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Message : Re: [typo] caractères chinois

(Jean-François Roberts) - Dimanche 23 Mai 2004
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Subject:    Re: [typo] caractères chinois
Date:    Sun, 23 May 2004 07:06:14 +0200
From:    Jean-François Roberts <jean-francois.roberts@xxxxxxxxxx>

Title: Re: [typo] caractères chinois
Je ne tenterai pas de revenir sur tout : dans l'ensemble, nous sommes bien d'accord - à quelques détails et nuances de terminologie près (pas de quoi fouetter un shi ;).

Il n'y a pas de "règles", justement, dans la construction des caractères chinois : c'est un vaste ensemble qui s'est constitué sans plan d'ensemble ni dessein préconçu, à coup de recettes auxquelles on donnait parfois des coups de pouce pendables... Mais enfin, sans jamais sortir de procédés reconnaissables, et dont l'esprit se maintient. Le fait que ce soit l'¦uvre - somme toute - de lettrés qui s'étaient eux-mêmes imprégnés d'un important corpus de caractères au départ a sans doute permis d'éviter un dérapage complet. De même, mutatis mutandis, que pour les hiéroglyphes égyptiens, aux mains de la caste sacerdotale.

Cela dit, vous usez du mot "symbole" d'une façon qui me péoccupe un peu.

Par définition, un symbole n'a rien de phonétique. Dans une langue qui inclut dans son écriture des éléments phonétiques (que se soit par une écriture entièrement alphabétique ou syllabique, ou par les éléments phonétiques d'un caractère), on désigne comme "symbole" ce qui n'est ni une représentation directe (une carte, un pictogramme, un "smiley" ou "émoticone"), ni un mot ou caractère comportant une indication phonétique.

Ainsi, ":-o" sera un pictogramme, ou une icone. "BB DCD" en abréviations télégraphiques ou de SMS est un texte entièrement phonétique. Mais "+" est un symbole. De même, "10" est un symbole, mais "dix" est un mot (phonétique en tant que tel, puisque le français est alphabétique). "10" n'est pas phonétique : on le lira "dix", "ten", "zehn", dieci", "pente", "piat'", "shi2", etc., en fonction de la langue choisie.

C'est pourquoi, parmi les caractères chinois, on distingue en effet les pictogrammes ( "xiangxing" : "soleil"= "ri4", "lune" = "yue4"...) et les symboles ("zhishi" : "10" = "shi2", "dessus" = "shang4"...) des autres catégories de caractères. Ces dernières sont en général des composés (sauf les "emprunts" [phonétiques], "jiajie", qui peuvent être des caractères "simples") ; et en général phonétiques, sauf la catégorie des idéogrammes ("huiyi" : "luminosité" = "ming2" [soleil + lune accolés], "confiance" = "xin4" [clé : "homme" = "ren2" suivie de "parole" = "yan2"]...).

Tout ça pour marteler les points sur les i ;)

Ça n'est pas un symbole, mais bien un *caractère* qui peut (le cas échéant) être un "phonogramme" - ou un symbole, d'ailleurs (mais jamais les deux à la fois, bien sûr...).

Cela dit, dans vos conclusions, vous rejoignez pleinement la thèse maîtresse de J. DeFrancis... qui prête d'ailleurs à controverse, dans cette forme extrême - mais saine pour l'essentiel, à mon sens. Mais utiliser "idéogramme" pour désigner un caractère chinois en, général, c'est, on vient de le voir, s'exposer à bien des déboires...


De : "Pierre Schweitzer" <pierre.schweitzer@xxxxxxxxxxx>
Répondre à : typographie@xxxxxxxxxxxxxxx
Date : Sat, 22 May 2004 23:28:27 +0200
À : <typographie@xxxxxxxxxxxxxxx>
Objet : Re: [typo] caractères chinois



Merci pour vos précisions qui lèvent nettement l'ambiguïté que j'avais cru déceler dans votre premier propos, à savoir que les caractères chinois « sont phonétiques » ou « ont cette nature »...

Que les 19 graphies différentes pour shi4 présentent certaines similitudes graphiques entre elles ne m'avait pas échappé : si ces 19 caractères différents se prononcent de la même façon, c'est bien qu'autrechose les distingue ou les caractérise, non ? Autrechose qui *n'est pas* de nature phonétique, précisément.

Ce qui n'exclut en rien qu'il y ait bien une composante phonétique dans la constitution de ces caractères que certains préfèrent appeler d'ailleurs "complexes phonétiques" plutôt que "phonogrammes".

Il me semble comprendre assez bien pourquoi les Chinois eux-mêmes appellent "phonogrammes" cette classe de caractères, largement dominante. À mes yeux, c'est tout simplement parce qu'ils ne sont pas familiers d'un système d'écriture alphabétique ! C'est leur façon d'emboîter graphiquement deux caractères distincts pour en former un nouveau, monosyllabique forcément, et qui hérite donc phonétiquement d'un seul des deux caractères assemblés... C'est même, si j'ai bien compris, la seule façon qu'ils ont de former des mots nouveaux à partir de mots existants (j'exclue ici les mots composés).

Graphiquement, la juxtaposition de la clé indique sans ambiguïté le domaine de référence (une sorte de contexte instantané ?), elle permet d'évoquer parfois l'étymologie* du mot quand on est familier de la culture chinoise ou laisse transpirer un peu de cette culture quand on ne l'est pas (il n'y a qu'à feuilleter le dictionnaire en ligne que vous avez signalé pour s'en convaincre), et surtout, elle est un puissant moyen mnémotechnique pour l'apprentissage de la langue, ce qui n'est pas la moindre de ses fonctions, à mon avis ! Quelle sophistication inouïe quand on y pense !

D'où ce système complexe d'héritage phonétique, non systématique et partiel : la rime de l'élément dit phonétique s'y retrouve toujours, son ton et sa consonne initiale, beaucoup plus rarement (Y a-t-il seulement une règle ?).

Mais surtout, la clé ou radical du caractère : elle n'a aucun impact phonétique, si ce n'est une improbable déclinaison de ton ou de variation dans la consonne initiale (règle ?). La clé est pourtant partie intégrante du caractère au même titre que la "phonétique" et elle permet de distinguer sans ambiguïté les sens du caractère à l'écrit (voir les 19 shi au 4ème ton).

À l'inverse, je comprends un peu pourquoi je préfère, moi à la suite de bien d'autres, appeler ces caractères chinois des "complexes phonétiques". C'est parce qu'aux yeux d'un usager d'une écriture alphabétique, voire syllabique, ce sont les symboles, idéogrammes ou pictogrammes, qui caractérisent le mieux l'écriture du Chinois, qu'ils soient inscrits directement comme caractères ou associés entre eux sous forme de caractères complexes.

D'ailleurs, quand on utilise une écriture alphabétique, dire qu'un symbole est "phonogramme" c'est un peu un... pléonasme, non ? Qu'elle soit alphabétique ou non, l'écriture d'une langue naturelle n'a-t-elle pas toujours une vocation phonétique, par définition ? Existe-t-il seulement une écriture de langue naturelle qui ne le serait pas ? Les composantes graphiques de l'écrit, lettres alphabétiques ou autres, ne sont-elles pas toujours, d'une manière ou d'une autre, globalement phonogrammes ? Donc dire qu'un caractère chinois est phonétique... À la limite, pourquoi ne le serait-il pas ? C'est toujours l'usager de l'alphabet qui parle ;-) À mes yeux, ce qui caractérise l'écriture chinoise, ce sont au contraire ses clés muettes et pourtant, parfaitement signifiantes. Au point que j'accepte fort bien, pour ma part, le terme générique d' *idéogramme* pour désigner généralement un caractère chinois...

* je cite Viviane Alleton dans "L'écriture chinoise", coll. Que sais-je ?, PUF, 1970-2002. Page 20 : « Le rapport de la graphie au son est arbitraire, au moins en ce qui concerne la langue actuelle. Cela n'empêche pas qu'un Chinois, quand il rencontre un caractère qu'il ignore, cherche à le deviner, à imaginer de quel mot il s'agit, et il y parvient souvent. »


Pierre Schweitzer


PS : devinette.
Q : Pourquoi les Chinois n'ont-ils pas vraiment eu besoin de typographes jusqu'au XXeme siècle ?
R : C'est parce qu'ils utilisaient déjà des "caractères", qu'ils faisaient "fondre" eux-mêmes, pour inventer des mots et faire évoluer leur langage.
Bof ;-)