vous contredire, c'est prendre là
vos désirs pour des réalités : cet usage est toujours
conscient, militant, veule ou contraint, voire hésitant, tantôt
accompagné d'un mot d'excuse, tantôt d'un clin d'oeil et se
remarque toujours. J'en ai encore eu la preuve, si besoin en était,
il y a quelques jours, à l'ambassade de France en Islande.
nonobstant la position académique
assimilant cela à une faute.
Note en passant :
« nonobstant », bien qu'étant un mot bien
français (tombé quelque peu en désuétude), n'en est pas moins,
dans le contexte de la vie quotidienne, un anglicisme pour le
« notwithstanding » de la prose universitaire
anglo-saxonne. Même chose, encore plus manifeste, pour
« obsolète », etc.
Je recommande néanmoins l'achat et la
lecture de « Femme, j'écris ton nom » (Inalf/Cnrs - La
Documentation française]. Ça n'est pas cher et
instructif.
Pour l'être, ça l'est !
Vous ne me convaincrez pas. Moi non plus,
selon toute vraisemblance. Restons-en donc là : il est inutile
d'allonger le fil vainement, ICI (sur la liste langue-fr ou sur
f.l.l.f., ce serait sans doute autre chose), mais il ne faut pas
abuser du hors sujet.
Je me faisais justement la remarque il y a quelques
heures : comment se fait-il que Luc Bentz fasse ici ses
réponses (six en l'occurrence depuis que je suis intervenu sur la
question) et relativement très peu d'interventions sur ce même
sujet dans Langue Fr., plus exactement... aucune, depuis que j'y suis
(très exceptionnellement) intervenu...
Encore une fois, il ne s'agit pas de hors sujet car
tout cela a des retombées immédiates dans l'écrit et, comme on
l'a vu, des implications typographiques, ne serait-ce qu'à cause des
monstruosités impronçables auxquelles tout cela donne lieu.
Traiter les choses d'un point de vue exclusivement typographique,
serait l'analogue d'un traitement symptomatique, autrement dit perdre
son temps.
Luc Bentz --
http://www.chez.com/languefrancaise/
---
« Notre langue n'est pas la propriété
exclusive des ronchons chargés de la préserver ; elle nous
appartient à tous et, si nous décidons de pisser sur l'évier du
conformisme ou dans le bidet de la sclérose, ça nous regarde
!
Précisément ! Alors ne nous exhortez pas à
suivre ceux qui, la verg... la férule à la main, nous indiquent
les endroits asseptisés, victoriens, destinés à cet effet.
Allons, les gars, verbaillons à qui
mieux mieux et refoulons les purpuristes sur l'île déserte des
langues mortes. »
SAN-ANTONIO, « Un éléphant, ça
trompe »
À lire ceci le première réflexion qui me vient
est « Mais à qui opposez-vous donc ce
texte ? »
Hormis cette citation, dans tout ce que vous nous
écrivez j'ai en définitive bien du mal à ne pas voir qu'un purisme
très marqué qui oppose ce qu'il estime être la vérité à ce
qu'il pense être un autre purisme, ce qui, en somme, n'est qu'une
manière de brosser un carrosse de l'ombre d'une brosse.
Jacques Melot
P.-S. Voici comment le sondage dont il était question ces
derniers jours évolue :
Sondage la Tribune de Genève
Pour 24 votes, près de 17 % de
« totalement favorables » à la sexualisation
systématique et ostentatoire du langage, 50 % de
« totalement défavorables », près de 17 % de
« plutôt défavorables », 0 % (!) de « plutôt
favorable » et environ 17 % de « couci-
couça ».
Pour 39 votes, près de 16 % de « totalement
favorables », 51 % de « totalement
défavorables », environ 15 % de « plutôt
défavorables », environ 8 % de « plutôt
favorable » et un peu plus de 15 % de « couci-
couça ».
============== Couper ici ===============