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Message : Re: [typo] Comment se faire des ami.e.s

(Jacques Melot) - Lundi 13 Novembre 2017
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Subject:    Re: [typo] Comment se faire des ami.e.s
Date:    Sun, 12 Nov 2017 20:35:22 +0100
From:    Jacques Melot <jacques.melot@xxxxxxxxx>
Resent-date:    Mon, 13 Nov 2017 16:11:39 +0100
Resent-from:    Jacques Melot <jacques.melot@xxxxxxxxx>

 Le 20/10/17, à 10:57 +0200, nous recevions de Jean-Luc BLARY :

Le 20/10/2017 à 09:32, Jean-Marie Schwartz a écrit :
Quant à moi, j'en suis toujours à me demander pourquoi on n'a pas encore créer un vrai genre neutre.
J'ai fait la proposition  suivante il y a deux semaines sur un forum, dans un fil causant (et globalement descendant en flammes :-D) le nouveau bouquin HatierŠ

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Si on veut enrichir la langue, l'introduction de formes neutre et bi serait autrement plus intelligente (et surtout grammaticalement viable) que cette ânerie monumentale d'écriture inclusive.J'y ai un peu réfléchi, et en fait ce ne serait pas difficile, il n'y a que peu de termes à introduire.
Par exemple :
Article défini : le, la, lo, les, (los) (ce dernier uniquement si on veut insister sur le caractère indéterminé/neutre/mixte)
Article indéfini : un, une, uno, des, (dos)
Pronom personnel : il, elle, ol, ils, elles, ols
Pronom possessif : mon, ma, mio, mes, (mius), puis tio, (tius), sio, (sius), nio, (nius), vio, (vius)
Pronom démonstratif : celui, celle, celio, ceux, celles, celos ou celius ou celus
Plus quelques cas où il faudra un accord directement sur le nom ou l'adjectif : "cheros amis" ou "chers amios", "copino" pour "neutraliser" copain/copine, etc. Mais une fois les articles et pronoms introduits, c'est l'usage qui créera les nécessités.
Ainsi, "travailleros" pourrait remplacer "travailleurs, travailleuses"

Gros avantage sur l'écriture inclusive : c'est quand même plus simple à écrire et surtout, ça fonctionne aussi à l'oral.

On ne voit pas bien ce que les partisan?e?s de l¹écriture inclusive pourraient avoir d¹intelligent à répondre à ça. ouf


[J. M.]   C'est en lisant de telles propositions que je comprends à quel point être cartésien et être réaliste sont deux choses bien différentes !

   Ce que vous proposez là n'a aucune chance d'être adopté et encore moins de passer dans l'usage. C'est une construction intellectuelle dont on pourrait à la rigueur dire qu'elle se tient, mais qui présente l'énorme défaut d'avoir été effectuée en dehors de toute confrontation avec la réalité.

   Pas plus que la réforme de l'orthographe de 1991 n'a connu de succès, ce que vous proposez n'en aura. En effet, vous ignorez totalement le fait que les gens ont bien d'autres chats à fouetter qu'à se pencher sur ce que vous proposez, puis à apprendre à l'utiliser en faisant les exercices nécessaires à cela. C'est faire abstraction de toutes les difficultés que rencontrerait une telle entreprise. Au-delà d'une motivation pour ainsi dire nulle dans l'immense majorité de la population, ce qui déjà constitue un obstacle difficilement surmontable, cela supposerait des efforts considérables pour se faire comprendre (il ne faut pas croire que tout se passerait comme par l'effet d'une baguette magique, instantanément et chez tous ; il n'y a qu'à voir la pagaille qui règne depuis l'introduction au forceps des féminisations de noms de professions, grades, etc.). Avant cela, on se heurterait à la difficulté d'apprentissage liée au manque de motivation, et plus encore de temps et d'énergie : les gens, qui parfois ont quatre heure de trajet et plus par jour pour se rendre au travail et en revenir vannés, ont à s'occuper d'enfants, à faire le ménage, à préparer les repas, faire les courses, etc. De surcroît, ils ne sont aucunement motivés par une difficulté qui ne leur apparaît pas comme telle, trouvant leur parler tout à fait satisfaisant pour mener à bien leur vie sous tous ses aspects. Peut-on imaginer qu'ils vont prendre sur leur sommeil ou sur leurs maigres loisirs pour trimer sur un tel apprentissage simplement parce qu'on leur demande de le faire et alors qu'au fond d'eux ils n'en ressentent pas la nécessité, voire même ressentent son inanité ? ! Tout cela n'est pas réaliste. Et c'est sans compter avec tous les désagréments que l'on rencontrerait à lire la littérature passée une fois que, par impossible, le nouvel usage se serait installé : un vrai repoussoir et, pour le coup, ce serait dissuader un peu plus encore les élèves de s'y intéresser. Un vieillissement prématuré de la matière écrite est toujours désavantageux, a fortiori à notre époque où l'on ne peut se permettre d'affaiblir un si outil si déterminant, si essentiel ne serait-ce qu'à la conception, comme l'est la langue, dans un monde où tout va si vite et où la concurrence est si impitoyable.

   Toutes ces remarques s'appliquent, mutatis mutandis, à l'écriture inclusive.

   Une dernière chose, et pas la moindre, concernant les langues admettant un neutre : il n'est pas vrai que, grammaticalement parlant, le neutre, par nature, s'impose dans le cas d'un groupe comportant des individus des deux sexes ! Le neutre est une simple catégorie à côté du masculin et du féminin, et n'a pas pour fonction d'éviter de privilégier un genre en cas de mélange d'individus des deux sexes. Le substantif composé résultant d'un tel mélange n'est en rien ipso facto un substantif neutre ou à traiter comme tel. Cette étape de raisonnement, pourtant essentielle, est allègrement oubliée par tous ceux qui, l'esprit sans doute trop accaparé par ce à quoi ils tentent de parvenir, veulent introduire un genre neutre pour avoir raison du masculin générique englobant le féminin. Cet oubli malencontreux vient sans doute en grande partie de ce que l'on voudrait employer une façon de parler que l'on qualifierait volontiers de neutre afin de ne favoriser aucun des deux sexes. Comme il s'agit de genres grammaticaux et que l'un d'eux s'appelle le neutre, il n'en faut pas plus à certains pour procéder à l'identification et considérer que le genre neutre est fait pour couvrir les cas de groupes comportant des individus des deux sexes ! En somme, la situation est la même qu'avec les mots masculin et féminin utilisés pour des genres grammaticaux : cette simple dénomination, qui du fait s'avère malheureuse, a pour conséquence immédiate l'identification non réfléchie des genres grammaticaux aux sexes des personnes. Suivant ce raisonnement, ce qui est propre à la femme doit être féminin et ce qui est propre au sexe masculin doit être masculin. Tout ce qui transgresse cette « règle naturelle », comme l'emploi de termes de genre masculin pour la femme, est alors regardé comme une agression ou l'affirmation d'une suprématie, en l'occurrence celle de l'homme sur la femme. Tel est le sophisme auquel s'accrochent les féministes partisans de la féminisation générale de la langue comme facteur induisant l'égalité de fait des sexes.

   Errare humanum est, perseverare diabolicum.

   La fonction du genre grammatical peut varier d'une langue à l'autre et son fonctionnement aussi. En latin, l'accord de l'adjectif attribut se fait au masculin pluriel lorsque le sujet est un groupe constitué d'individu des deux sexes. L'accord de proximité (avec le dernier sujet de l'énumération) se fait semble-t-il surtout pour des raisons de rémanence, entendant pas là que, dans la pratique moderne, on préfère écrire « Martine et Pierre sont gentils » que « Pierre et Martine sont gentils » à cause de la proximité, dans l'énoncé, d'un substantif féminin (qui s'applique de surcroît à une personne de sexe féminin, Martine) et d'un adjectif au masculin (gentils). La réintroduction de l'accord de proximité, qui a disparu en français au XVIIe siècle, serait très désavantageuse, car elle donnerait lieu à des ambiguïtés, d'autant que ce type d'accord ne se limitait pas au genre, mais s'étendait au nombre. L'accord de proximité apparaît donc plutôt comme une dégradation que comme une évolution avantageuse. Favoriser sa réintroduction serait une erreur.

   Un dernier mot. Cette histoire de genre marqué pour qualifier le féminin n'est pas propre au français. On rencontre cela aussi en anglais, ne serait-ce que dans l'opposition man, woman, où, clairement, woman est une forme marquée de man (ajout à man d'un déterminant sous forme de préfixe). Même si policewoman est tolérable pour désigner un policier de sexe féminin, tout comme l'est l'usage du féminin pharmacienne pour désigner une femme pharmacien, il n'en reste pas moins vrai qu'une pharmacienne est aussi un pharmacien (l'inverse n'est bien entendu pas vrai) et qu'une policewoman est aussi un policeman. Comme on le sait, le mot man est le pendant du mot homme (latin homo) dans les langues germaniques et s'applique à l'homme (sans considération de sexe) autant qu'à l'être humain de sexe masculin, suivant le contexte. En viel anglais, les deux sexes étaient marqués : à côté de man (qui s'appliquait indifféremment aux deux sexes), on utilisait wer (cf. werewolf, homme-loup, garou ; latin vir, être humain de sexe masculin, retrouvé dans virago, triumvir, virile, vertue, etc.) et wif (qui a donné wife, épouse), sous forme longue wæpman, lorsque la personne était de sexe masculin, et wifman (qui a évolué en wimman, wumman, et pour finir woman) pour une femme. Cette double détermination n'est bien entendue pas économique puisqu'il suffit de marquer l'un des deux genres pour que l'autre soit automatiquement déterminé, d'où le double emploi de homme en anglais moderne (man = man + woman), en français (homme = homme + femme), etc.

   Cet artifice économique qui consiste à réemployer un hyperonyme pour l'un de ses hyponymes est naturel et se retrouve par exemple en zoologie. En histoire naturelle, les êtres vivants sont regroupées en genres, les genres en familles, etc. Phocoena est le nom de genre (rang biologique) des marsoins. Ce genre comprends plusieurs espèces, parmi lesquelles Phocoena phocoena (le marsouin commun), Ph. sinus (le marsoin du Pacifique), Ph. spinipinnis (le marsoin de Burmeister). Nous voyons que du fait de l'emploi du tautonyme Phocoena phocoena, nous n'avons besoin que de deux, et non trois épithètes spécifiques (sinus etspinipinnis) pour désigner l'ensemble des trois espèces. Le tautonyme n'est pas utilisé nécessairement pour désigner l'espèce la plus fréquente, la plus représentative ou la plus importante du genre. L'usage d'un genre [grammatical] marqué relève de l'économie de la langue et caractérise un stade d'évolution plus avancé de celle-là.

   J. M.


Celos d'entre vous qui fréquentent les réseaux sociaux pourraient tenter le coup, voir les réactionsŠ Big Grin

Jean-Luc

Le 20/10/2017 à 09:32, Jean-Marie Schwartz a écrit :
Quant à moi, j'en suis toujours à me demander pourquoi on n'a pas encore créer un vrai genre neutre.
J'ai fait la proposition  suivante il y a deux semaines sur un forum, dans un fil causant (et globalement descendant en flammes :-D) le nouveau bouquin HatierŠ

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Si on veut enrichir la langue, l'introduction de formes neutre et bi serait autrement plus intelligente (et surtout grammaticalement viable) que cette ânerie monumentale d'écriture inclusive.J'y ai un peu réfléchi, et en fait ce ne serait pas difficile, il n'y a que peu de termes à introduire.
Par exemple :
Article défini : le, la, lo, les, (los) (ce dernier uniquement si on veut insister sur le caractère indéterminé/neutre/mixte)
Article indéfini : un, une, uno, des, (dos)
Pronom personnel : il, elle, ol, ils, elles, ols
Pronom possessif : mon, ma, mio, mes, (mius), puis tio, (tius), sio, (sius), nio, (nius), vio, (vius)
Pronom démonstratif : celui, celle, celio, ceux, celles, celos ou celius ou celus
Plus quelques cas où il faudra un accord directement sur le nom ou l'adjectif : "cheros amis" ou "chers amios", "copino" pour "neutraliser" copain/copine, etc. Mais une fois les articles et pronoms introduits, c'est l'usage qui créera les nécessités.
Ainsi, "travailleros" pourrait remplacer "travailleurs, travailleuses"

Gros avantage sur l'écriture inclusive : c'est quand même plus simple à écrire et surtout, ça fonctionne aussi à l'oral.

On ne voit pas bien ce que les partisan?e?s de l¹écriture inclusive pourraient avoir d¹intelligent à répondre à ça.12 2.gif

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Jean-Luc


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