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Message : Re: [typo] caractères chinois

(Jean-François Roberts) - Samedi 22 Mai 2004
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Subject:    Re: [typo] caractères chinois
Date:    Sat, 22 May 2004 09:55:14 +0200
From:    Jean-François Roberts <jean-francois.roberts@xxxxxxxxxx>

Title: Re: [typo] caractères chinois
Pour reprendre les choses sur le fond : qui vous a dit autre chose ? 90 % des caractères sont ce que les Chinois eux-mêmes nomment des phonogrammes. Entendons par là que ce sont des caractères dont la structure même indique la prononciation - par oppositions à d'autres catégories, hyper-minoritaires (pictogrammes, symboles), dont la structure graphique ne dit rien sur la prononciation. Une bonne proportion d'autres caractères sont ce que les mêmes Chinois nomment des "emprunts" (entendons : d'un caractère, pour sa valeur *phonétique*). D'où le chiffre avancé par nombre de spécialistes, Chinois ou non, de 97 % de caractères ayant une nature phonétique.

Dire cela, ça n'est - par aucune acrobatie mentale possible - vouloir "restreindre l'utilité (...) de ces signes à leur seule valeur phonétique". J'ai moi-même rappelé la structure de ces signes, en général composé d'un élément phonétique et d'un élément sémantique (en général, une des "clés" répertoriées). Mais c'est le refus de même admettre que le choix des éléments est systématiquement guidé par le son - refus entretenu par une forte proportion de sinisants et sinologues occidentaux, sur plusieurs générations - qui a motivé les remarques des sinologues contemporains.

Pour me restreindre à un seul exemple : shi4, au sens de "lettré" est représenté par un caractère issu de l'union de 2 symboles numériques, "1" (yi1) et "10" (shi2). Il est clair que c'est bien le *son* shi2 qui a guidé le choix de ces caractères. Sinon, la valeur sémantique de l'assemblage ainsi obtenu est manifestement facétieuse, pour ne pas dire absurde. Qui prétendra jamais que même un lettré pourrait imaginer que seul le lettré répond à pareille définition ("[savoir compter] de 1 à 10") ? Arguer de la valeur symbolique de ces caractères, à l'encontre, pêcherait par excès inverse (le lettré serait l"un et le tout", le fondamental et l'universel ? diable donc...) : on friserait le ridicule, pour enflure cette fois.

Ce qui appelle deux remarques : d'abord, si "10" (shi2) est bien ici un élément phonétique, on voit que l'élément sémantique "1" n'apporte guère de sens en soi. En l'occurrence, sa présence est ici appelée par celle de "10" - qui, paradoxalement (fait assez rare pour qu'on le souligne) participe ici à la fonction sémantique : c'est "1 à 10" qui fait sens ici (même si ça laisse songeur), pas "1" isolément.

Ensuite, que le caractère pour "lettré" (shi4) soit de nature phonétique (au sens où l"entendent les Chinois eux-mêmes) ne "réduit" en rien son "utilité" à sa "seule valeur phonétique", puisque les mêmes qui  qualifient ce caractère de "phonétique" reconnaissent en lui, bien sûr, une des 214 clés du _Kangxi_ - dont le rôle sémantique va sans dire, dans d'autres caractères phonétiques (ou non, d'ailleurs).

Mais c'est là confondre - dans votre argumentation - la *structure* d'un caractère (celle d 'un caractère "phonétique", ou phonogramme, en l'occurrence ; c'est-à-dire dont la structure indique la prononciation) et sa *fonction* en tant qu'élément. Et là, ce même élément graphique, intégré avec d'autres, aura une fonction soit sémantique (clé), soit phonétique à son tour... selon les cas. Un seul exemple de ce cas de figure : l'élément phonétique du caractère qui nous occupe ici ("lettré"), soit "10" (shi2) est lui-même une clé... qu'on ne saurait pas plus, donc, "restreindre" à sa "seule valeur" sémantique.

Enfin, pour ce qui est d'apprendre le vocabulaire : connaissez-vous une seule langue au monde que l'on puisse écrire sans vocabulaire ? Même si elle est alphabétique ?


De : "Pierre Schweitzer" <pierre.schweitzer@xxxxxxxxxxx>
Répondre à : typographie@xxxxxxxxxxxxxxx
Date : Fri, 21 May 2004 23:14:47 +0200
À : <typographie@xxxxxxxxxxxxxxx>
Objet : [typo]

(...)

En réalité, les caractères chinois ont tout à la fois une valeur phonétique et une valeur sémantique, absolument indissociables. En Chinois, apprendre à écrire, c'est apprendre le vocabulaire... Alors pourquoi restreindre l'utilité de 97% de ses signes à leur seule valeur phonétique ?

Pierre Schweitzer

(...)