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Message : Re(3): Le sabre et le goupillon (fut : la dague et la croix)

(Jacques Melot) - Vendredi 09 Janvier 1998
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Subject:    Re(3): Le sabre et le goupillon (fut : la dague et la croix)
Date:    Fri, 9 Jan 1998 19:39:43 +0000
From:    Jacques Melot <melot@xxxxxx>

 Le 1/9/98, à 1:32 PM +0000, nous recevions de ScienceTech Tombeur :

[Jacques Melot :]
>> Je ne vois pas ce qu'il y a de pratique à remplacer les deux lettres de
>>« ou » par cinq lettres !  « et/ou » est un équivalent strict de « ou ».


>Traduisez cette réponse en chinois et en japonais


   Je comprends :  dans ces deux langues.


>Traduisez cette réponse en chinois ou en japonais


   Je comprends :  dans l'une au moins de ces deux langues.


>Traduisez cette réponse en chinois ou en japonais ou vers ces deux langues.


   C'est redondant !  Redondant et symptomatique d'une confusion acquise
dans la définition du « ou ». La condition « traduisez cette réponse en
chinois ou en japonais » est vérifiée si 1. la traduction est faite en
chinois (et non en japonais), 2. si elle est faite en japonais (et non en
chinois), 3. si elle est faite en chinois et en japonais. Elle n'est pas
vérifiée que si elle est faite ni en chinois ni en japonais.
   (Pour plus de détails ou pour les nouveaux, cf. :
http://listes.cru.fr/arc/typographie@xxxxxxxx/1997-11/msg00048.html
plus un autre, intitulé « Re: et/ou », qui, curieusement, n'est pas archivé
et que je viens pour cette raison de réexpédier il y a quelques instants en
changeant la date de mon ordinateur pour qu'il se place au bon endroit dans
les archives.)


>Je paierai en sen et en yen, ou partiellement en sen et le reste en yen,
>ou pour partie en yen et le solde en sen. [ne me prenez surtout pas au
>mot, vous pourriez attendre longtemps votre rétribution :-) ]
>D'accord, je réponds à chaud, les exemples sont assez mal choisis.


   À chaud, à chaud... c'est vite dit, le thème date de novembre !  (C'est
ce qu'on appelle se laisser de la marge.) Mais rigolade mise à part (maman
dit toujours « un bon rire vaut un bon biftèque »), vous faites les frais
de votre propre démonstration :  en voulant nous fournir un exemple ad hoc
vous nous en fournissez un qui ne peut se mettre sous la forme de A et/ou
B !  Vous avez tout simplement oublié les deux alternatives « Je paierai
tout en sen, ou tout en yen, ou [...] » au début de votre phrase !!!

   Si nous procédons méthodiquement  - je vous connais assez pour savoir
que vous n'avez rien contre, tant que ce n'est pas verbeux -  le « Je
paierai en sen et/ou en yen » que vous aviez dans l'idée se décompose en
« Je paierai en sen, en yen, ou dans les deux monnaies », expression que
l'on peut utiliser dans les cas où le contexte appelle une telle précision.
Est-ce vraiment d'une lourdeur déraisonnable, surtout compte tenu de la
rareté relative des cas dans lesquels une telle précision est vraiment
nécessaire ?

   Cela dit, votre exemple présente des redondances qui l'allongent. En
effet, la seconde partie de la phrase rend superflue l'assertion « je
paierai en sen et en yen » :  « je paierai en sen et le reste en yen, ou
pour partie en yen et le solde en sen » est parfaitement suffisant, ce qui,
en poussant la réflexion un peu plus loin, se réduit hélas !  plus
naturellement à « je paierai en sen et en yen ou inversement », « hélas »
parce qu'on s'aperçoit maintenant que la formulation initiale ne voulait
rien dire du tout (comme vous l'aviez justement soupçonné, il est vrai) !

   Comme je le disais, vous en faites les frais, mais cela nous fournit un
exemple rêvé  - dont nous vous savons gré -  du type de confusion que peut
engendrer le recours à de telles « béquilles linguistiques » (pour
reprendre l'excellente expression de Jean-Pierre Lacroux) qui peuvent mener
à produire des phrases, voire des textes entiers, qui semblent vouloir dire
quelques chose et qui en définitive n'ont aucun sens ou un sens différent
de celui que l'auteur a voulu leur donner !



>A chaque fois que je dispose de place, j'essaye d'éviter et/ou. Parfois je
>dois me résoudre à l'employer pour épargner au lecteur une circonvolution.



   J'ai bien peur qu'à vouloir épargner une circonvolution d'un côté, vous
ne risquiez de causer un rupture d'anévrisme de l'autre. La périphrase,
lorsqu'elle est nécessaire du fait d'un contexte trompeur, n'en est plus
vraiment une :  il s'agit d'un tour qui ressortit à la stylistique et qui
est imposé par les limitations grammaticales ou syntaxiques de toute
langue. C'est ce que j'ai voulu dire, dans un cas particulier, lorsque
j'écrivais « La précision recherchée s'obtient en tournant la phrase de
manière appropriée, et cela s'appelle savoir écrire (ou s'exprimer)
correctement » (le lundi 10 nov. 1997, à 16 h 34 mn 57 s T. U., dans le
présent forum :
http://listes.cru.fr/arc/typographie@xxxxxxxx/1997-11/msg00048.html ).

   J'ai tout prêt un texte concernant l'inutilité du « she/he »,
« her/him », etc. que j'hésite à envoyer au présent forum, et dans lequel
je détaille cette question :  c'est ma théorie du « linguistic
harassment », qui m'a rendu « célèbre » chez les Anglo-Saxons, spécialement
auprès des féministes !  C'est encore le thème développé  - en français,
bien sûr -  dans le forum nord-américain SCIENCE-AS-CULTURE de St-John's
University et dont il est question dans mon message d'hier intitulé
« AUTRANS 98 - INTERNET ET PLURILINGUISME ».

   L'emploi de « et/ou » est et reste du « style télégraphique » et la
question est :  dans quelle circonstance peut-on se permettre d'utiliser
et, qui plus est, d'imprimer une telle chose. Plus important encore, est
que l'usage de la pseudo-conjonction « et/ou », à côté des avantages
discutables qu'il peut comporter, engendre des confusions non seulement
superficielles, mais profondes par altération des capacités d'usage normal
du « ou » (cf. aussi plus haut). Personnellement, j'ai beau y réfléchir, je
n'ai pas à me forcer pour ne pas l'utiliser :  c'est une simple question de
discipline qui presque immédiatement se noie dans l'habitude.

   Autre chose, observez attentivement qui emploie le « et/ou » et dans
quelles circonstances. C'est très intéressant au point de vue
psychosociologique !  Vous verrez alors que chez beaucoup cette
pseudo-conjonction joue un rôle particulier, déjà par son emploi
systématique dans des circonstances ou l'on pourrait de manière évidente
s'en passer sans qu'il en résulte aucune ambiguïté, qui n'a rien à voir
avec la linguistique. Voyez à nouveau l'excellente intervention de
l'ancêtre (Jipéhèl) que je redonne ici in extenso à la suite de la présente
(« [...]  ils tentent de se conformer à un modèle surévalué »).

   Salutations amicales,

Jacques Melot, Reykjavík
melot@xxxxxx


================= Début de citation ===============

Date: Mon, 10 Nov 1997 17:11:20 +0100
From: Jean-Pierre Lacroux <lacroux@xxxxxxxxx>
MIME-Version: 1.0
To: TYPOGRAPHIE Distribution List <typographie@xxxxxxxx>
Subject: Re: et/ou
Precedence: list
Reply-To: lacroux@xxxxxxxxx
Status:

Jean Fontaine écrit:
> Il faut reconnaître que ce «et/ou» est parfois pratique pour celui qui s'en
> sert, car il permet d'éviter de longues périphrases.
-----------
Il permet surtout d'éviter la mise au clair de la pensée... ce qui est
le comble du « pratique »...
(Le reste de votre message montre que nous sommes d'accord sur ce
point).

Je crois que le souci stylistique existe chez les maniaques du
« et/ou », mais il ne vise pas à éliminer les périphrases. Oh ! non...
La preuve : leurs textes en sont farcis !  Leur quête est ailleurs : ils
tentent de se conformer à un modèle surévalué.

Cordialement,
Jean-Pierre Lacroux
---------------------------------------
lacroux@xxxxxxxxx
Bibliographies, citations (langue française, orthotypographie) :
http://users.skynet.be/sky37816/Lx.html
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================= Fin de citation ===============