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Message : Normes et anglomanie (en suite de : Majuscules et anglomanie)

(Jacques Melot) - Lundi 12 Janvier 1998
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Subject:    Normes et anglomanie (en suite de : Majuscules et anglomanie)
Date:    Mon, 12 Jan 1998 10:56:26 +0000
From:    Jacques Melot <melot@xxxxxx>

 Le 1/10/98, à 5:55 PM +0000, nous recevions de Philippe JALLON :

>Bonjour,
>
>Anglomanie aidant, le franglais progresse à grands pas. Jusqu'au coeur même
>de nos habitudes linguistiques et typographiques.
>
>Sous l'influence de l'anglais, le point se substitue parfois à la virgule.
>Dans certains cas, cela est souhaitable : on parlera ainsi de la version
>3.2.4 de tel logiciel, comme un universitaire renverrait le lecteur à la
>section 3.2.4 du cent douzième chapitre de sa thèse.
>Dans d'autres cas, cela me paraît choquant. Ainsi en est-il des fréquences
>radio : « Vous écoutez Radio-Blabla, sur 100.3 FM » et non pas sur « 100,3
>FM » - où la qualité d'écoute est moins bonne :-)
>La langue française introduit les décimales par une virgule, l'anglais lui
>préférant le point. Mais si même Radio-France internationale (RFI) indique
>ses fréquences « à l'anglaise »...
>
>Question 1 : doit-on, sous prétexte que le sacro-saint « usage » aveugle 99
>% des gens, écrire et prononcer « point » au lieu de « virgule » ?


   L'usage se forme, se déforme et subit des attaques, surtout le bon. Un
changement n'est pas en soi néfaste :  il peut s'agir d'une amélioration
comme d'une dégradation d'un usage préexistant déjà bien assis.

   Dans le cas présent, on a affaire à un nombre décimal pour lequel en
France on emploie la virgule. Le point provient de l'usage américain
essentiellement véhiculé par les appareils, en l'occurrence les postes de
radio.

   Employer ici le point au lieu de la virgule, c'est substituer à la norme
française, la norme locale d'un autre pays. Se laisser imposer des choses
pareilles est doublement humiliant car il y a eu jadis aussi des accords
pour passer uniformément au système métrique donc décimal et que certains
ont parjuré leur signature, traînant les pieds et faisant un usage abusif
de leur position économique dominante, à tel point que l'on attend
toujours.

   J'ai eu l'occasion de constater bien concrêtement cette guerre dans le
domaine des normes lorsque je fus convié un jour à participer à une réunion
de l'Afnor (à la Défense) pour le choix de normes concernant le langage
informatique APL.

   Encore à propos de point, cela me rappelle la notion  - anglo-saxonne,
encore une fois -  de point utilisée à la Bourse. Je me souviens avoir
remarqué à la télévision française, il y a plus de dix ans, une confusion
chez un commentateur spécialisé (après les infox) entre point, une notion
étrangère visiblement mal assimilée, et pourcentage, parce que précisément
la différence entre ces deux notions n'est pas claire dans son esprit.

   Pour en revenir au système métrique, cette histoire de point décimal est
l'occasion de se rappeler que, sauf erreur de ma part, la France a cédé le
méridien de Paris, qui est devenu le méridien de Greenwich, en compensation
de l'adoption du système métrique par la Grande-Bretagne. On attend
toujours... mais les Britanniques utilisent régulièrement, l'imposant comme
une norme internationale, le méridien de Greenwich. Je me souviens même
avoir vu à la télévision islandaise, il y a quelques mois, que l'événement
a été fêté (centenaire ?) dans cette dernière localité où, d'après les
images montrées, les habitants sont apparemment très fiers d'être ainsi
immortalisés, sans la moindre allusion au fait qu'ils bénéficient de ce
privilège grâce à une concession, disons un don, de la France. Bien sûr on
peut se consoler en pensant que, dans le fond, il est peut-être préférable
qu'il en soit ainsi, plutôt que de présenter l'événement comme la
commémoration d'une victoire supplémentaire de l'Angleterre sur la France.

   On peut encore citer la « démétrisation » de certaines unités de mesure
par des économies suffisamment puissantes pour l'imposer, ce qui est
d'autant plus inquiétant qu'elle touche des objets omniprésents de la vie
quotidienne, comme celle en pouces des disquettes et des écrans
d'ordinateur qui se substituent à la valeur métrique, de même avec les
formats d'étiquette, de papier, etc.

   Pourtant les Américains étaient bien partis pour la métrisation. J'en
veux pour preuve que c'est le seul exemple connu au monde de pays où un
projet de loi a été déposé pour arondir le nombre ¼ [pi] à la valeur 3
exactement !
(Ce n'est pas passé, car l'argument comme quoi cela aurait eu des
conséquences économiques défavorables pour le pays  - dues en particulier à
la baisse que cela aurait entraîné dans l'aire des sections de cylindres
des automobiles -  a prévalu... d'un poil, malgré un vote préliminaire
écrasant.)


>--------
>Autre influence de l'anglais : les noms de sociétés et de marques. Là où le
>français sépare - ou agrège sans capitale intérieure - deux mots distincts,
>l'anglais les agglutine en conservant la capitale initiale de chaque
>élément. Ainsi est-on envahi par des graphies aussi peu conformes au génie
>de notre langue que « StuffIt » (quand j'écris ça en Helvetica ou en
>Geneva, cela devient presque illisible), « PostScript » et autres «
>PowerPoint ».


   Je crois que c'est pour des raisons liées à l'état de la technique
informatique au moment où l'on a commencé à introduire ceci. Les noms des
fichiers ne pouvaient pas comporter d'espaces.


>On notera toutefois que « Microsoft » s'écrit avec une seule
>et unique majuscule : à défaut d'être macmaniaque, Bille Gates est
>peut-être francophile...



   Pour sûr, il y a tout de même deux cent millions de francophones à plumer...



>Question 2 : est-il préférable de « franciser » de tels noms (« Stuffit »
>ou « Stuff It » au lieu de « StuffIt », « Post Script » ou « Postscript »
>au lieu de « PostScript », « Power Point » [ou éventuellement « Powerpoint
>» au lieu de « PowerPoint », etc.) ?


    Une simple remarque :  il arrive très fréquemment que tout ceci soit
livré sous un nom présentant les deux variantes. Par exemple sous la forme
« DiskWizard_2.0 » (ou Diskwizard-2.0, diskwizard2.0, diskwizard20, etc.)
sur le serveur ftp (parce que les espaces ne peuvent être utilisés) et
« Disk Wizard » dans la documentation ou sous un dossier (le système
d'exploitation du Macintosh autorise les espaces dans les noms de dossier).
Mais il semble certain que pour des raison d'homogénéité et par soucis
d'unicité (afin d'éviter la confusion) certaines entreprises sont tentées
d'adopter une forme unique, celle qui consiste à coller les mots (cas de
StuffIt). On a donc ici un bon exemple où l'homme s'est laisser imposer une
manière de faire contraire à un usage établi du fait de limitations
techniques.


>Question 2 bis : si oui, peut-on le faire alors même que ces noms sont des
>marques déposées et que - du moins je le suppose - leur graphie fait partie
>intégrante de leur nom ?
>
>
>Philippe JALLON	panafmed@xxxxxxxxxxx
>Directeur de la publication / Chief Editor    Médias interAfrique
>(magazine mensuel / monthly publication)
>Adresse / Address
>10, place du 19-Mars-1962 - 93100 Montreuil - FRANCE
>Phone/fax : +33 1 55 86 06 06

    Cher ami,

   à la lumière de votre intervention que je trouve judicieuse, je découvre
votre signature, ci-dessus, d'un oeil nouveau et un peu amusé, ce qui me
pousse irrésistiblement à me montrer un petit peu taquin.... En effet,
est-il vraiment utile de lui donner une telle forme, alors que par ailleurs
vous montrez une nette conscience du problème posé par l'usage tous azimut
de l'anglais (cf. aussi le titre du message auquel vous répondez, « [...]
anglomanie ») ?  Indépendamment de cela, je sais par expérience  - et il
n'est d'ailleurs pas difficile de l'imaginer sans cette expérience -, que
des termes aussi simples que « Directeur de la publication »,  « magazine
mensuel » et a fortiori  - avouez, tout de même ! -  « adresse » (cf.
address) sont compris par toute personne qui lis l'anglais.
   Il en va de même d'expressions telles que « Fabriqué en France » ou
« Imprimé en France », qui ne devraient pas être traduites. Il ne faut tout
de même pas sous-estimer les étrangers à ce point !  Je le dis
sérieusement, à la réflexion, n'est-ce pas même un peu humiliant ?

   Ne vous méprenez surtout pas sur le sens de ce qui précède, il n'y a là
aucune attaque personnelle, seulement une remarque technique d'intérêt
général dont à mes yeux et, j'en suis persuadé, aux yeux de tous, du fait
de la teneur même de votre message, vous ne faites certainement pas les
frais.

   Amicalement,

Jacques Melot, Reykjavík
melot@xxxxxx


N. B.   L'anecdote concernant le nombre pi est vraie, seule la parenthèse
qui la suit est imaginaire... enfin je l'espère !