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Message : Inutile orthotypographie?

(JD Rondinet) - Jeudi 26 Février 1998
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Subject:    Inutile orthotypographie?
Date:    Wed, 25 Feb 1998 18:16:40 -0500
From:    JD Rondinet <100412.3664@xxxxxxxxxxxxxx>

-->> On ne met de capitales qu'en début de phrase et sur les noms propres.
Pourquoi compliquer les choses et risquer de créer chez le lecteur une
confusion totale ? Il faudra que l'on m'explique plus qu'on l'a fait
jusqu'ici. <<--

                Mon cher Alain,

        Tu es vraiment bien tombé, en t'inscrivant à notre « liste », et je
crois qu'on va pouvoir te prendre sérieusement en main !
        Car tu ne peux pas continuer d'ignorer qu'il existe une
« sur-couche » à la simple grammaire (dans toutes les langues, d'ailleurs),
à laquelle on donne le nom d'orthotypographie, ou de code typographique,
etc. (on a même vu le mot « ploutographie » !).

        Cette « discipline » (dans les trois acceptions du terme, car c'est
aussi parfois une haire pour nous !) n'est pas pratiquée dans les écoles ni
dans les facultés, et on n'en fait la connaissance que dans les formations
de journaliste, de documentaliste et bien sûr de correcteur et de
typographe (quels que soient les noms dont on peut nous affubler
aujourd'hui, nous les hommes de l'art dévoués à la mise en forme des textes
des autres).
        Ses détracteurs voient souvent l'orthotypographie comme le latin du
juriste, de Diafoirus ou du curé : ce serait par vaine gloriole et malsaine
cryptophilie que les professionnels de l'édition protégeraient leur
prébende grâce à des codifications mystérieuses, absconses et inutiles !
        Eh bien ! tout au contraire, cette « sur-couche » que les scribes,
copistes, typographes, imprimeurs, journalistes, lexicographes... ont
peaufinée au cours des siècles est destinée à une simplification de la
lecture, et à l'extermination programmée des malentendus, quiproquos et
incertitudes dont pourrait souffrir le lecteur. Tout l'inverse de la
« confusion » que tu crains !
        C'est par exemple un imprimeur, M. Guillaume, qui créa le
guillemet, dont on se demande aujourd'hui comment un écrit pourrait se
passer ! C'est, a contrario, par l'impossibilité de respecter
l'orthotypographie que le « courriel », dans son triste état ASCII actuel,
engendre des doutes qu'on cherche à lever de façon bien maladroite
(« smileys », astérisques, soulignements...).

        Les grands auteurs n'ont d'ailleurs jamais négligé de s'initier aux
arcanes de l'orthotypographie. Plus d'un a même décidé d'user ses culottes,
pour le plaisir d'acquérir une connaissance nouvelle qui enrichira son art,
sur un tabouret de correcteur d'imprimerie (Erasme, Balzac, Hugo,
Proudhon...). Au sein même de la présente « liste » se pressent des novices
qui viennent s'abreuver à notre mamelle* typographique, après avoir connu
des expériences professionnelles tragiques dues à leur méconnaissance
fâcheuse de la finesse de la langue imprimée.
        Les auteurs (qu'ils se consacrent à la poésie ou à l'astrophysique)
devraient savoir que nous, les typographes-et-assimilés, travaillons dans
l'ombre pour le bien de leur oeuvre et que les « dévoués et discrets
législateurs typographes ne songent certes pas à demander [aux auteurs] le
sacrifice d'une nuance, si subtile qu'elle soit, de leur pensée » (G.
Lecomte, de l'Académie française)... 
        Bien au contraire : je puis, d'une majuscule ajoutée ou retranchée
-- et qui ne débuterait ni une phrase ni un nom propre, cher Alain --,
éclairer le lecteur sur la volonté profonde du scripteur (« La majuscule
est un coup de chapeau », me dit Victor Hugo ; à moi donc de vérifier si
l'auteur veut encenser ou mépriser) ; d'une abréviation correctement
orthotypographiée, je puis lever un doute (Mgr, mgr, mg : l'auteur veut-il
insinuer que même un cardinal ne pèsera un jour que le poids d'une
poussière ?).

        Et je peux, d'un italique bien placé, éviter des procès, des duels,
des suicides ! 

        « La grammaire est la loi de la langue, l'orthotypographie en est
la jurisprudence. Et si l'orthographe était la viande et le légume,
l'orthotypographie en serait le mijotage... » (V. Serviteur).

                Cordialement,
                Jean-Denis Rondinet,
                correcteur-réviseur au « Figaro » (Paris), professeur
d'orthotypographie

______________
* Ce « sein » et cette « mamelle » réunis dans une même phrase constituent
une figure de rhétorique bien involontaire, mais qui, je l'espère, ne
laissera pas de te réjouir !