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Message : Re: Humour (était : « Féminisation », Québec)

(Jacques Melot) - Mardi 09 Novembre 2004
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Subject:    Re: Humour (était : « Féminisation », Québec)
Date:    Tue, 9 Nov 2004 21:09:11 +0000
From:    Jacques Melot <jacques.melot@xxxxxxxxx>

Title: Re: Humour (était : « Féminisation », Québec)
 Le 09-11-2004, à 13:29 +0100, nous recevions de S*** :

Bonjour encore :-)


   Bonjour I***, encore et encore !


Non, non, je connais bien la différence entre genre et sexe. Je me demande simplement pourquoi - justement parmi ceux et celles qui refusent de voir un lien entre la généralisation du masculin pour désigner les deux et la position toujours et encore bancale de la femme dans la société - pourquoi donc la plupart refuse totalement de respecter une règle de grammaire très simple qui consiste à toujours accorder l'adjectif avec le substantif le plus proche.



   Ce n'est pas conforme à la grammaire française actuelle.



Justement et heureusement, le français est une langue plutôt « paritaire ». Alors pourquoi s'en priver ? 



   Il y a bien d'autres choses qu'on peut faire dans d'autres langues et qu'on ne peut pas faire en français, ou pas faire de la même manière... et inversement.



Permettez-moi de citer ici un extrait du livre :
"Le féminin à la française" de Edwige Khaznadar, paru aux éditions L'Harmattan - Questions contemporaines en 2002, ISBN : 2-7475-2034-X que je vous recommande de tout coeur :
 
" Dans la langue française fonctionne l'alternance infirmier/infirmière, et il n'y a rien à faire, un infirmier, c'est d'abord un homme. C'est faire du sexisme que de prétendre que le masculin peut tout nommer, de la désinformation si l'on n'utilise que le masculin, et manquer de personnalité que de penser que le masculin est un neutre.



   Encore un exemple ad hoc : tout comme pour boulanger-boulangère, l'alternative infirmier-infirmière n'indique pas que le sexe de la personne, mais marque une différence, réelle ou ressentie, au-delà du sexe des personnes (historique dans le second cas, de fonction dans le premier). C'est la raison pour laquelle on évite instinctivement de dire les infirmiers, ou on hésite à le faire, pour désigner les travailleurs des deux sexes collectivement, de même dans l'autre cas. Mais on dira « les médecins », « les professeurs », etc., sans aucune hésitation et l'on sera compris.



Non, on n'a pas besoin de dire tout le temps "les infirmières et les infirmiers". Oui, le masculin pluriel sert en français à signifier les deux genres : mais seulement quand le reste du texte précise bien qu'il s'agit des deux.



   Exactement. Dans ce cas là et dans les cas assimilables.



Il est impératif, pour parler clair, de dédoubler le nom de profession, au moins dans les titres ou sous-titres qui chapeautent un article, ou dans les noms d'associations. "Syndicat des infirmières et infirmiers libéraux" : inélégant ? Le complexe du tout masculin est une variété de snobisme qui consiste à s'aligner sur ce que l'on juge dominant.



   Affirmation gratuite qui n'apporte rien au début, au point même qu'on se demande comment l'auteur ne se rend pas compte à quel point il affaiblit là son argumentation en toute inutilité. Soit dit en passant, il n'y a, par définition même, aucun snobisme là où il n'y a aucune volonté de se démarquer de la pratique ordinaire et générale.



Qu'est-ce qui est à blâmer, nommer les hommes et les femmes dans la parité, ou déshumaniser le monde professionnel français en faisant de tous et de toutes des mécaniques, des robots asexués ?



   En finnois il n'y a pas même de genre grammatical : sont-ce des robots asexués pour autant ? Suggérons donc aux féministes finnois l'introduction de genres dans leur langue imparfaite, et zou ! Pauvres Finnois, auteurs, professeurs, érudits, travailleurs sociaux, agents de police, qui n'y ont jamais même songé ! Comment diable ont-ils pu vivre si longtemps ainsi sans que l'aile de la civilisation ne les ait effleurés.



Ange ou robot.
 
Le flou des masculins pluriels nous a ramenés à la dernière question : le masculin singulier. C'est un neutre, nous dit-on.



   ... ou constate-t-on. C'est la fusion du neutre latin et du masculin, comme, par exemple, certains cas de l'indo-européen (instrumental, locatif) ont disparu, se fondant dans d'autres cas en latin et plus encore en grec.



Reparlons-en une bonne fois. Peut-être le il est-il neutre dans il pleut : les linguistes en ont discuté à perdre haleine



   Rassurez-vous : non ! (Point n'est besoin d'en discuter à perte d'haleine.)

   En islandais où nous avons un neutre en plus du masculin et du féminin, on n'en dit pas moins, comme en français, « hann rignir » (il pleut, hann pronom personnel masculin singulier de la troisième personne), même si l'on entend aussi, par réfection populaire, exactement comme en français, « það rignir » (ça pleut, où j'emploie à dessein « ça » comme pronom personnel neutre). Même chose pour la neige et le vent.



et ne sont toujours pas d'accord.



   Sans doute parce que de nos jours, les linguistes ne connaissent plus les langues, hormis leur langue maternelle et... l'anglais. J'exagère à peine. Attendez demain et se sera une réalité générale.



Peut-être dans "la musique et les arts africains", africains est-il "neutralisé" pour s'accorder avec le féminin et le masculin. Mais, voulez-vous "de forts pluies et vents" ?



   Avec ce nouvel exemple, nous retombons dans l'églefin fumé. Lorsqu'on rédige, on hésite, on biffe, etc., et l'on écrit plutôt « de forts vents et pluies ». Et quand on parle, il vient un peu de tout, mais on rectifie également, l'accord des adjectifs et une foule d'autres choses (cacophonie, difficultés de prononciation, etc.).



achèterez-vous "des jupons et des jupes courts" ?



   Comme je l'écrivais plus haut, tout ceci est théorique et personne ne s'exprime ainsi.



aimez-vous "les seins et les fesses ronds" ?



   « Quand on veut noyer le poisson, le poursuit avec rage »



Vous aurez en cadeau "des caramels et des pralines mous". Depuis l'aimable Clément Marot au XVIe siècle, en passant par Vaugelas lui-même conseillant "le coeur et la bouche ouverte" au XVIIe siècle, l'abbé de Condillac au XVIIIe choisissant de parler "avec un goût et une noblesse charmante", les multiples grands écrivains cités par Grévisse accordant au féminin en raison de la règle de proximité, nous arrivons au linguiste Charles Bally qui s'inquiète de "la pathologie du genre", car il voit le masculin malade, inapte à englober le féminin.



   Eh bien, ça ne fera jamais qu'un Lyssenko de plus... enfin peut-être (je me méfie des citations tronquées et, de surcroît, rapportées indirectement).



La "règle" selon laquelle "le masculin l'emporte" est une prescription androcratique contredite par le fonctionnement spontané de la langue."



   C'est une règle comme tout autre, qui n'a rien de particulièrement « androcratique », n'en déplaise à l'auteur de ces lignes, et, passez-moi l'_expression_, personne n'en fait un fromage lorsqu'elle est transgressée, l'entorse à la règle n'ayant lieu uniquement lorsqu'elle n'attire pas l'attention sur elle-même (une des règles d'or de la rédaction) et essentiellement pour des raisons d'euphonie.

   D'ailleurs, en me reportant maintenant au Grevisse, je lis ce qui suit (n° 782, fin) :

   « Si les mots qualifiés sont de genres différents, l'adjectif se met au masculin pluriel ; quand l'adjectif a pour les deux genres des terminaisons de prononciations fort différentes, l'harmonie demande que le nom masculin soit rapproché de l'adjectif. »

   Suivent des exemples, puis un N.B. et des remarques dans lesquels les questions d'euphonie sont clairement déterminantes. C'est à cette occasion que sont donnés des exemples où les auteurs s'affranchissent, au moins momentanément, de cette règle tant en ce qui concerne la proximité que... l'euphonie. En gardant en mémoire qu'une grande partie des règles citées dans le Bon usage sont accompagnées d'exemples de transgression, voilà donc toute la portée de cet article du Grevisse !

   Très, très cordialement,

   Jacques Melot


Très cordialement
 
 
I*** A*** d*** L***
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