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Message : Re: [typo] caractères chinois

(Jean-François Roberts) - Samedi 22 Mai 2004
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Subject:    Re: [typo] caractères chinois
Date:    Sat, 22 May 2004 00:55:54 +0200
From:    Jean-François Roberts <jean-francois.roberts@xxxxxxxxxx>

Title: Re: [typo] caractères chinois
Qui vous parle d'"ambiguïté" ?

Vous semblez confondre deux choses : que l'élément phonétique d'un caractère soit (en général) une (assez) bonne indication de la prononciation (si on connaît la prononciation de cet élément quand il apparaît seul,, comme caractère à part entière), et le fait que la même prononciation pourra s'indiquer par des éléments phonétiques différents.

Les chiffres sont très clairs, en effet : de 858 à 1 358 éléments phonétiques distincts, alors qu'il n'y a que 206 rimes distinctes, pour les 1 382 syllabes possibles. Autrement dit, vous n'aurez aucun mal, en sélectionnant une syllabe donnée, affectée d'un ton donné, à trouver (en moyenne) sept (7) éléments phonétiques différents dans des caractères signifiant des mots distincts, tous se lisant de la sorte - et en plus (statistiquement) au moins une forme sans élément phonétique... Mais ça ne change rien à la nature phonétique de l'immense majorité de ces caractères !

Mais on comprend que la structure la plus générale du caractère chinois, faisant apparaître un élément sémantique (le plus souvent : le déterminant, ou clé) et un élément phonétique (ce qu'*aucun* sinologue ne songerait à contester...) a puissamment aidé a développer l'analyse "fanqie" de ces caractères, utilisée pendant 10 siècles par les dictionnaires des rimes - y compris pour les 3 % ne présentant pas une telle structure.

Le problème majeur de cette méthode, bien entendue, est qu'elle est intimement liée au seul mandarin, plus précisément au dialecte de Pékin, dans sa forme "officielle" ("putonghua") - et, qui plus est, qu'elle est tributaire de l'évolution phonologique de la langue, imposant à la longue des redistributions et reclassifications des caractères.

C'est ce type de considérations qui a amené, par la suite, un regain de faveur du système des clés, qui a l'avantage - tout en restant fort abstrait (ce qui conduira à la diffusion du mythe d'une écriture conceptuelle, faites d'"idéogrammes") - de convenir à l'ensemble des langues chinoise (dans leurs divers dialectes), et même aux langues non chinoises adoptant ces caractères : coréen, japonais (kanji), vietnamien d'avant la conquête française... et, par surcrroît, d'être insensible aux inévitables mutations phonologiques.

Mais, à ce compte, si on n'est pas soi-même chinois, on perd vite de vue la construction fort simple, et systématique de ces caractères. C'est bien ce qui est arrivé, et que vous démontrez encore... puisque vous refusez de *voir* que plusieurs groupes de caractères, dans la liste que vous exhibez si triomphalement, comportent... les mêmes éléments.  (Entendons : autant de fois qu'il y a de groupe à distinguer...) Ce qui devrait vous amener à réviser une certitude, "étayée" à si bon compte...

Je vous demanderai instamment de comparer : le 1er et le 3e (à partir de la gauche) de la 1re rangée, et le dernier à droite de la 2e rangée ; le 4e et le 5e de la 2e rangée ; l'avant-dernier et le dernier de la 1re rangée.

Ce qui est moins évident, pour le néophyte, est que le 1er caractère de la 2e rangée est lui-même composé, et phonétique : "lettré", ici, doit se comprendre comme "personne sachant compter de 1 à 10" (sic) - le symbole "10" chinois étant une simple croix (cf. le X romain !), qui se lit "shi", affecté du deuxième ton. Le symbole pour 1, à sa base, est le trait horizontal simple, qui se lirait 'yi" affecté du 1er ton.

Oui : le décryptage n'est pas évident de prime abord, surtout en calligraphie moderne, comme ici... Mais enfin, le jugement des Chinois eux-mêmes, quant à la structure des caractères qu'ils utilisent (opinion admise depuis deux millénaires) - ce jugement devrait plutôt emporter votre adhésion, plutôt que suciter une tentative (nécessairement vaine, pour ne pas dire futile) de le contredire. Quitte à apprendre à lire ces petites bêtes (ce qui n'est pas évident, je vous l'accorde !).

Je vous propose (pour régler la question, de faire la recherche sur le site déjà indiqué de Zhongwen.com (Chinese Characters and Culture), qui est une ressource précieuse pour voir (et comprendre) comment ça marche :

http://zhongwen.com/

Sur la page d'accueil, à la rubrique "Search", cliquez sur "pronunciation", et entrez "shi" (sans indication de ton). Vous arrivez directement sur une page vous proposant les 408 syllabes du mandarin (en translittération pinyin), sans accent. Cliquez sur "shi".

Vous arrivez sur une page ou apparaissent, cette fois, toutes les formes monosyllabiques de "shi", affectées des divers accents (ou absence d'accent) possible, suivies des formes disyllabiques débutant par une de ces syllabes. Et, pour chaque entrée, les caractères afférents. Se rappeler que, à chaque étape *tout* caractère chinois apparaissant sur la page est cliquable, et vous livrera la même mine d'informations (et de renvois potentiels...).

Vous constaterez qu'il y a bien 25  caractères distincts (et non 19) se lisant "shi" affecté du 4e ton. Cliquez sur chacun d'entre eux. Vous verrez à droite apparaître tous les détails utiles sur ce caractère, en particulier quant à sa construction, le plus souvent phonétique, en effet. Vous verrez : ça demande du temps, mais c'est un exercice éclairant...

Ajoutons que les caractères apparaissant sur le site Zhongwen.com sont tous sous forme typographique régulière, ce qui facilite grandement leur lecture, pour un débutant. Vous constaterez que les éléments phonétiques interviennent de façon complexe dans la formation des caractères - un vrai jeu de l'esprit, avec une dialectique signifiant-signifié tout à fait jubilatoire (ce sont, somme toute, des lettrés qui ont construit tout ça) ; mais où le son reste un fil constant.

Sinon, proposer de décrypter des caractères en calligraphie, comme le fait votre auteur, est un excellent moyen de masquer ce dont il retourne en effet (ou de permettre à ses lecteurs de n'en rien voir)... A méditer.


De : "Pierre Schweitzer" <pierre.schweitzer@xxxxxxxxxxx>
Répondre à : typographie@xxxxxxxxxxxxxxx
Date : Fri, 21 May 2004 23:14:47 +0200
À : <typographie@xxxxxxxxxxxxxxx>
Objet : [typo]



Mmm... Je comprends que les linguistes et autres éminents sinologues contemporains aient eu quelques comptes à rendre avec Leibnitz et consorts, pour effacer les absurdités assénées au sujet de l'écriture chinoise entre le XVI et le XIXème.

M'enfin, c'est pas une raison pour substituer une *prétendue* ambiguïté (les "idéogrammes") par une autre ( : les "phonogrammes")... Ci-dessous (tout en bas) les 19 graphies possibles pour le caractère « shi » au 4ème ton qui peut vouloir dire :

. essuyer
. savoir
. suffxe de nom propre
. être
. puissance
. monde
. serment
. quitter
. lettré
. affaire
. aimer à
. voir
. veiller sur
. compter sur
. marché
. essayer
. aller à
. expliquer
. maison

Disons pour le moins que si les caractères chinois _sont_ _phonétiques_ à 97% comme vous le rapportez, c'est qu'ils mélangent un peu leurs pinceaux ! Chacun des 19 signes en bas se prononce de la même façon...

En réalité, les caractères chinois ont tout à la fois une valeur phonétique et une valeur sémantique, absolument indissociables. En Chinois, apprendre à écrire, c'est apprendre le vocabulaire... Alors pourquoi restreindre l'utilité de 97% de ses signes à leur seule valeur phonétique ?

Pierre Schweitzer

ps : réf. illustration _L'écriture chinoise_, Viviane Alleton, Presses universitaires de France, coll. Que sais-je ?, 1970-2002




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