Archive Liste Typographie
Message : Re: [typo] f IN i ?

(Pierre Walusinski) - Jeudi 25 Juillet 2013
Navigation par date [ Précédent    Index    Suivant ]
Navigation par sujet [ Précédent    Index    Suivant ]

Subject:    Re: [typo] f IN i ?
Date:    Thu, 25 Jul 2013 21:42:43 +0200
From:    Pierre Walusinski <pierre@xxxxxxxxxxxxxx>

> Le mail de Jacques André est au cœur du sujet de cette liste, et les réactions qu'il a suscité ne sont pas à la hauteur de l'enjeu (la mienne non plus, rassurez-vous !.

Si on va par là, je trouve le mail de Jacques lui aussi peu à la hauteur… Et le vôtre regorge d'approximations et de jugements à l'emporte-pièces qui me dérangent durablement.

Comme le pointait malicieusement Christian Paput, il n'y a pas d'employé de l'IN inscrit à cette liste (ou alors ils appliquent un "devoir de réserve" un peu excessif). On discute donc d'un problème "au cœur du sujet de cette liste" d'accord, mais que doit-on déduire du fait qu'aucun des salariés concerné ne soit abonné à la dite-liste? Leur haute position dans "l'ethnie des experts de la chose imprimée" les dispense sans doute d'être abonné aux listes professionnelles, françaises et étrangères? 


> En l'occurrence, la bibliothèque de l'Imprimerie nationale est d'ores et déjà démantelée entre les Finances et l'Arsenal (je crois).
> Donc loin de Flers.

Non! Parler de "démantèlement" à tout va devient écœurant quand ça n'est plus qu'un effet de manche pour faire pleurer dans les chaumières syndiquées. La bibliothèque de l'IN possédait un fond protéiforme (journal officiel, publications économiques, légales, etc., en plus de l'imprimerie stricto-sensu) qui n'avait pas nécessairement vocation a rester en un seul bloc, à partir du moment ou toute l'IN était elle-même restructurée. Le fond historique, avec le manuscrit d'Ange Vergece, les Estienne, les Alde Manuce, la description de l'Égypte et tous les ouvrages techniques sur l'imprimerie, specimen de caractères, etc. sont toujours à Ivry avec l'atelier et les collections, sous la responsabilité de M. Didier Barrière. Il n'y pas d'aberration fondamentale sur le registre de la bibliothèque… ("pour le moment" si vous voulez).

> Bien sûr, les cadres rejoignent Paris et les artisans vont à Flers.
> Mettre 250 km entre le concepteur de caractères et le graveur, le compositeur typo et le correcteur est une véritable innovation dans la méthode de travail.

Je vois bien ce que vous voulez dire, mais n'empêche, pourquoi pas? avec les mails, les scans, les visio-conférences, etc. c'est pas si compliqué. Pourquoi le reste du monde utilise ces outils et pas l'imprimerie nationale? Evidemment tout avoir en bas de chez soi c'est pratique, mais si c'est pas possible, vaut-il mieux ne rien faire? N'y a-t-il pas sur cette liste des graphistes provinciaux qui travaillent pour des éditeurs parisiens (mais dont les bureaux sont en banlieue bien sûr) et qui impriment en Pologne?

>> - la conservation des poinçons et de l'ensemble de la collection semble retenir l'attention bienveillante des pouvoirs publiques. C'est la chose la plus essentielle sur laquelle il faut veiller, le reste est littérature.
>> 
> C'est maintenant que le Cabinet de poinçons devient littérature !
> Alors que l'IN ne cesse de proclamer que l'Atelier du livre est "la dernière chaîne graphique traditionnelle complète en fonctionnement au monde"…

Justement, la belle affaire. Je force le trait, mais: "à quoi bon?" Qu'est-ce qui sort de cette fameuse chaine depuis 20 ans? Sont-ce des recherches techniques poussées? des recherches plastiques et artistiques? dans quelle revue les comptes-rendus de ces travaux sont-ils publiés? Avec quels échos? Quel jeune dessinateur de lettre français ou étranger est venu faire des essais de gravure dernièrement? Son rapport est-il lisible en ligne? Est-ce que tel et tel éditeurs "de bibliophilie" viennent chercher à l'IN la compétence de ses techniciens, ou bien surtout viennent-ils utiliser ses caractères exclusifs? Quels sont les derniers contacts de l'atelier avec la Hochschule für Grafik und Buchkunst de Leipzig où enseigne Fred Smejers? l'University of Reading? la St Bride Library? le salon Codex de Berkley, CA?

Pour ma part, depuis que je connais l'In, l'atelier et son long combat, j'ai trop souvent entendu la répétition mécanique de discours condescendant qui exaltent et enjolivent des savoir-faires techniques pour protéger des salariés, et épargner à la bonne conscience de professionnels nostalgiques l'épreuve de voir basculer définitivement cet atelier dans l'Histoire. 

Oui je me fais l'avocat du diable et je force le trait. Mais quand même. J'essaie de pointer les lacunes d'un discours inadapté, parcellaire, affreusement partisan, et enfin utopiste quant aux projets inter-stellaires d'atelier contemporain, d'énseignement transversal traditionnellement moderne, laboratoire de recherche & Co. Enfin le projet est formidable bien sûr, mais il faut redescendre sur terre.

Pourquoi ai-je le sentiment depuis le début que l'on est face à un membre blessé, gagné par la gangrène, et que l'on ne fait que couper des petits morceaux successifs en croyant toujours que l'on pourra s'en sortir finalement avec une prothèse «comme si de rien n'était». Parce que personne ne se résout à couper le membre entier, pour vivre handicapé certes, mais enfin hors de l'hôpital?


> Y a t-il des exemples de valorisation des savoir faire par une action de mécénat ?

Je ne pense pas que ça puisse être une solution pérenne. On ne peut pas financer autre chose que des actions ponctuelles avec du mécénat. Le mécénat d'entreprise est en train de se reconfigurer douloureusement pour beaucoup d'institutions bien placées avec une visibilité internationale, voir par exemple cet article:
http://www.lemonde.fr/culture/article/2013/07/17/les-musees-fragilises-par-le-mecenat_3448912_3246.html. 

Alors, en l'état actuel de l'économie nationale et internationale, de l'image de l'IN et du poids de l'ALAE, il n'y aura pas d'entreprise d'envergure pour lacher 100k dans le vent, faut pas rêver. Les tacherons qui écrivent ces projets utilisent des termes ronflants, et personne n'ose demander ce qu'ils recouvrent concrètement, quand, comment, combien, où. Eux même ne le savent pas. Tout le monde croit connaître le "mécénat", on a tous lu des articles expliquant que tel château avait été restauré grâce au mécénat de telle entreprise-super-connue, comme s'il suffisait de claquer des doigts…  Mais qui connait concrètement le fonctionnement de ce système, dont le seul terme recouvre des solutions comptables et marketing tellement variées? Parler de mécénat, c'est jeter des paillettes à la plèbe en leur promettant de l'or, c'est comme un médecin qui dirait un mot latin pour expliquer une maladie à des illettrés… Balancé comme ça, "le mécénat"  ne veut strictement rien dire. Je ne peux pas croire que quelqu'un envisage encore de donner du crédit à ces inepties de bureaucrate.


> À l'heure actuelle, rien n'est envisagé en ce qui concerne la relève de 10-12 salariés qui étaient encore une vingtaine en 2006.

A dessein évidemment et non sans raisons. La relève? qui? pour quoi faire? Personne ne peut décemment envisager d'aller travailler dans cet atelier (je ne parle pas de la localisation), à moins d'être suicidaire. Vous ne vous rendez pas compte. Arrivez frais et plein d'enthousiasme et vous repartez neurasthénique. Avoir une idée là-bas est dangereux, on pourrait croire que vous voulez prendre le contrôle, que vous allez donner des ordres, que vous vous croyez plus fort et plus malin que les autres, et l'on se chargera de vous expliquer que des idées, «on en a eu avant vous».

> L'orientation est délibérément élitiste et évènementielle : prix de l'excellence, bibliophilie s'appuyant sur des artistes cotés, expositions virtuelles et vidéos en lieu et place d'un atelier qui fonctionne au service de l'État (qui fait réaliser ses documents de luxe en Chine pendant ce temps ?).

Ces deux lignes n'en finissent pas de me laisser perplexe.

Parce que en soit, la typographie, le dessin de caractère, et la gravure de poinçons typographique vous ne trouvez pas cela élitiste? 
Je ne démêle pas bien vos propos personnels de celui du projet dans ces lignes, mais tout ça est encore de la grande rigolade: ces propositions sont simplement du remplissage, ce sont les lieux communs interchangeables de l'argumentaire de sauvegarde de l'IN, sans aucune connaissance des réalités économiques de ces secteurs. Comment peut-on simplement y croire?

- "Bibliophile avec des artistes cotés"? c'est une plaisanterie. Si le secteur était porteur je crois que ce serait arrivé jusqu'à moi et mes confrères. Si c'était si simple, je le saurais aussi. Est-ce que l'auteur de ces projets est venu me questionner, ou est aller voir Maeght, Lelong, Fata Morgana, Bordas? pas précisément des idiots qui improvisent leur métier…
- "en lieu et place d'un atelier qui fonctionne au service de l'État"? Qu'est-ce que cette remarque?Je crois que le débat a fait long feu depuis des décennies,  Vu les productions "artistiques" de l'IN, je salue l'État de ne pas y faire faire ses "documents de luxe". (Et pourquoi agiter le chiffon rouge avec "made in China"? sur quelle base documentée, autre que le discours alarmiste qui raconte des salades pour attirer l'attention?).

La succession de ces arguments maladroits agissent peut-être sur le public, mais ils me désespèrent sérieusement.


> Le Cabinet servira de vitrine, il a déjà été prêté au musée des lettres et manuscrits, appartenant à la sulfureuse société Aristophil.

Houlala, le "Cabinet" n'a pas été prêté, non. Seulement quelques pièces issues des collections ont été prêtées. De mémoire: un moule à arçon, deux casses pleines de plomb, et peut-être quelques poinçons? Ça prenait une demi vitrine dans leur expo et ils ont bien tout rendu, merci de vous inquiéter. N'est-il pas mal venu de parler du "Cabinet […] prêté au musée des lettres et manuscrits"? Ce genre d'argument à l'emporte pièce discrédite tout le discours. La réalité est moins sensationnelle? Il faut faire avec.  

Et pourquoi critiquer ce prêt? C'est une des missions du Cabinet des poinçons d'exposer son fond. Aristophil ne leur a pas forcé la main tout de même. Et si une entreprise comme l'ALAE devait examiner l'éthique du "business plan" de la société demandeuse avant de consentir un prêt, que penser de la présence de ministres du gouvernement à ces vernissages? De plus ce n'est pas la direction de l'IN qui a commandé à l'atelier de faire ce prêt, l'atelier y a consenti de lui-même tout seul, et je me souviens nettement avoir vu dans ma librairie deux salariés de l'IN qui sortaient de l'exposition tout esbaudi, en disant que "c'était très beau". La nature du modèle économique du musée et de sa société mère n'a pas l'air de les émouvoir plus que ça (sont-ils seulement au courant? ont-ils envie de l'être?). De la même manière, l'atelier ne se plaint pas que la boutique du musée des lettres et des manuscrits leur vendent leur petits marque-pages et autre "produits dérivés". On peut ne pas trouver ça bien, mais eux ont l'air de s'en accommoder parfaitement. On ne peut pas se substituer à leurs décisions non plus.


> Ce patrimoine n'appartient pas aux institutions, ils leur est simplement confié pour préservation et valorisation dans l'intérêt de tous.

Si vous voulez, mais maintenant on fait quoi? Je veux dire, à part rappeler les grands devoirs de la République de manière péremptoire? On peut reprocher tout ce qu'on veut à l'État et aux politiques, mais il faut bien à un moment considérer les recettes et les dépenses, et les faire correspondre. On ne peut pas demander la lune quand on peut à peine traverser le périph. Alors chacun jugera par sa petite lorgnette la pertinence culturalo-socialo-géo-stratégique du financement prioritaire de prisons décentes, du fond de dotation pour les acquisitions du Centre Pompidou, d'un déploiement militaire en Syrie ou d'une imprimerie nationale, mais si ça ne convient pas il faut entrer en politique…


> Et le collectif Garamonpatrimoine porte la responsabilité des 20 000 signatures recueillies.

Pour ce qui est de la responsabilité du collectif Garamonpatrimoine, je pense qu'il s'est déjà bien démené pour ne pas faire peser sur lui la charge d'une responsabilité supplémentaire qui n'est fondamentalement pas la sienne. 



Pierre Walusinski